Kersten Knipp | Café Bauturm, Cologne

Photo : Alain Barbero | Texte : Kersten Knipp | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet  

 

Et puis cette brise se propage à l’intérieur, à quatre heures de l’après-midi, et avec elle la lumière, qui glisse sur les larges parasols sur le trottoir à l’extérieur, ludique et sans effort. Ici, à deux mètres du sol, rien ne l’arrête, et elle t’enlace, s’entremêlant avec l’ombre de la salle, dont une extrémité se prolonge sur la rue, ouvrant le regard sur les gens en contrebas, ces clients assis aux tables dehors, tandis que tu as monté les quelques marches pour atteindre la partie supérieure du café, cette place heureusement inoccupée qui te plonge toujours dans un dilemme, car tu ne sais pas quelle est ta relation avec les autres clients : es-tu l’un d’entre eux, dans ce café, ou en es-tu séparé par la légère surélévation, isolé comme un flâneur assis, prenant conscience des autres, et te faisant ainsi sentir à part ? Le Café Bauturm de l’Aachener Straße est pourtant un lieu de communication presque intemporel, précurseur et stimulateur de ce mode de vie urbain qui va désormais de soi à Cologne (il n’en a pas toujours été ainsi), où le café et la scène sont associés : pour toi, c’est depuis longtemps (pas si longtemps) un lieu de rencontre, mais en même temps, c’est aussi un lieu où l’on peut regarder les autres vivre, où l’on peut saisir des bribes du présent, de ce qu’il peut être. Tout cela de préférence, comme tu aimes te l’imaginer – et pas seulement en été – quand la mer est juste au coin de la rue, que sa brise souffle, tout cet air chaud qui n’est pourtant rien d’autre que le présent ardent. Le Café Bauturm, lieu de contemplation, d’émotion, de gratitude.

 


Interview de l’auteur

Que peut la littérature ?
Kersten Knipp : La littérature ouvre sur de nouveaux mondes. N’y avait-il pas quelque chose sur la page : une idée, une sensation, une suggestion ? Si, et ainsi tu te laisses porter, à travers le texte devant toi, à travers d’autres textes qui mènent à leur tour à d’autres, un voyage tous les jours, la Bibliothèque infinie de Borges. La littérature, un souffle chaud – peut-être de l’éternité ?

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
KK : Tu t’assieds, tu bois et tu regardes. Tu t’imprègnes du monde, des visages, des mouvements, des comportements. Le temps se concentre dans le café, tu peux l’observer, humer son esprit. Il y a quelque chose qui souffle dans l’air, le souffle du café, mais pas seulement. Le café est une rencontre, avec quelque chose ou quelqu’un, peu importe.

Où te sens-tu à la maison ?
KK : une maison : un espace isolé par des murs. Si tu prends cela au pied de la lettre, tu te sens chez toi assis à ton bureau : isolé, seul avec toi-même et tes livres, un dialogue muet. Quelque chose de nouveau naît à ton bureau. Et n’est-ce pas là le plus important qui caractérise les lieux familiers : le fait que tu y crées quelque chose de nouveau ? 

 

BIO

Probablement romaniste avant tout, à l’affût des pays romans, de ce qui les relie à l’Allemagne, de leur passé à notre présent. Espoir : nous sommes liés par l’élégance, aux origines parisiennes de laquelle j’ai récemment consacré un livre, Die Erfindung der Eleganz (Éd. Reclam, Philipp, 2022) ; par l’art de la conversation également, que j’ai traqué, Im Gespräch (Éd. zu Klampen, 2024).