Anicée Willemin | Brasserie Le Cardinal, Neuchâtel (Suisse)

Photo : Alain Barbero | Texte : Anicée Willemin

 

Aujourd’hui je n’ai rien fait. Mais beaucoup de choses se sont faites en moi. Roberto Juarroz 

De mon rêve j’ai basculé dans le tien
Un jour de février 2024, un jour de janvier 2025. Faille spatio-temporelle. De Neuchâtel à Lausanne, puis retour à Neuchâtel, dans le café que j’affectionne tout particulièrement, le *Cardinal*. 
Art nouveau, ambiance baroque, vert-de-lysé et vert-de-gris, catelles vert menthe, fleurs mordancées, paysages fantasques, oiseaux – grues et paons finement ciselés. Presque des estampes d’Hokusai.
Se sentir bien, s’y sentir bien. 
À toute heure, quand le temps s’en vient, quand le temps est là.
De mon rêve j’ai basculé dans le tien
Café prélude à la rencontre, café prélude à toute rencontre. 
Une rencontre imaginée, immémoriale, indescriptible.
Moment de grâce en soi et hors de soi.
Observation frénétique, temps disjoint.
À toute heure, quand le temps s’en vient, quand le temps est là.
Quand l’esprit est là, quand l’esprit s’en vient.
De mon rêve j’ai basculé dans le tien
Moment de convocation, moment suspendu.
Les ailes du désir, l’appétence de quelque chose à entendre, de quelque chose à dire, de quelque chose à écrire. 
– Ce café me plaît tout particulièrement, je me sens représentée par son décorum. –
Oiseaux gracieux, fleurs sauvages, fleurs imaginaires, tournesols graciles. 
Je me sens tourneboulée par tout ce vert catelle. 
Lieu propice à la rêverie.
Lieu pétri de verdure comme une enchanteresse apnée.
Observation frénétique, temps conjoint.
Je me retourne / le lilas est en fleur. (Gilbert Trolliet)
Narcissus poeticus
De mon rêve j’ai basculé dans le tien
Quand l’esprit est là, quand l’esprit s’en vient.
À toute heure, quand le temps s’en vient, quand le temps est là.
De mon rêve j’ai basculé dans le tien
Pastel historique comme un bonbon d’antan – bonbon revivifié. Vert. Vert comme mon rêve.
De mon rêve j’ai basculé dans le tien

Avec en toile d’accompagnement l’ouvrage de Colette Nys-Mazure, La Grâce et la Rencontre, paru en février 2024 aux Éditions POESIS, dans la collection Habiter poétiquement le monde.

 


Interview de l’auteure

Comment pouvons-nous encore nous asseoir confortablement dans un café face à la situation du monde ?
Anicée Willemin : Pour ne pas perdre pied. Dans une urgence silencieuse et/ou bruitiste.

Pourquoi écrire et lire encore ?
AW : Pas à pas, suivre la flèche d’or, et le fil rouge. Celui que l’on se souhaite. Celui que nos pas se souhaitent. Les pas sont une pensée. Les pas sont une écriture. Les pas sont une lecture. Flèche et fil. Fil et pas. Ceux que l’on souhaite voir venir. Ceux que l’on se souhaite de voir venir. Voir venir. De voir venir. Fil et flèche. Pas et fil. Voir venir.

Le café (ou le café que tu as choisi) est-il plutôt un lieu de retraite, de recueillement, ou bien un lieu de rassemblement ?
AW : Tous ces aspects à différents moments. Par moments, juste l’un. Par moments, juste l’autre. Par moments, juste le troisième. Par moments, un autre encore. À d’autres moments, tous ces aspects mélangés et dans une symbiose complète. J’aime cette idée de la pluralité mise bout à bout qui forme ainsi un tout. Et qui se souvient. Et qui se soulève. Et qui se soulève face à l’injustice du monde. La grande insurrection. Retraite, recueillement, rassemblement. – On peut se sentir comme descendre en soi et vivre un moment de recueillement méditatif tout en étant très accompagnée et dès lors, se rassembler, rassembler ses propres morceaux. – Le café est un pas en soi. Le café est des pas en soi. Et hors de soi.

 

BIO

Anicée Willemin est a-ni-c. Elle est et devient ce qu’elle est en train de devenir. Portée par des souffles d’absolu vrombissant, c’est principalement vers des espaces poético-fragmentés qu’elle a tourné ses regards, et qu’elle a nourri sa musique, tandis que celle-ci la nourrissait. Elle vient d’un petit village jurassien, et est une fraîche quarantenaire qui caracole, qui cabriole à travers prés et qui n’a de cesse d’essayer la vie, et celle de l’écriture verdoyante. Son premier recueil de poèmes, Les balcons étaient comme des roses d’eau entêtantes, a paru en mars 2023 aux Éditions du Griffon, à Neuchâtel (Suisse).