Archive d’étiquettes pour : Bistro

Patrick Pécherot | Le Wepler, Paris

Photo : Alain Barbero | Texte : Patrick Pécherot

 

La photo a été prise au Wepler. Une brasserie parisienne de la place Clichy, presque une institution. C’est un lieu chargé de mémoire mais qui ne la cultive pas. Loin du style vintage qui a transformé tant de lieux en décors tape à l’œil. Le Wepler possède de vraies tables qui se parent, sur le coup de 18heures, de nappes blanches et de serviettes assorties. Mais continuez à siroter votre pression ou votre thé citron, on vous laissera tranquille. J’aime la moleskine des lieux, le porte-journaux, la devanture vitrée d’où on lorgne la rue, les serveurs en tenue, les clients ni tout jeunes ni branchés. Je ne me souviens plus si Maigret, en planque, y a mangé un collier d’agneau mais c’est au Wepler que Nadja écrivait à André Breton : « dis, pourquoi m’as-tu pris mes yeux ? ». Didier Blonde le raconte dans son beau livre Cafés, etc. C’est avec Didier que viens au Wepler. Nous y buvons de la bière, grignotons le pain et la tapenade servis en accompagnement, nous parlons d’écriture, de radio et de plaisirs minuscules. Dieu s’invite parfois dans nos conversations. Il n’est pas bégueule et son Fils aimait les auberges. Lorsque nous redescendons sur terre, c’est pour y retrouver Fantômas, Nestor Burma ou Arsène Lupin dont les silhouettes jouent les fantômes quand les soirs sont à la pluie.
Avant de prendre ta photo, Alain, tu m’as parlé de ton travail. J’aime les mots du travail. J’avais accepté la rencontre car un ami commun avait servi de lien. J’étais curieux du projet. Depuis, je me demande combien de mots les auteurs ont griffonné à la hâte sur une table de café de peur qu’ils ne s’envolent ? Mais plus encre, je pense à ceux perdus à jamais parce que nul bar, bistrot ou brasserie ne leur avait offert une halte salutaire.

 


Interview de l’auteur

Que peut faire la littérature ?
Patrick Pécherot : La question renvoie à la rencontre entre un livre et des lecteurs. Sur une échelle qui va de l’intime au monde, la littérature me semble pouvoir beaucoup ou rien. Cela relève du mystère, comme toutes les rencontres. Du « système » aussi. L’auteur a écrit, il ne lui appartient souvent pas que le livre vive ou meurt.  

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
PP : Les cafés sont des lieux de rêverie et d’observation. On y trouve la pâte humaine d’un futur personnage qui s’évanouira parfois quand on sera ressorti. On peut capturer un détail qui ressurgira plus tard. Ou simplement trouver une atmosphère propice au songe. Mais « à certaines heures pâles de la nuit », comme le chantait Léo Ferré, les cafés peuvent aussi être des lieux de fraternité muette.

Où te sens-tu chez toi ?
PP : Chez moi, d’abord, dans ma caverne, mon cocon. Mais si l’on élargit le propos, je suis chez moi partout où les lieux me parlent et me touchent.

 

BIO

Né en 1953, Patrick Pécherot a écrit une quinzaine de romans et essais. Ils lui ont valu plusieurs prix littéraires (Grand prix de littérature policière, Prix Mystère de la critique, Trophée 813, Prix Transfuge, Prix Marcel Aymé). À travers les genres qu’il aborde (polar, roman noir, textes divers) il décline son attirance pour la mémoire sociale et les atmosphères.
www.pecherot.com

Catherine Cusset | L’Élephant du Nil, Paris

Photo : Alain Barbero | Texte : Catherine Cusset

 

        Les cafés sont nombreux sur la place du métro Saint-Paul, à cinq minutes de chez moi. L’éléphant du Nil m’a attirée parce que c’est un vrai café parisien avec son comptoir en zinc, ses petites tables en bois sombre, ses chaises bistrot, son carrelage ancien. Je m’y sens bien. Un passe-plat ouvre sur la cuisine où le cuisinier prépare une nourriture bonne et pas chère. Les serveurs sont jeunes, sympa, et souriants — contredisant le stéréotype du serveur parisien.
        C’est mon point d’arrivée à Paris quand je débarque de New York. Pendant trente ans, trois ou quatre fois par an, j’ai atterri à Roissy, récupéré ma valise, pris le RER, changé à Châtelet, et je suis sortie à Saint-Paul, en face de L’éléphant du Nil. J’ai commandé un grand crème au comptoir et je l’ai pris debout, à côté d’habitués qui buvaient un expresso ou un verre de vin. Parfois il restait un croissant, fondant et croustillant. Il est midi à Paris et 6h à New York. Le café au lait très chaud et sucré descend dans ma gorge, j’avale une bouchée de croissant, ces goûts familiers me disent que je suis arrivée, que je suis chez moi. 
        Au café je lis mais n’écris pas. Pour écrire j’ai besoin de silence et d’un lieu isolé. Virginia Woolf n’a pas eu tort quand elle a insisté sur la nécessité d’avoir une chambre à soi. Je passe de mon lit à mon bureau, du sommeil et des rêves à l’écriture, sans transition.  Je ne commence jamais la journée par un petit déjeuner à l’Éléphant du Nil même si j’aime tant le grand crème et les croissants. Sauf quand je débarque de New York.

 


Interview de l’auteure

Que peut faire la littérature?
Catherine Cusset : Kafka écrit qu’elle est la hache qui brise la mer gelée en nous. Oui. Elle nous ouvre — à nous-même, à l’autre, au monde. Elle nous agrandit, nous enrichit, nous déplace. Il existe deux sortes de littérature, l’une de divertissement, l’autre de quête. Même si j’admire ceux qui écrivent des livres que les adolescents dévorent, je préfère l’autre sorte. Je ne lis pas pour l’intrigue, mais pour le sens, pour la présence vivante d’un esprit humain. Les bons livres sont ceux dont on connaît déjà la fin et qu’on peut relire sans jamais s’ennuyer. Je lis et j’écris parce que je suis dans une quête — de vérité, de sens, de lien, de cohérence, d’altérité, de moi-même.
        J’ai du mal à vivre sans écrire. Je déprime très vite. Seule l’écriture me rend la vie tolérable. Parce qu’elle rassemble, collecte, fabrique du sens, préserve la mémoire, donne accès à l’altérité et au meilleur de soi. Écrire est une activité solitaire, mais le seul vrai moyen de sortir de la solitude.

 

BIO

Catherine Cusset, née à Paris en 1963, est l’auteure d’une quinzaine de romans parus chez Gallimard entre 1990 et 2021 et traduits en vingt-deux langues, dont Le problème avec Jane (Grand Prix des lectrices d’Elle 2000), La haine de la famille, Un brillant avenir (Prix Goncourt des Lycéens 2008), L’autre qu’on adorait, Vie de David Hockney (Prix Anaïs Nin) et La définition du bonheur. Ancienne élève de l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm, agrégée de lettres classiques, auteure d’une thèse sur Sade, Cusset a enseigné douze ans à Yale avant de se consacrer entièrement à l’écriture. Après trente ans à New York, elle vit aujourd’hui entre Paris et la presqu’île de Crozon en Bretagne.

Alexandre Delas | Le Réveil du 10ème, Paris

Photo : Alain Barbero | Texte : Alexandre Delas

 

J’ai ramené mon vieil exemplaire de L’Idiot car j’ai toujours admiré l’idéalisme du Prince Mychkine, le trait de caractère commun à toutes les grandes forces littéraires à l’œuvre dans toutes les révolutions de papier.

La révolution ?
Et si on parlait d’amour plutôt.
Alain partage mon goût pour les vieux cinémas.
« Dans les années 80, j’avais un test, j’emmenais les filles au Christine voir Mauvais Sang. Si elles n’adoraient pas ce film, je savais que rien ne serait possible entre nous. »
Je demande à Alain si ça a marché.
Il me répond en souriant : « la femme avec laquelle je partage ma vie, l’avait bien aimé, sans plus. »

D’aucun pourrait aisément rebaptiser le Prince, « miskine » aujourd’hui, mais je veux croire que l’idéal mérite toujours d’être tenté.

Vient l’heure du portrait.
Si Brassens et Ferré peuvent être dans le cadre, à mes côtés, je suis très bien entouré.

 


Interview de l’auteur

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
Alexandre Delas : Un café est un excellent remède à la solitude des grandes villes. C’est une bulle au milieu du monde et hors du monde à la fois.
Un conseil : souriez et parlez à votre voisin, même si cette personne n’a pas l’air sympathique. Peut-être qu’elle est aussi seule que vous.

Où te sens-tu chez toi ?
AD : Partout où je suis un étranger.


BIO

Alexandre Delas vit et travaille à Paris, Les Premières funérailles est son premier roman (version anglaise disponible auprès de l’auteur). 
Il décrit une dictature ultra-capitaliste d’extrême droite au pouvoir en France après une guerre « mondiale » dont plus personne n’a le droit de parler, et de ses effets sur la psyché de son héros et des personnages qu’il croisera, leur identité, leur éducation sentimentale et leur découverte du monde du travail. 
Bien informé de ce monde globalisé, Alexandre Delas a nourri son texte par ses expériences professionnelles multiples en Asie et aux USA.
https://linktr.ee/alexandre_delas

 

 

Vincent Crouzet | Tandem, Paris

Photo : Alain Barbero | Texte : Vincent Crouzet

 

Pour rencontrer Alain, j’ai choisi Tandem tout simplement parce que je m’y sens bien. Comme en famille. Ce n’est pas l’un de ces bistrots à vins où l’on parle fort, où l’on plastronne. C’est un lieu, dans la petite salle, comme sur la terrasse, où la simplicité s’impose. Celle de Philippe, et de Nicolas, les deux frérots qui tiennent Tandem, est comme la “griffe” de l’endroit, cette bulle de joyeuse tranquillité hédoniste avant de remonter la rue de la Butte aux Cailles, plus bruyante plus loin. On ne vient pas pour boire un coup chez Tandem, mais pour déjeuner, ou dîner, prendre le temps, et profiter d’un décor qui ne varie pas, qui ne bouge pas, à l’heure où les décorateurs fous salopent les plus charmants des bistrots. Ici, de vraies tables en bois, un carrelage éprouvé, un bar lumineux, conçu pour s’accouder sur le zinc un moment avec Nicolas, et se laisser faire… 
Parce que l’on vient aussi chez Tandem pour boire du très bon vin bio, hors modes et tendances. Le vin nature n’y est pas prohibé, mais pas magnifié non plus. Rien n’est imposé. Ici, le critère reste le plaisir, et surtout pas le paraître. Et ce plaisir de déguster s’accorde à la cuisine simple, sincère de Philippe, qui s’appuie sur des recettes familiales, avec des excursions vers l’Asie… 
Je viens chez Tandem souvent, presque toujours, accompagné de la femme de mes pensées. Parce que je n’ai besoin de jouer à aucun jeu, ici. Et que les lumières, l’automne, l’hiver, y sont chaudes, rassurantes. Rien n’est exacerbé. C’est important dans un monde de surenchères. 
Se poser. Écouter. Et lorsque je viens seul, cela m’arrive souvent, Nicolas est comme un convive, présent, attentif, curieux, en partage. C’est un bistrot où jamais je m’égare, parce qu’il représente aussi mon point fixe, mon juste centre. 

 


Interview de l’auteur

Que peut faire la littérature ?
Vincent Crouzet : La question… Franchement : créer la liberté. Celle du créateur, l’écrivain. Celle des lectrices et des lecteurs. Cette part de liberté est inscrite dans celle du voyage, aussi. Lire, écrire, c’est s’en aller. Je crois profondément à la force romanesque, celle qui conduit l’écrivain à s’abstraire de lui-même. Je comprends la curiosité pour l’autofiction, mais notre richesse, en tant que romancier, reste de créer des mondes, et d’y emporter nos lecteurs. Je ne pense pas la littérature, mais les littératures. Les miennes, d’ailleurs restent purement d’évasion…    

Quelle est l’importance des cafés pour toi ? 
VC : Je n’ai pas un rapport d’écrivain avec les cafés. Je n’y écris jamais. Et j’avoue être très dubitatif lorsque j’observe un écrivain, une écrivaine travailler dans un bistrot. Les cafés, évidemment, c’est un poncif, sont mes lieux privilégiés de rencontres, mais j’avoue qu’ils participent surtout à un plaisir personnel. J’adore m’y trouver seul, le matin, à observer s’ébrouer la ville, et ses acteurs. Dans une ville qui m’est étrangère, j’y capte l’énergie d’un monde. Mais aussi, malheureusement, parfois, trop souvent, les détresses.  

Où te sens-tu chez toi ?
VC : C’est une question sensible en ce moment, pour moi, puisque depuis quelques mois, je navigue entre plusieurs lieux. J’oscille entre l’envie d’animation, de bouillonnement, et le besoin de sérénité. Entre les lumières de la ville, et les silences. Je crois que nous sommes tous bousculés de paradoxes : participer à l’énergie collective, ou bien se retrouver soi-même dans un environnement privilégié. J’ai grandi à la montagne, dans une station de sports d’hiver, aux Arcs, en Savoie. Lorsque je retrouve cette altitude, et dans cette atmosphère ludique, dédiée à la nature, et au sport, oui, je me sens bien. Mais je suis vite rattrapé par l’envie de me replonger ailleurs…

 

BIO

Vincent Crouzet a 59 ans, il a passé son adolescence à la montagne, conduit ses études à Grenoble, opté à un moment de sa vie pour le métier du renseignement, et a donc participé à l’action clandestine de son pays, la France, principalement en Afrique Centrale et Australe. Désormais romancier, il a quatorze textes à son actif, principalement des romans d’espionnages, mais aussi des nouvelles pour ados, et un essai. Depuis deux ans, il développe, sous le pseudo de Victor K, une série littéraire sur le Service Action de la DGSE (éditions Robert Laffont).

Sandrine Malika Charlemagne | Le Surcouf, Paris

Photo : Alain Barbero | Texte : Sandrine Malika Charlemagne

 

Je l’ai regardé se hisser sur le haut tabouret, quelque peu emprunté, fragile silhouette dans sa veste de cuir malgré ce plein soleil au dehors. Il a calé sa canne contre le comptoir, cherché l’équilibre. Ses yeux fendus, couleur de glacier, ont un instant croisé les miens où j’ai cru y voir vaciller la nostalgie d’un temps dont il était l’unique gardien.
La douceur émanait de ce visage blanchi par les années. Un habitué du quartier ? Je ne l’avais encore jamais croisé au café. De profil, il avait le port d’un aiglon, ses cheveux gris pâle clairsemés en légers duvets. Le dos courbé, les jambes flottant dans son pantalon de toile grossière, il fixait une ligne au loin. Le petit homme esquissa un sourire dans sa tranquille solitude. J’eus soudain envie d’aller vers lui, de lui prendre la main, de sentir la chaleur de sa peau entre mes doigts. A quoi pensait-il ? Je me suis demandé s’il sentait que je le regardais. Et puis, le mirage de la vie. J’ai vu l’homme assis sur une vieille valise à la sortie d’une gare où des gens pressés passaient devant lui sans même le voir. Je l’ai vu tendre la main. Attendre un geste de compassion, de bienveillance, d’amitié fugace. Mais seuls les oiseaux l’entouraient d’un semblant d’affection. Lui, sur sa valise, au milieu des pigeons, il souriait, de ce sourire qui rehaussait la délicatesse de ses traits amaigris. Il souriait à la vie qui bientôt, comme dans un livre, se refermerait sur lui.

 


Interview de l’auteure

Que peut faire la littérature ?
Sandrine Malika Charlemagne : Elle donne à voir des mondes – du plus quotidien au plus baroque – elle aide à se construire – à se tenir éveillé – à s’émerveiller – et parfois elle guérit l’âme en souffrance. C’est aussi le lieu du secret. Une toile où l’on découvre mille et un paysages. Avec la littérature, on va partout. Un peu comme dans un film. Les personnages sont éternels. On se sent vivant quand on lit. On respire autrement. On pense autrement. On diversifie notre approche de la langue. On aime peut-être aussi autrement. 

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
SMC : Des lieux de passage où l’on peut regarder les gens, les écouter parler ou écouter leur silence. Rêver sur ceux qui nous entourent.

Où te sens-tu chez toi ?
SMC : Face à l’immensité de la nature. Montagnes. Forêts. Déserts. Océans.

 

BIO

Sandrine Malika Charlemagne a commencé une formation de comédienne au cours Nordey, joué notamment au théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis sous la direction de Jean-Claude Fall, a écrit Anastasia, mise en onde sur France Culture, publié trois romans, deux pièces de théâtre, deux recueils de poésie, animé des ateliers à Vitry-sur-Seine, Sevran-Beaudottes, Cergy-Saint-Christophe, Saint-Denis et bourlingué ici et là.
Publié en novembre 2023 : La traqueuse – Editions Velvet

Dominique Manotti | Corso Quai de Seine, Paris

Photo : Alain Barbero | Texte : Dominique Manotti

 

Quand François Mitterrand, premier secrétaire du Parti Socialiste, a été élu à la présidence de la République Française en 1981, au milieu de la liesse populaire, et après vingt ans de luttes sociales et politiques intenses en France, j’ai eu tout de suite le sentiment que cette élection sonnait le glas de la gauche et pour longtemps. Chaque fois que j’évoque ce souvenir dans une discussion, ou au cours d’une rencontre, mes interlocuteurs sont incrédules. Et pourtant…

Je suis de la génération de la guerre d’Algérie. Cette guerre m’a fait comprendre une bonne fois pour toutes qu’il ne faut pas se fier à ce que disent les gens et les organisations, politiques ou autres, mais à ce qu’elles font. Quand François Mitterrand arrive au pouvoir, je connaissais très bien son rôle de soutien à l’expansion coloniale de la France et son rôle majeur dans la guerre d’Algérie. En 1956, il vote les pouvoirs spéciaux à l’armée française sur le sol algérien, ouvrant ainsi cette boite de Pandore dont se sont échappés les démons maléfiques qui hantent toujours notre société. Dans les années 60 et 70, j’ai beaucoup milité dans la vie syndicale française, persuadée que nous étions en train de changer le monde. Et je n’étais pas la seule. Je connaissais donc, à travers cette expérience syndicale, l’ignorance profonde de l’appareil du Parti Socialiste des luttes sociales novatrices qui secouait le pays. Pour moi, leur arrivée au pouvoir et l’immense enthousiasme populaire qu’elle avait soulevé, plombés par le passé colonial occulté, sans réel enracinement dans les luttes sociales, finiraient dans l’impasse et le désengagement. Désespérée, j’ai cessé de militer, tenté de faire mon bilan, et une dizaine d’années plus tard, j’ai commencé à écrire des romans pour raconter comment ma génération s’était fracassée. Romans noirs évidemment, toujours raconter ce que font les gens, plutôt que ce qu’ils disent.

 


Interview de l’auteure

Que peut la littérature ?
Dominique Manotti : Difficile de répondre à une question aussi générale. Pour moi, dans mon adolescence, les romans que j’ai dévorés m’ont ouvert le monde. J’ai rencontré des personnages avec qui j’ai dialogué pendant des années. Ils m’ont appris à aimer et à haïr. Je les ai recroisés de temps à autre, et ils m’ont aidée à comprendre qui j’étais. Maintenant quand je choisis un sujet de roman, quand je commence à écrire, c’est pour comprendre les évènements que je raconte, approfondir, ouvrir le dialogue avec les hommes et les femmes qui me liront.

Quelle est l’importance des cafés pour vous ?
DM : Le café Corso, à deux pas de chez moi, donne sur le bassin de la Villette, un des plus beaux lieux de Paris, dont la contemplation me rend toujours heureuse. Ce café se définit comme un « café parisien avec un goût d’Italie », tout ce que j’aime. Et il est accolé à un cinéma que je fréquente assidument. Le cinéma noir américain m’a fait découvrir la littérature noire, le cinéma influence mon écriture, j’adore le cinéma. Longue vie au café Corso où nous nous rencontrons entre amis pour discuter et partager les toiles que nous venons de nous offrir.

Où vous sentez vous chez vous ?
DM : Chez moi.

 

BIO

Née en 1942, à Paris. A enseigné l’histoire d’abord en lycée puis à la faculté de Vincennes et à l’Université Paris VIII.  Militante dès l’adolescence, d’abord pour l’indépendance de l’Algérie, puis dans les années 60 et 70, dans différents mouvements et syndicats, enfin romancière, sur le tard, (premier roman Sombre Sentier, 1995). Elle a écrit treize romans, tous traduits en allemand et de façon plus épisodique, en italien, anglais, espagnol, catalan, turc,  grec, suédois, roumain, russe.

Site :  dominiquemanotti.com

Reinhard Junge | Café Ferdinand, Bochum

Photo : Alain Barbero | Texte : Reinhard Junge | Trad. : Sylvie Barbero-Vibet

 

Mon premier policier, Brunhilde l’avait encore trouvé bien. Un mari écrivain – il y avait vraiment de quoi pérorer. Lors du lancement, elle m’avait même offert une de ses plus belles métaphores.
Lorsque je lui ai remis fièrement le deuxième livre (enveloppé spécialement pour l’occasion dans du papier rose), elle l’a jeté dans la poubelle jaune sans même l’ouvrir. « Maintenant, on arrête d’écrire des bêtises, hein ? Sinon… »
« Sinon quoi ? »
« Tu seras homme au foyer. Tu pourras taper à la machine une petite heure tous les soirs ! »
Parfait, je me suis dit. Mais : quelle illusion ! Quatre repas par jour pour quatre personnes, faire le taxi pour la crèche, l’école primaire, le pédiatre et le magasin bio, la lessive, le nettoyage des fenêtres et des couloirs, la déclaration d’impôts, les fleurs au cimetière, les missions de conciliation au bac à sable, où notre Heiko aimait terroriser les enfants du voisinage…
Pendant ce temps, mon épouse, professeure de musique et d’art, s’épanouissait. Enfin la sieste ! Et deux fois par semaine, le Café Ferdinand avec son amie Thea, et du coup j’avais aussi les enfants de Thea sur les bras. Taper à la machine ? Le soir, je tombais dans le coma, assis, après avoir écrit cinq lignes.
« Chéri », me susurra Brunhilde un midi, alors que je nettoyais les couverts.
« La semaine prochaine, c’est la Pentecôte. Cinq jours de congé ! Je pars à Rome avec Thea. Jasmina ira chez grand-père et Heiko restera avec toi. D’accord ? »
« Pourquoi Heiko ne peut-il pas aller lui aussi chez grand-père ? »
« Il ne saura pas non plus le gérer ! »
Merci, ai-je pensé, et j’ai demandé : “Et mon exposé ?”
« Chéri ! Ce genre de bêtises peut bien attendre ! »
Quelle coïncidence que le couteau à viande se trouvait justement à portée de main…

Dans mes nouveaux quartiers, je peux écrire en toute tranquillité. Bye, bye Brunhilde est le titre du livre. Et quand les douze ans seront passés, j’irai aussi au Café Ferdinand.

 


Interview de l’auteur

Que peut la littérature ?
Reinhard Junge : Tout ! Divertir, ennuyer, éduquer, indigner, glorifier les guerres, appeler à la révolution ou au génocide, irriter ou célébrer les gouvernements, dénoncer ou justifier l’injustice. En fait, elle peut tout. A condition que les auteur(e)s trouvent une maison d’édition prête à imprimer leurs œuvres.

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
RJ : J’adore les cafés. Un bon café est pour moi le compromis parfait entre les restaurants, où le sourire du serveur coûte déjà 50 €, et un bar à poivrots où l’on rencontre toute la misère de ce monde injuste. Pour moi, ils peuvent être des lieux de repos, de réflexion, de rêve, d’écriture et d’amitié. 

Où te sens-tu chez toi ?
RJ : Partout où il y a beaucoup de soleil, une vue dégagée sur la mer bleue, une plage blanche et un bon café.

 

BIO

Né en 1946 à Dortmund. 1966 Baccalauréat. Armée, études à Bochum. Après son stage en 1978, d’abord interdit d’exercer en tant que membre du DKP (Parti communiste allemand). Protestations en provenance de l’Allemagne et de l’étranger (notamment de la CGT). 1979-2012 enseignant dans un lycée. Puis 6 années d’allemand pour enfants étrangers. – 12 romans policiers (en partie avec Leo P. Ard et Christiane Bogenstahl), 4 documentaires sur les néonazis. – 3 enfants, 1 petit-fils, pas de maison, pas de chien. Supporter de toutes les équipes qui battent le Bayern Munich.

Elsa Flageul | Bistro Chantefable, Paris

Photo : Alain Barbero | Texte : Elsa Flageul

 

Impossible d’écrire dans les cafés.
D’écrire avec des gens. D’écrire avec de la musique, avec la radio, avec mes enfants. Impossible de mélanger les mots et les personnes, les mots et les conversations, le bruit de la machine à café, les serveurs endimanchés, les maman ad libitum, les petits chagrins à consoler. La vie d’un côté, les mots de l’autre. Et pourtant, il faut bien que les mots sucent la vie, l’aspirent, l’espèrent, qu’ils l’attendent, comme ça, au coin d’une rue, avec cet air de mauvais garçon, avec cette allure de mauvaise fille : donne-moi tout ce que t’as, vas-y raconte-moi tout ce que tu peux, tout ce que tu ne dis à personne, surtout ce que tu ne dis à personne, mais vas-y putain, qu’est-ce que t’attends. Les mots en chien. Qui ont besoin de la nourriture des jours, des matins brumeux et sonnés par la vie, des soirs fiévreux et des corps qui se trouvent, des éblouissements et des orages, des alluvions du temps sur le visage, sur les seins, sur le cœur.
La nourriture des jours.

 


Interview de l’auteure

Que signifie la littérature pour toi ?
Elsa Flageul : La solitude confortable de la lecture, et celle pas toujours confortable mais toujours adorée de l’écriture.

Que représentent pour toi les cafés ?
EF : Des lieux de chaleur, de joie et de temps perdu.

Pourquoi as-tu choisi le Bistro Chantefable  ?
EF : Parce que j’adore les brasseries parisiennes, c’est ce que je préfère, peut-être à cause des films de Claude Sautet, et que Le Chantefable, en plus d’être une brasserie typique et d’être près de chez moi, est pleine de gens tout aussi chaleureux que l’endroit.

Que fais-tu quand tu n’es pas dans les cafés ?
EF : J’écris, je m’occupe de mes enfants, je vis.

 

BIO

Elsa Flageul est écrivaine et vit à Paris, où elle est née. Elle a publié six romans aux éditions Julliard puis aux éditions Mialet-Barrault. Son dernier roman Hôtel du bord des larmes est paru en mars 2021. Elle travaille activement sur le prochain.

Blog Entropy, Barbara Rieger, Alain Barbero, Assaf Alassaf, Eiscafé Venezia, Hausach

Assaf Alassaf | Eckkneipe, Berlin

Photo : Alain Barbero | Texte : Assaf Alassaf | Traduction libre : Redwan Mounajed & Sylvie Barbero-Vibet

 

Et le feu est rouge (le stop)

Je me tiens au feu piéton, attends avec les autres pour traverser tout en observant ceux qui m’entourent : la jeune femme agrippée à son chariot de courses et en conversation avec son amie, le jeune homme aux traits orientaux qui regarde son portable, jetant de temps à autre un coup d’œil au feu, l’homme élancé, dans son costume élégant avec sa sacoche noire en cuir qui secoue son poignet pour faire glisser sa montre de dessous sa chemise, quatre ou cinq jeunes avec leurs voix et rires bruyants ; on partage tous la même attente sans se plaindre du temps qui passe.
Je me souviens de la période suivant mon arrivée ici. Je traversais la rue ignorant le rouge ; pour nulle autre raison que le refus d’appartenir à cet endroit, j’enfreignais sa multitude de règles.
Traverser la rue était un petit test du déséquilibre dans la relation entre moi en tant qu’individu et la société dans laquelle je vis, entre le libre arbitre et la soumission à la loi commune. Dans ce moment de révolte, un petit acte scandaleux comme celui de traverser la rue en ignorant le feu ou de jeter négligemment un mégot de cigarette sur le sol était un acte de résistance inconscient face au sentiment croissant de perte d’identité et à l’effilochement de sa propre âme, de sorte que l’identification aux autres et à l’environnement devenait pesante, une épine qui s’enfonçait dans la blessure identitaire et aggravait encore plus ce maudit déséquilibre.

Le feu piéton ne nous a toujours pas donné l’autorisation !

Je me souviens d’une autre révolte dans un film peu exigeant, racontant l’histoire d’un prince maléfique qui obtenait tout ce qu’il voulait par la force et la coercition : l’argent et le pouvoir, les femmes et les enfants. Mais lorsqu’il tombe profondément amoureux d’une femme, il s’identifie à la nature humaine commune et souhaite être comme les autres, soumis aux lois de la société ; c’est ainsi qu’il demande à la femme son consentement pour l’épouser et lui donner des enfants légitimes, ce qui serait le sauf-conduit de son passage vers l’appartenance au groupe, à la nation, au peuple, et à ses lois et coutumes.
À l’apogée du film, lorsque la femme tente d’échapper au prince, sa mère, sorcière, s’approche et touche avec ses doigts le bas du dos de la femme et dit à son fils : « Prends-la maintenant contre son gré. Elle est en période d’ovulation et plus que jamais féconde et prête à accueillir une grossesse. »

Le feu est toujours rouge !

J’ai toujours été étonné de la capacité de certaines personnes à observer les petits détails de la nature et des êtres humains, leurs journées, leurs comportements et leurs actions ainsi que tous ces petits changements presque imperceptibles, comme si elles écoutaient pleinement le rythme caché de la vie ; et elles forment de ces sons et silences des sciences et des connaissances cosmiques à travers lesquelles elles décryptent le monde, les gens et une partie du futur, loin de la pseudoscience, de la théorie occulte « el-mandeb » et de l’alchimie.

Mon amie allemande lit dans les nuages et les vents et sait si ce nuage lointain va apporter de la pluie ou non, quand il sera là et combien de temps il va pleuvoir, le tout sans GPS ni Google weather ! Cette connaissance, elle l’a acquise à partir de sa longue observation des nuages et de la pluie dans sa petite ville.
Mon amie dit de son père : « Il a un œil qui ne se trompe pas, il connait le sexe du fœtus dans le ventre de la mère avant le verdict du médecin et de l’échographie. »
Il y avait dans mon village de Muhassan, au début du siècle dernier, un homme distingué, un guide qui connaissait Deir ez-Zor et tout le désert syrien ; il suffisait de lui décrire la couleur de la terre et la forme de ses arbres et rochers pour qu’il sache de quelle région il s’agit. Il lisait dans les étoiles et les vents au fil des saisons pour conduire les bergers vers leurs pâturages lointains, pour retrouver la trace des personnes et du bétail perdus, et les ramener à leurs familles. Il mourut au début des années cinquante et cette année porte depuis son nom en hommage (l’année de la mort de Ali Kusa). Par la suite, il n’y plus jamais eu quelqu’un comme lui.

Un court silence se produit, les deux amies arrêtent de parler et regardent ensemble le feu, l’homme élégant regarde sa montre toutes les deux secondes, l’homme aux traits orientaux laisse tomber sa main avec le téléphone le long de son corps et les adolescents sont silencieux et ont sorti leurs mains de leurs poches, lassés des bruits et de l’attente.

Je m’approche du bord du trottoir et mes pieds précèdent de quelques instants le changement de couleur du feu ; enfin j’avance parmi les passants qui ont retrouvé leur brouhaha et au milieu de la rue, je me souviens que j’ai rencontré – quand j’étais enfant – un de ces voyants qui m’avait annoncé une prophétie que je n’aimais pas à l’époque. J’ai décidé ce jour-là de travailler dur pour le décevoir et faire échouer sa prophétie. Au fil des ans, j’ai réussi, mais en avançant sur la bonne voie, j’ai, sans m’en apercevoir, déçu aussi d’autres personnes, d’autres femmes en particulier.

 

 

Original (arabe)

 


Interview de l’auteur

Que signifie la littérature pour toi ?
Assaf Alassaf : La littérature unilatérale a toujours été un moyen de donner un sens au monde qui m’entoure, le petit outil qui creuse dans les couches de la vie complexes et superposées pour les faire remonter à la surface sous forme de questions et d’idées pour la contemplation, l’analyse, le dialogue et la compréhension. C’est aussi une occasion d’échapper à la complexité contemporaine de notre vie et de ses pressions pour aller vers un espace en apparence sûr, mais dans lequel, à la fin, tout le danger réside.

Que représentent les cafés pour toi ?
AA : A dire vrai, j’ai une conception enfantine et rêveuse du café comme lieu alternatif à la maison même pour une courte période de la journée, un endroit qui permet à l’individu d’y trouver un petit coin qu’il meuble à sa guise, où il rencontre qui il veut et fait ce qu’il veut. Après de nombreuses expériences et des visites de cafés de différents pays, une idée semble me tirer la langue, exprimant son sarcasme à propos de moi et de ma perception : vous passez dans un endroit que seuls les passants fréquentent.

Pourquoi as-tu choisi le Café Eckkneipe?
AA : Si la pandémie a fermé le monde et nous a enfermés chez nous, avec distanciations sociales et réunions zoom, elle a aussi, malheureusement, fermé définitivement le café où j’allais à Kreuzberg. J’ai donc choisi l’alternative la plus proche autour de moi : c’était le Café Eckkneipe.

Que fais-tu quand tu n’es pas au café ?
AA : J’ai de nombreuses tâches et responsabilités liées à ma vie : pour mon travail, ma famille et d’autres qui me sont importants au quotidien. Et je pratique le volley, trois fois par semaine, ce qui en fait une activité placée plutôt en tête de mes occupations.

BIO

Né en 1976 à Deir ez-Zor en Syrie, Assaf Alassaf a suivi des études d’odontologie à Damas. Conciliant son métier de dentiste à plein temps avec son activité de journaliste, il publie depuis 2007 de nombreux articles dans des quotidiens arabes comme Al Hayat et Al Mustakbal. En 2013, il quitte Damas pour Nouakchott en Mauritanie pour y travailler en tant que dentiste et part en 2014 pour Beyrouth, où il exerce dans un centre médical pour les réfugiés syriens. Il vit aujourd’hui à Berlin, marié et père de deux filles. Sur Facebook, Assaf Alassaf écrit depuis 2013 des anecdotes littéraires sur la révolution et la guerre dans son pays, sur son séjour en Mauritanie, sur sa vie au Liban et sur le cabinet dentaire. Des posts et des histoires sur « Abu Jürgen, l’ambassadeur allemand », ont été écrits entre novembre 2014 et février 2015 et publiés en 2015 sous le titre Abu Jürgen. Ma vie avec l’ambassadeur allemand (roman) aux éditions mikrotext, traduction de Sandra Hetzl . Début janvier 2016, il a obtenu une bourse dans la cadre du « Literarisches Colloquium Berlin », et de mai à juillet 2016, il a résidé au château de Solitude.

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Barbara Peveling | Café la Coopérative, Paris

Photo : Alain Barbero | Texte : Barbara Peveling | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

être pierre

si je pouvais dire,
les pierres vagabondent la nuit
& qui leur indique la voie
obtient un voeu.

quel gâchis
à la surface de la terre où
des murs de brume flottent en fleurissant,
résistant à la gravité.

dans cette perspective troublée
je devine une vie,
qui ne m’appartient pas.

les nuages s’éloignent
je leur fais signe, ce sera
un adieu qui prend son temps.

l’âge de pierre est
la plus longue
période de notre histoire.

 


Interview de l’auteure

Que signifie la littérature pour toi ?
Barbara Peveling : La littérature est l’oxygène dont mon cerveau a besoin pour respirer.

Quelle importance les cafés ont-ils pour toi ?
BP : Les cafés sont une bonne chose. On peut y écrire, lire, rencontrer des gens et manger des choses délicieuses. Et la cerise sur la gâteau : on n’a pas besoin de débarrasser.

Pourquoi as-tu choisi le Café la Coopérative ?
BP : La Coopérative représente pour moi l’union entre la littérature et la créativité parentale. C’est ici que je vais avec mon mari après avoir déposé nos enfants au superbe Musée en Herbe pour une visite ou un atelier.

Que fais-tu lorsque tu n’es pas au café ?
BP : Être mère et écrire

 

BIO

BarbaraPeveling est auteure, anthropologue et titulaire d’un doctorat. Son roman Wir Glückpilze est paru en 2009 aux éditions Nagel und Kimche, Rebellion en 2017 aux éditions Goldegg. Son travail a été récompensé par de nombreux prix et bourses. Avec Nikola Richter, elle a sorti une anthologie Kinderkriegen aux éditions Nautilus. Barbara Peveling est membre du comité de rédaction du blog otherwriters.de et du podcast Medusa spricht.