Ron Winkler | Ocelot, Berlin
Photo : Alain Barbero | Texte : Ron Winkler | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet
Erratum
Il faut que je le redise : seul le roman comble, si un poème ne le peut. C’est pour cela que j’ai tant de virgules, ces gouttes de pluie de la grammaire. Un tram s’avance pour l’armée. As-tu besoin d’une confirmation ? Un sac ou un geste qui survit à la survie ? Rempli de phrases qu’il faut chauffer à un peu moins de cent degrés dans le carburateur. Toutes celles qui y entrent font tourner les pages et cherchent leur nom. J’avais aussi un vélo-dynamite comme celui garé devant le magasin, l’épicerie, le café. La fenêtre entre lui et moi ternit les gens toute la journée, tandis que je papillonne dans mon carnet (sur la face de ma vie opposée à la déclaration de revenus). Il faut que ce soit dit. Le monde (la vie) est la couverture de ce lieu (la vie). Et le café moulu est fait de chacune des secondes, où j’étais ici, où je suis devenu ce que je suis. Je figure dans l’ours : en tant que matière, taille de référence pour le vase sur la table mis en valeur par des fleurs. Les faits, qui n’existent pas, je les remplis. A l’instar de champs lexicaux, qui me caractérisent. Avec des lividités cadavériques, je suppose. Peut-être aussi des astres aux extraits de caféine dans le champ de force du vase d’Achille. Des foyers, qui ne forment aucun texte, à aucune vitesse ocelotienne. Une chaleur paît dans la ville, forte d’au moins dix mille pages. Du foin avec plein de lettres : le parc de Weinberg. Une minute ici est composée de vingt arbres, que je ne vais pas redire une nouvelle fois. Des arbres qui semblent être beaucoup plus en stock que moi, plus extérieurs que moi, plus boisés que moi. Mais je suis doué pour défictionnaliser, moi-même. Et il m’en reste tout de même sur les lèvres, de ces nuées d’abeilles que forment tous ces livres. Des ganglions. Des moments inédits emballés dans des mots. Qui sont précurseurs, sortent du cadre, ont des intuitions. Engranger parfois un peu de saletés dans le cœur des papiers fins. Déduis-le des impôts. Efface-le entre les virgules. Souhaite-le à tes pires moments de leucosélophobie.
Interview de l’auteur
Que signifie la littérature pour toi ?
Ron Winkler : Oh.
Que représentent les cafés pour toi ?
RW : Ils sont une bouée de sauvetage face à mon propre appartement. Au café, je m’impose quelque chose d’étranger, d’autres énergies, d’autres voix. Et des contraintes du simple fait de la présence des autres. Je peux rencontrer ou pas. Je peux me mettre en mode poésie ou m’en distancier en revenant dans le monde réel. Les reboots sont essentiels.
Pourquoi as-tu choisi le café Ocelot ?
RW : À cause de sa proximité et de son expertise, de son charme et de son atmosphère. Parce que c’est le berceau et le siège du vrai, du beau et du brillant. Parce que la lumière est bonne, que l’équilibre entre le calme du lieu et les nuisances extérieures est donné. En raison de la famille chaleureuse : Maria, Ludwig, Jane, Eva, Magda, Lia, Alex, Hannah, Julia et Cecilia.
Que fais-tu quand tu n’es pas au café ?
RW : Enfant, échecs, faire les courses, livres. Dénicher idées et perturbations. Réfléchir aux raisons de retourner au café.
BIO
Ron Winkler est né en 1973 à Jena. Il écrit et traduit principalement des poèmes. Il a publié de nombreuses anthologies lyriques. Ses poèmes ont été traduits dans plus de 25 langues. Au Mexique, en Ukraine et en Slovaquie ont été publiés des recueils de ses poèmes.