Raphaela Edelbauer & Jana Volkmann | Café Kriemhild, Vienne
Photo : Alain Barbero | Texte : Raphaela Edelbauer, extrait du roman Die Inkommensurablen (parution 2023) | Trad. : Sylvie Barbero-Vibet
Puis la lumière du soir a surgi, trompeuse, étouffante et soudaine.
Au milieu de l’agitation, le crépuscule nautique avait surpris la ville ; il s’était emparé des bras des gens encore humides de sueur, sur lesquels la chair de poule se propageait, car chacun était encore légèrement vêtu en raison des chaudes journées. Pendant tout l’été, l’étoffe solide d’un été indolent avait recouvert le ciel, vide d’orages et empli de la chaleur résiduelle. C’est ainsi que l’on se nourrissait encore dans les jardins et terrasses des cafés.
Mais tout à coup, on prit conscience que les aiguilles étaient tombées des cadrans et que, surprises par leur propre élan, elles oscillaient à nouveau au-dessus du chiffre neuf. Dans le même temps, les étoiles et le reflet déclinant de la journée d’été sursautèrent de leur rencontre.
Les gens, dont la peau exposée s’était soudain mise à trembler comme les crêtes de vagues, étaient encore assis à l’extérieur en riant et tentaient de faire disparaitre ce coup de tonnerre derrière des anecdotes. Pendant ce temps, la lumière se dispersait et se drapait progressivement de noir. D’abord rougeâtre, puis brisée par les faîtières en stuc des lieux, la soirée se déployait sur eux. D’un seul coup, l’excitation se répandit comme un murmure et il devint clair pour tous. Demain, l’ultimatum expirerait.
Tir de salve, attaque sur la tour, c’était la guerre.
Mais le couvre-feu n’était pas encore arrivé. Il ne se montrerait pas avant le lendemain matin. De plus en plus de gens se pressaient dans la rue, alors que les terrasses des cafés étaient depuis longtemps pleines à craquer. On s’installait donc dans la rue, comme pour montrer à l’extérieur que son propre corps n’était déjà plus le sien, mais appartenait à la société. Ce qui, rationnellement, était encore retardé par une nuit d’inertie, était déjà décidé dans l’habitus : un corps populaire, un corps guerrier.
Interview de l’auteure
Que signifie la littérature pour toi ?
Raphaela Edelbauer : La littérature est à la fois une philosophie appliquée et le moyen le plus direct d’aborder ma question existentielle, à savoir ce qu’est réellement le langage. Elle est politique en ce sens que nous ne pouvons pas quitter le média dans lequel elle se déroule, même pas pour en discuter.
Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
RE : En tant que Viennoise, c’est certainement une honte de dire cela, mais : pour mon processus d’écriture, aucune. En privé, j’aime profondément cette ville et donc sa culture des cafés – même si l’élément discursif pour lequel elle était célèbre dans le passé devrait être davantage encouragé.
Pourquoi as-tu choisi le Café Kriemhild ?
RE : C’est mon amie Jana Volkmann, qui est sans conteste assise à côté de moi sur la photo, qui l’a choisi.
Que fais-tu lorsque tu n’es pas au café ?
RE : Écrire, ramer et jouer aux jeux vidéo sont mes piliers.
BIO
Née à Vienne en 1990, Raphaela Edelbauer a notamment reçu pour ses livres le prix du public Bachmann, le prix littéraire Rauriser et le prix Theodor Körner et a été nominée pour le prix du livre allemand. Dernièrement, elle a remporté le prix du livre autrichien pour DAVE (2021)