Elisabeth R. Hager | Fräulein Wild, Berlin
Photo : Alain Barbero | Texte : Elisabeth R. Hager | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet
Café Rainer ou
La naissance de l’auteur dans l’esprit du Melange
Depuis que j’ai de l’argent à dépenser, je suis attirée par les cafés. Mon premier, et toujours mon préféré, est le Café Rainer à St. Johann in Tirol. Un café sombre aux allures presque viennoises qui s’est miraculeusement égaré dans une station de ski du Tyrol. Tout comme je suis miraculeusement née moi – un être intellectuel aux longues antennes – dans une famille tyrolienne de paysans montagnards travailleurs. J’ai passé de nombreuses heures au Café Rainer lorsque j’étais lycéenne. Quand j’avais une heure de libre ou que j’en avais besoin d’une, je m’asseyais dans le coin le plus sombre. Je soufflais des ronds de fumée en direction des boiseries sombres, je buvais mon Melange et je rêvais du futur. Les après-midis, j’étais là avec des amis, je discutais, je riais ou je me disputais. Mais comme souvent dans la vie, le plus important se passait le soir. C’est à ce moment-là qu’il y avait une lecture, tous les mois plus ou moins régulièrement. De ma douzième à ma dix-huitième année, je n’ai pratiquement jamais manqué un événement. À l’époque, j’ai vu H. C. Artmann, Robert Schindel, Sabine Gruber, Robert Menasse, Evelyn Schlag. Ils m’apparaissaient comme des êtres sortis d’un rêve, des prémonitions de mon propre avenir, aux vagues contours. Aujourd’hui, à chaque fois que je suis à St. Johann avec ma famille, je vais au Café Rainer. Comme un saumon, je reviens sur le lieu de ma naissance spirituelle. Mon mari commande volontiers une omelette. Notre grande fille, la glace surprise. Et moi, je bois mon Melange et je me réjouis de voir à quel point le profane et le sacré s’entremêlent ici. Même s’il n’y a plus de lectures depuis longtemps, même si H. C. Artmann est mort depuis de nombreuses années et que presque personne ne fume plus sérieusement : le Café Rainer est toujours là. Et il est toujours plein d’avenir jusque sous les plafonds lambrissés.
Interview de l’auteure
Que signifie la littérature pour toi ?
Elisabeth R. Hager : C’est en écrivant et en lisant de la littérature que je me rapproche le plus de moi-même et du monde. La littérature est mon moyen de contact préféré, un lieu de consolation et de rencontre avec des amis encore inconnus…
Quelle importance les cafés ont-ils pour toi ?
ERH : Ils sont des îlots de repos, des lieux de camping, des lieux de travail, des plateaux de présentation et des zones de flirt. A chaque table, d’autres lois s’appliquent. Le privé et le public s’y côtoient. Le café est leur zone d’immersion, un lieu de rencontre.
Pourquoi as-tu choisi le Fräulein Wild ?
ERH : Il y a l’endroit où je me trouve physiquement et – lorsque je suis seule – presque toujours un second lieu. Ce dernier, mon headspace, est habité par mes émotions. Fräulein Wild est un lieu où j’écris souvent. Les raisons sont profanes. Il se trouve à mi-chemin entre le jardin d’enfants de ma petite fille et notre maison. De plus, les fauteuils sont confortables, le café est bon et – I must admit – le nom me parle…
Que fais-tu lorsque tu n’es pas au café ?
ERH : Je respire, je danse, je lis
joue avec les mots
avec les enfants
ailleurs.
BIO
Elisabeth R. Hager est écrivaine, artiste sonore et collaboratrice du département de pièces radiophoniques de Deutschlandfunk Kultur. Elle a reçu de nombreuses distinctions pour son roman Fünf Tage im Mai, notamment la bourse littéraire Hilde Zach de la ville d’Innsbruck en 2018. Elle vit avec sa famille entre Berlin, le Tyrol et la Nouvelle-Zélande. Son troisième roman Der tanzende Berg paraîtra en août 2022 aux éditions Klett-Cotta.