Alexandre Caldara | Bistrot Chauffage Compris, Neuchâtel (Suisse)

Photo : Alain Barbero | Texte : Alexandre Caldara

 

douces bribes d’un western hélvétique en clair obscur

le photographe l’inconnu Barbero vient sonder ma pomme Caldara dans mon bistrot le chauffage compris ce 14 janvier à Neuchâtel il me raconte son histoire de cinéphile de ciné-fils sa vision du film mauvais sang de léos carax rencontre ma pomme et rapièce mon expérience de ciné errant tout cela suinte scintille dans mon bistrot et réactive «des voix de vieux films de cinéma» comme on l’entend précisement dans mauvais sang 

oh misère lecteur 
laisse-toi entraîner vers les zones zombies du zinc
donc je reprends ma dérive en ce 14 janvier mon bistrot commémore ses 30 ans il présente une ardoise un menu du jour concassage de saveurs à croquer et là arrive le photographe l’inconnu il me parle de sa vie d’avant de fonctionnaire ferroviaire qui chérit d’avantage que le rail la salle obscure 

une nuit il plus que voit 

il se laisse transpercer par le cri du film mauvais sang le lendemain matin tremblant d’une nuit sans sommeil il fait figurer sur l’ardoise de son lieu professionnel le séisme la névralgie il inscrit mauvais sang en lettres d’or cela sidère ses collègues et le propulse sur les rails de sa vie à venir de photographe 

les deux ardoises celle du chauffage compris et celle du photographe inconnu se collisionnent 

moi ma pomme je reçois tout cela par le corps et je danse face à l’objectif le photographe celui qui immortalise avec un petit appareil numérique et des tonnes de négatifs nostalgiques dans son bagage noir et blanc actionne une certaine vitesse qui relance le mouvement

les ardoises retrouvent leur condition de matière noire
ma pomme repense au bistrot le chauffage compris où j’ai mangé une tarte tatin elle me hante comme le film mauvais sang 
tout ça pour ma pomme
le photographe Barbero et moi Caldara ne sommes plus des inconnus nous voilà liés noués libérés politisés esthétisés par le chaud mauvais sang et le chauffage compris où on ne gèle pas diantre
après tout mauvais sang comprend une scène d’anthologie de bataille de mousse à raser hommage délicat au big shave de martin scorsese ma recontre avec Barbero ressemble à la mousse à raser de mauvais sang elle danse joyeusement

 


Interview de l’auteur

Que peut faire la littérature ?
Alexandre Caldara : Elle commence par s’écarter du mot pouvoir. Elle tend la joue à l’animale lecture. Ou pour en parler autrement, le non pouvoir merveilleux de la littérature permet d’ouvrir les « Détectives sauvages » roman caverne lumineux de Roberto Bolaño, face au vent, à n’importe quelle page, et sentir ce sentiment nécessaire pour sortir de la banalité.
Ce souffle de poésie viscérale.

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
AC : Je perçois les cafés comme des cocons, des citadelles de sable, des salles d’attente, de séjour. Les bistrots que j’aime transportent en eux un bout d’anonymat froissé qui dialogue avec les foules.

Où te sens-tu chez toi ?
AC : Seul en fondant la compagnie des autres.
Face à deux guitares flamenca qui protègent ma bibliothèque free jazz.

 

BIO

Alexandre Caldara, poète, performeur, journaliste, né à Neuchâtel, en 1977, vit dans cette ville après des détours par la Seine et le Gange. Improvisateur de syllabes fragiles en bouche, il écrit depuis qu’il s’en souvienne. Il publie depuis 2015, une petite dizaine d’ouvrages, dont L’Emacié, Volubiles Nudités et Mystère Bouffe aux éditions Samizdat; Peseux Paterson chez D’autre Part; Demi-Nuit aux éditions, A Côté de cela et Pulp Vendange aux éditions du Griffon. La Revue des Belles Lettres a publié ses contributions sur le dadaïsme et les écrits bruts. Ses mouvements de danse doivent beaucoup à sa fréquentation du butō et aux dignes maîtres du cri silencieux Kazuo et Yoshito Ohno.