Erwin & Johanna Uhrmann | Café Stein, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Erwin & Johanna Uhrmann | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet   

 

Peut-on vraiment travailler sur des textes dans des cafés ? Impossible. Se rencontrer, bavarder, boire trop de café noir ou de thé, oui. Mais travailler ? Non. Tout au plus répondre à un e-mail, prendre quelques notes, faire semblant de feuilleter un livre sur lequel on ne peut de toute façon pas se concentrer en raison du bruit, ou écouter les conversations indiscrètes des voisins.  
Bien sûr, Vienne est la ville de la littérature de café. Ce qui est étonnant, c’est qu’il ne s’agit pas d’un phénomène historique de la fin du siècle ou de l’après-guerre. Il y a toujours quelqu’un assis quelque part qui tape la tête baissée sur son clavier voire qui écrit à la main. Certains aiment ça ? Grand bien leur fasse  !
Ce qu’il y a de plus beau dans les cafés viennois n’a cependant rien à voir avec l’écriture, ou peut-être que si, d’une certaine manière. Il s’agit tout simplement d’un phénomène, qui semble s’y produire automatiquement et qui fait que l’on a tendance à oublier le temps, même en pleine journée. Un phénomène qui nous frappe généralement après minuit, que la science appelle Mind after Midnight, et qui, dans le meilleur des cas, naît d’une certaine euphorie face au quotidien ou du rationnel qui s’estompe. En plein milieu de la journée. On se fiche alors soudain d’être en retard à un quelconque autre rendez-vous. Il y a encore tant de choses à se dire. Les conversations deviennent soudain elles-mêmes de la littérature. On peut s’enraciner, entre 13 et 16 heures (et non pas, comme le chante Rainhard Fendrich, « entre une et quatre heures » – en référence à l’heure précédant le lever du soleil). Tout cela se passe sans aucune ivresse. Deux doubles expressos, un soda citron ou un thé vert suffisent. C’est pourquoi l’intérieur d’un café est toujours préférable à l’extérieur. C’est comme monter à bord d’un vaisseau spatial qui glisse à travers la nuit éternelle. Cette description s’applique parfaitement au Café Stein qui, contrairement à de nombreux autres cafés, est ouvert jusque tard dans la nuit. À la table à droite de l’escalier, dans le coin, se trouve le pont. Nous avons pu nous en rendre compte nous-mêmes une fois à une heure très tardive. 

 

 


Interview des auteur(e)s

Que peut la littérature ?
Erwin & Johanna Uhrmann : La littérature peut à peu près tout. Surtout lorsqu’elle se présente en grand nombre. Une bibliothèque pleine, par exemple, est un monde complexe. Deux étagères pleines constituent déjà deux mondes complexes. Un appartement entier rempli de livres, ou même une bibliothèque, est un vaste enchevêtrement de mondes. 

Quelle est l’importance des cafés pour toi/vous ?
EU & JU : On apprend à apprécier les cafés en visitant des endroits où il n’y en a pas. Si l’on est assis dans un café où l’on reçoit l’addition dès que l’on a été servi, il est clair que l’on doit s’en aller après avoir terminé son verre – et qu’on n’aura pas le sentiment qu’il s’agit d’un espace sans contraintes. Il va de soi que l’on doit consommer dans un café. Mais on finit aussi par l’oublier. Tout comme on oublie, en se promenant, que chaque mètre carré est occupé par quelqu’un. Dans les cafés aussi, on oublie le monde où prime la propriété et on considère l’espace comme un bien commun. 

Où te sens-tu toi / Où vous sentez-vous chez vous ?
EU & JU : Chez soi est une notion qui s’étend constamment à partir d’un point. Nous sommes chez nous dans notre appartement à Vienne, devant les tableaux de Michaela Mück ou d’Oswald Tschirtner, dans une maison de Frank Lloyd Wright, dans les ruelles de Ribe, sur le marché aux choux à Brno, et souvent aussi dans les livres.

 

BIO

Erwin Uhrmann est auteur, éditeur, rédacteur et vit à Vienne. Il a publié les romans Der lange Nachkrieg, Glauber Rocha, Ich bin die Zukunft, Toko, Zeitalter ohne Bedürfnisse, les recueils de poésie Nocturnes et Abglanz Rakete Nebel ainsi que le recueil K.O.P.F. – Kartografisch Orientierte Passagen Fragmente, en collaboration avec Karlheinz Essl. Depuis 2016, il est éditeur de la série de poésies Limbus Lyrik, et depuis 2021, rédacteur littéraire au Spectrum du quotidien Die Presse.  www.erwinuhrmann.com
Johanna Uhrmann est graphiste, photographe, historienne de l’art et vit à Vienne. Elle a notamment publié un livre scientifique sur l’architecte viennois Anton Valentin et conçoit des catalogues et des livres d’art pour des musées ainsi que des ouvrages spécialisés et des magazines. Elle aime l’architecture et les voyages. www.johannauhrmann.at
Johanna et Erwin Uhrmann écrivent ensemble des livres de voyage.