Marcelle Ratafia | Le Buisson Ardent, Paris
Photo : Alain Barbero | Texte : Marcelle Ratafia
Écrire des bouquins, moi ? Je n’aurais jamais parié là-dessus. Ma vie au travail a été faite d’aventures, de hasard, m’amenant des ateliers de dessin aux rues de Montmartre, d’un restaurant de l’avenue Georges V à l’enseignement… Quand tout à trac, avant de siffler mes 30 bougies, l’industrie du livre m’est tombée dessus comme le port salut. Comment aurais-je pu écrire cet ABC de l’argot, mon gros bébé au langage de charretier, s’il n’y avait eu les bistrots ? C’est au Mouffetard que j’ai lambiné pour recommander un café, absorbée par l’écriture de fausses citations argotiques. C’est au comptoir du Verre à Pied qu’un jour de pluie où mon sombre 2-pièces aurait donné au champion de la joie l’envie de se pendre que j’éclusais mon caoua, écoutant l’air de rien les saillies drolatiques de piliers de comptoir en verve. C’est sous les lumières dorées du Louis-Philippe, à l’ombre du vénérable escalier, que je sirotais mon café crème à la santé de mes premiers contrats. C’est enfin à l’abri des fresques 1900 de mon cher Buisson Ardent que j’ai fêté la sortie de ce livre et des autres bouquins, que je continue à écrire à l’ombre des ca-fées. C’est là qu’Alain, aussi pipelette que moi, m’a tiré ce portrait pendant que sans nous connaître, nous jactions à bouche rabattue de Paris, des vieux films, de mes bistrots chéris et des cinémas du Quartier Latin, autre lieu de repli stratégique. Avec son regard de môme et sa faconde passionnée, le rusé photographe me fit oublier qu’il allait débusquer cette expression pensive. Une trogne caractéristique, sans doute, de mes stations prolongées dans mon café d’élection, où le temps coule comme un café au perco.
Interview de l’auteure
Que peut faire la littérature ?
Marcelle Ratafia : Si la littérature ne peut malheureusement pas grand chose pour la paix dans le monde, elle aura toujours le devoir d’emporter, absolument !
Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
MR : Un repaire, un abri, un lieu de vie, un endroit qui me protège assez pour avoir à mon tour l’envie de ne pas le voir défiguré.
Où te sens-tu chez toi ?
MR : Au comptoir : c’est une manie de parisienne, le café n’est pas cher, on y observe les serveurs qui s’y affairent, les gens qui passent en humant le café tout juste moulu.
BIO
Passionnée d’étymologies comestibles, Marcelle Ratafia est autrice, journaliste et critique culinaire.
Tirant son pseudo d’une chanson des Négresses vertes, elle a signé Les ABC de l’argot, du foot et de la mode, elle a publié chez Le Robert 150 drôles d’expressions de la cuisine et Parlons vin, parlons bien, qui lui a valu le prix Curnonsky 2023 du vin. Dans le milieu, on l’appelle la Bectance, car il vaut mieux l’avoir en portrait à l’heure du dîner!