Natacha Henry | Les Bancs Publics, Paris

Photo : Alain Barbero | Texte : Natacha Henry

 

Téméraire, la rue de Nantes fait la jonction entre la grande avenue de Flandre et le gentil canal de l’Ourcq. On est du côté modeste du XIXème arrondissement de Paris, avec ses hautes tours, ses points relais pour téléphones recyclés, le fast-food Chicken’s King et son intrigante apostrophe. Au bord du canal siège Les Bancs publics, café-restaurant de quartier. Pendant des années, on ne voyait rien de l’intérieur. Un beau matin, ils ont fait d’ambitieux travaux, installé d’immenses baies vitrées. Boboïsation, peut-être. Il y a cent ans, sur ce même bras d’eau, les péniches ouvrières véhiculaient charbon et tonnes de briques. L’on entendait fulminer les abattoirs. Les hommes ployaient sous le poids des carcasses, les femmes s’abîmaient les yeux à trier les soies des porcs pour en faire des brosses à cheveux. De nos jours, on cause ici spectacle vivant et tiers-lieux ouverts sur la Petite Ceinture. Il y a du punch dans des bocaux, du Viognier bio, un menu à la craie. Avec Alain Barbero, on a squatté pendant des heures. À partager un café crème et un cappuccino, à parler beaux livres et capitales européennes, à observer que, le télétravail n’empêchant pas le travail, les autres clients s’étaient peu à peu volatilisés. Sur l’eau dorée du canal, un cygne blanc voguait vers la place Stalingrad. 

 


Interview de l’auteure

Que peut faire la littérature ? 
Natacha Henry : En littérature jeunesse, où j’ai publié mes derniers livres, on peut faire beaucoup. J’écris sur des personnages qui ont tout donné, jeunes, pour que leurs ambitions deviennent réalité. Marie et Bronia (sur la jeunesse de Marie Curie), Rosa Bonheur l’audacieuse*… Des modèles ! Un élève m’a dit récemment : « Je n’avais jamais lu de livre avant que la prof ne nous oblige à lire le vôtre, et je l’ai fini en une nuit ». Ça, c’est immense. 

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
NH : Le café, c’est la liberté. Ça date du lycée, on filait après les cours au Café des Arts. On prenait un déca, le truc le moins cher, et ce mot « déca » qui sonnait adulte. Assises près du juke box, on mettait Je ne t’écrirai plus de Claude Barzotti. Les garçons jouaient au flipper. Mon amie annonçait d’un air grave : « Je suis sûre qu’il va lui réécrire quand même ». Dans cette chanson, cette phrase terrible, « la tempête a cessé, j’ai fini de t’aimer ». Ça alors, pensais-je à quinze ans, peut-on finir d’aimer quelqu’un ? 

Où te sens-tu chez toi ?
NH : Chez moi, ce sont les lieux avec lesquels j’ai des liens au long court : la gare du Nord, le terminal 2D à Roissy, le bassin de la Villette, Southbank à Londres, un bar à Florence, un café en Espagne, n’importe quelle bibliothèque, la plupart des théâtres, des librairies, des forêts et des piscines.

*Tous deux chez Albin Michel Jeunesse.

 

BIO

Natacha Henry a compris assez tôt qu’il lui faudrait faire œuvre utile pour se donner une constance. Diplômée de Paris IV Sorbonne et de la London School of Economics, elle a publié douze livres, essais, biographies, romans jeunesse. Ils vantent tous les mérites de l’optimisme et de la solidarité. En même temps, consultante internationale auprès du Conseil de l’Europe sur les questions sexistes, elle a trouvé sa place dans un monde cosmopolite, féministe et éclairé. Site : natachahenry.com