Lauren Malka | Le Gourbi Palace, Paris

Photo : Alain Barbero | Texte : Lauren Malka

 

Quand j’étais petite, je tombais amoureuse des voyous. Mais ce que j’aimais chez eux, ce n’était pas leur côté « crapule ». Au contraire, je voulais les attraper en flagrant délit de douceur, tirant la langue vers le haut pour colorier méticuleusement leur dessin.
C’est exactement comme ça que je suis tombée amoureuse du Gourbi. Ce rade dans lequel je passe les meilleurs moments de ma vie, seule ou accompagnée, depuis plusieurs années. C’est ce mélange d’abandon et de minutie. Les chaises sont mal calées, s’effritent un peu sous nos fesses. La comptabilité est tenue au crayon à papier (aussi large qu’un fusain), dans un carnet illisible. Mais que le bar soit vide ou plein à craquer, Alex choisit la musique avec une application folle, déterminé à régaler tout le monde. Et surtout il y a cette ardoise que je regarde en souriant pendant qu’Alain prend la photo, impatiente de lui dire ce qui me fait rire (puisque je dois le lui dire « dans ma tête », m’a-t-il dit) : cette ardoise est une pépite. Elle est écrite avec la rondeur studieuse d’une maîtresse d’école. Alex, habillé en survet trop large, qui ne consulte pas de médecin quand il se casse le pied, devient extrêmement pointilleux quand il écrit « frites maison » sur chacune des deux ardoises accrochées dans son bar. De temps en temps, disons une fois tous les trois mois, il lui arrive aussi de créer une carte de chef, affichant un velouté de panais, un tartare de lieu noir, ou des acras qu’il concocte lui-même. Et tout en dévisageant cette ardoise, je me note pour plus tard de demander à Alain pourquoi il a appelé son blog « Entropie ». Cette ardoise n’illustre-t-elle pas à merveille la « néguentropie », justement ? Ce concept de lutte contre le chaos et d’élan tendu vers la vie ? Alain me fait remarquer que je fronce les sourcils. Je dois repenser aux mignons voyous de mon enfance. 

 


Interview de l’auteure

Que peut faire la littérature ?
Lauren Malka : La littérature (et les pâtisseries) m’ont, par exemple, permis de discuter avec ma grand-mère maternelle (que j’adorais) jusqu’aux derniers jours de sa vie. Y compris quand elle avait perdu la tête et que j’étais la seule à pouvoir communiquer avec elle. Mon tour de magie était facile : un roman qu’elle connaissait par cœur, dont je lui lisais les premières lignes et une religieuse au chocolat. A partir de là, ma grand-mère était avec moi ! 

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
LM : Je suis très exclusive avec les cafés. Généralement, je n’en aime qu’un seul pendant un long cycle de 7-8 ans. Le moment que je préfère dans la semaine, c’est le vendredi, quand je viens attendre la personne avec qui je vais prendre mon premier verre de vin. J’arrive une ou deux heures en avance pour continuer de travailler mais de façon plus détendue. C’est comme si je restais chez moi et que je m’étirais en étendant les pieds jusqu’à mon café préféré !  

Où te sens-tu chez toi ?
LM : Partout où j’ai une bouillotte, un carnet et où je puisse m’isoler sans qu’on me le fasse remarquer. 

 

BIO

Née à Paris en 1983, Lauren Malka est autrice de livres à cuisson lente dont le dernier s’appelle Mangeuses. Histoire de celles qui dévorent, savourent ou se privent à l’excès (Éd. Pérégrines). Elle a aussi écrit et co-réalisé un film-documentaire La France aux fourneaux (90 minutes d’archives présentées par François Morel sur France 5), une série de fictions Le lexique du dyslexique sur Canal + et créé trois podcasts littéraires (pour la Bibliothèque du Centre Pompidou, pour Livres Hebdo et pour l’école Les Mots)