Guillaume Métayer | Le Select Montparnasse, Paris

Photo : Alain Barbero | Texte : Guillaume Métayer

 

Au café Select

Je suis à la terrasse du Sélect, il est tard, très tard, quand je crois voir passer une petite machine à coudre sur le sol. Elle est toute ronde et minuscule, pas plus grande qu’un biceps de petit frimeur. Ce muscle passe, comme si de rien n’était, au rythme régulier d’une fermeture éclair, d’une voiture électrique, sans dévier jamais. La régularité est sa formule magique d’invisibilité. Sa politique de l’autruche. De temps en temps le zip s’arrête, puis il repart soudain et pourtant sans sursaut. La couturière attentive, concentrée sur son ouvrage, suture en silence quelque chose sous les tables, répare sans doute un morceau du monde en sourdine. L’auto miniature se fige puis redémarre comme si elle s’était remontée toute seule. Elle semble aussi erratique que régulière, comme si son mécanisme était détraqué. Mais elle n’a pas du tout l’air cassée. Elle est toute lisse, au contraire, d’un parfait gris clair tout uni. Une atmosphère de calme et de sérénité se dégage de ses allers-venues alertes et ponctuelles. J’imagine qu’en suivant un à un, de pied de chaise en pied de chaise, les grains du risotto aux langoustines, le mégot noir d’une frite trop cuite, une miette de pain, elle dessine quelque chose qui est visible d’en haut. Elle fait son travail d’éboueuse discrète comme un aspirateur automatisé, et je suis fier de l’avoir aperçue, entre robot et rabot. Paris est encore plein de ces menus événements et émerveillements, de ces petits scandales sur lesquels on n’ouvre qu’à moitié les yeux, comme un chat fatigué. Ce matin, j’étais déjà là, dans mon café préféré : chasseur à la retraite, l’angora du patron allait de table en table par les chapelières. L’ogre, à cette heure, doit paillarder dans quelque étage céleste de ce conte de fée, le café. Il ne prête aucune attention à cette proie potentielle, à ce petit Poucet qui vogue de miette en miette pour figurer une Grande Ourse dont j’essaye sans y croire de suivre le fil somnolent.

 


Interview de l’auteur

Que peut faire la littérature ? 
Guillaume Métayer : Tout, plusieurs fois. Le monde donc : le faire et le refaire, sans arrêt. Mais c’est un tout pluriel et conditionnel, ce qui le rend supportable.

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
GM : Ils me font un peu peur, comme des sables mouvants, la peur de ne plus savoir son chez-soi. Si bien que je ne les fréquente pas tant que sans doute je le devrais. Bien sûr, je prends des cafés avec mes amis, mes collègues, mais je n’ai pas trop l’habitude de travailler au café. J’aime bien le Select parce que son chic sans âge instaure comme un non-temps, la gentillesse de ses serveurs et l’absence de musique un non-lieu. Je me sens protégé par l’intemporel.

Où te sens-tu chez toi ?
GM : Dans certains métros, à certaines saisons. Je m’assois et j’attends que la rame sorte de terre et qu’elle revienne surplomber la Seine, côtoyer les balcons haussmanniens… Je tourne la tête pile au moment où entre les dents de la chance de deux immeubles apparaît la silhouette du Taj Mahal de Montmartre. Le parfum bon marché qui traîne dans l’air me rappelle les dimanches de mon adolescence. Rien n’est plus confortable alors qu’un strapontin.

 

BIO

Guillaume Métayer est poète, traducteur et historien de la littérature. Son dernier recueil de poèmes, Mains positives, vient de paraître à la Rumeur libre éditions (2024). Ses textes ont été traduits dans une douzaine de langues. Il porte nombre de voix centre-européennes en français, tant de poètes contemporains, tels István Kemény, Aleš Šteger, Krisztina Tóth ou Andreas Unterweger, que romantiques et modernes, comme Attila József, Ágnes Nemes Nagy, Sándor Petőfi ou encore les poèmes de Friedrich Nietzsche et d’Arthur Schopenhauer.