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Daniel Wisser | Café Wortner, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Daniel Wisser | Traduction : Georg Renöckl

À l’époque où les Salzstangerl[1] sans sel n’existaient pas encore, l’instituteur Mercier, qui enseignait aux classes de CP et de CE1, enlevait pendant la récréation le sel des Salzstangerl des élèves qui le lui demandaient, en frottant le pain contre la poignée de la porte du gymnase. Ceci faisant, il demanda un jour à une élève qui avait un œil au beurre noir comment c’était arrivé. Pendant le cours de religion, répondit l’élève, qui prit son pain et partit en courant. L’instituteur Mercier décida de ne pas laisser passer l’incident. Il raconta à Madame la proviseure Pichon avoir entendu à plusieurs reprises que le curé Reynaud, qui enseignait la religion à l’école primaire, levait la main sur les élèves. Il était convaincu qu’il fallait aussi faire comprendre à Monsieur le curé que le châtiment corporel était dépassé, expliqua Mercier. Madame la proviseure secoua la tête. « C’est sans doute votre opinion personnelle », répondit-elle. Et ajouta : « C’est d’ailleurs aussi mon opinion personnelle, mais elle ne s’est pour l’instant pas encore imposée. » Deux jours plus tard, la mère de la fille à l’œil au beurre noir vint voir l’instituteur Mercier en cherchant sa fille à l’école. Elle lui adressa un regard plein de reproches, lui dit que ses deux fils étaient enfants de chœur et qu’elle ne voulait pas de problèmes avec le curé. L’instituteur Mercier ne devait plus se mêler du cours de religion de sa fille et laisser ses Salzstangerl tranquille.

[1] Petit pain de forme allongée, saupoudré de gros sel et de carvi.

 


BIO

Daniel Wisser est né en 1971 à Klagenfurt, vit depuis 1989 à Vienne. En 2003 est paru son premier roman Dopplergasse acht. Depuis, il a publié 5 romans et une collection de textes en 2019 sous le titre Unter dem Fußboden, qui s’agrandit au fil du temps. Pour son roman Königin der Berge (2018), il a reçu le Prix littéraire autrichien Österreichischer Buchpreis et le Prix Johann-Beer. En 2021 paraîtra son nouveau roman Wir bleiben noch. Site web : www.danielwisser.net

 

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Daniel Wisser | Café Wortner, Vienne

Photo : Alain Barbero, du livre « Kinder der Poesie » (Kremayr & Scheriau, 2019) | Texte : Daniel Wisser | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

Énumération

« Il y a quatre choses, que nous devons dorénavant respecter », dit Mme  Lessigang, directrice de département, au directeur Dr Vegh juste au moment où le jeune gestionnaire Spring les croisa dans le couloir du bâtiment administratif. Spring, qui connaissait bien la directrice et ses énumérations sans fin, était soulagé de ne pas être l’interlocuteur de Mme Lessigang et accéléra le pas. « Tout d’abord… », continua la directrice. Spring ne savait que trop bien ce qui allait suivre : l’énumération ne dépassera jamais le premier point, car ce dernier serait lui-même divisé en quatre sous-points, qui ne seront jamais tous évoqués, car le premier des sous-points serait lui-même de nouveau divisé en quatre sous-points, et ainsi de suite. Lorsque Spring considéra qu’il était à une distance suffisante de Mme Lessigang, il s’approcha de la fenêtre donnant sur la cour intérieure et vit que le grand cerisier avait déjà commencé, mi-mars, sa floraison. « Il existe quatre saisons, qui sont belles », se dit Spring, « mais tous ne raffolent que du printemps ».

 


Interview de l’auteur

Que signifie la littérature pour toi ?
Daniel Wisser :
a) Elle est (devenue) mon métier, et jusqu’à présent, c’était un combat de 15 ans. Je fais donc comme la plupart et je me bats contre la peur d’être relégué.
b) La littérature est la seule chose qu’il nous reste pour décrire de nos jours la réalité. Toutes les autres options, en particulier le journalisme, ont été achetées par le capitalisme et ne représentent plus des sources d’information mais sont des outils de propagande.
c) Elle m’entoure depuis que je sais lire avec des textes que j’essaie de me rappeler, pour que je trouve quelque chose à dire à propos de sujets qui ne m’inspirent pas.

Que représentent les cafés pour toi ?
DW: Je préfère aller dans des cafés qui ne sont pas tendance, là où on peut s’asseoir dans un coin et écrire sans se faire remarquer. Je n’écris pas mes propres textes, mais simplement les conversations ou des extraits de ce que j’entends.

Pourquoi as-tu choisi le café Wortner ?
DW: Je l’aime bien parce qu’il n’est pas prétentieux. Il ne cherche ni à être moderne, ni rétro. Il est juste tel qu’il est. Et ça, c’est unique dans le 4ème arrondissement.

Que fais-tu quand tu n’es pas au café ?
DW: J’écris à mon bureau, je me promène dans les rues et chemins et je dors dans un lit. Ma vie est donc peu remarquable.

 

BIO

Daniel Wisser est né en 1971 à Klagenfurt, vit depuis 1989 à Vienne. En 2003 est paru son premier roman Dopplergasse acht. Depuis, il a publié 5 romans et une collection de textes en 2019 sous le titre Unter dem Fußboden, qui s’agrandit au fil du temps. Pour son roman Königin der Berge (2018), il a reçu le Prix littéraire autrichien Österreichischer Buchpreis et le Prix Johann-Beer. En 2021 paraîtra son nouveau roman Wir bleiben noch. Site web : www.danielwisser.net