Anne Morelli | Brasserie Verschueren, Bruxelles
Photo : Alain Barbero | Texte : Anne Morelli
J’ai donné rendez-vous pour cette rencontre avec Alain Barbero à la Brasserie Verschueren. Son gérant, Bertrand Sassoye, m’est sympathique et nous avons partagé un certain nombre d’idées.
Mais un jour nos chemins se sont séparés…
J’ai 100 fois dans ma vie, tonné contre les banques et leurs escroqueries en disant « Il faudrait leur foutre une bombe ». Malgré cette affirmation, je ne l’ai jamais fait mais Bertrand Sassoye bien ! Le groupe dont il faisait partie (les « Cellules communistes combattantes ») veillait à ne s’attaquer qu’ à des symboles peu défendables du capitalisme : entreprises produisant des armes, banques, locaux de l’OTAN ou de la gendarmerie, bureau de recrutement de l’armée. Ces attentats (une vingtaine) étaient programmés pour ne jamais atteindre des innocents.
Mais le premier mai 1985, une erreur de transmission entraîne la mort de 2 pompiers.
Le groupe est arrêté à la fin de cette même année et condamné en 1988 à la prison à perpétuité. Alors que la date de leur possible libération conditionnelle est atteinte, ils sont cependant maintenus en détention jusqu’en 2000 et 2003. Des assassins ayant tué femme et enfants sont libérés après 7 ou 8 ans de prison pour bonne conduite mais eux devaient faire la preuve qu’ils avaient renoncé à leurs idées. Peut-être par une déclaration publique affirmant que le capitalisme était désormais moral ?
J’ai suivi une voie très différente de la leur.
Par l’enseignement universitaire et la vulgarisation des luttes du passé, j’ai tenté de sensibiliser des générations entières (1200 étudiants suivaient chaque année mon cours de Critique historique à l’Université de Bruxelles) à l’esprit critique et à l’action. Ma façon à moi de « semer » chez les jeunes des graines contre le désespoir et le sentiment d’impuissance qui les habitent trop souvent.
Interview de l’auteure
Comment pouvons-nous encore nous asseoir confortablement dans un café face à la situation du monde ?
Anne Morelli : Alors que des milliers d’innocents sont chassés de leurs terres ancestrales, déportés, bombardés, affamés, assassinés, sous nos yeux, il peut certainement apparaître inconvenant de s’installer confortablement dans un café pour y savourer sa boisson préférée. Mais le café peut aussi être – loin de la surveillance de nos gsm – lieu de rencontre, de discussion, d’élaboration de projets. Lieu de résistance aux médias menteurs, aux politiciens complices.
La Révolution française n’a-t-elle pas mûri dans les cafés ?
La littérature peut-elle encore sauver le monde ? / Pourquoi écrire et lire encore ?
AM : Des milliers de livres – ne serait-ce qu’en français – sont publiés à chaque rentrée littéraire. Et chaque année des centaines de milliers d’exemplaires de ces livres sont envoyés au pilon. Chaque auteur pensait avoir écrit une œuvre géniale et unique. Le « marché » de l’édition n’a gardé que les livres « rentables » que leur promotion emmène vers le succès. L’intelligence artificielle est, paraît -il, capable d’écrire des romans. Je n’en doute pas (les rayons des libraires sont pleins de niaiseries) mais pourra-t-elle concurrencer Guerre et Paix ?
Plus modestement, je me réjouis que certains de mes livres aient eu un impact politique : contre la bêtise nationaliste, par exemple, qui, dans chaque pays , tord l’histoire pour se présenter comme un peuple exceptionnel. Ou pour mettre en garde les lecteurs contre la propagande de guerre, en dévoilant ses mécanismes toujours semblables, toujours efficaces.
Peut-il y avoir un langage littéraire pour l’activisme ? Ou est-ce que les deux sont séparés ?
AM : Il n’est pas de langue particulière à l’activisme mais écrire et parler de manière compréhensible pour un large public est indispensable si on veut diffuser ses idées.
Cela ne veut pas dire qu’il faut simplifier à l’extrême sa pensée mais l’exprimer de manière à être entendu.
Un effort que tous les « intellectuels » n’assument pas…
BIO
Anne Morelli est historienne, professeure honoraire de l’Université de Bruxelles (ULB). Les ouvrages collectifs qu’elle a dirigés proposent une autre histoire que la version classique du nationalisme : histoire des rebelles, des subversifs, des étrangers, des Belges émigrés et réfugiés de guerre… Son petit livre Principes élémentaires de propagande de guerre est devenu un classique, mis à jour fréquemment et traduit en 8 langues dont le japonais et l’espéranto.