Tristan Ranx | Le Progrès Marais, Paris

Photo : Alain Barbero | Texte : Tristan Ranx

 

Si je me souviens bien, lycéen, nous avions notre café, comme un QG, et je suppose que ce n’est pas une tradition uniquement française mais que cet art du café est partagé en Europe et ailleurs, sauf en Angleterre où les pubs sont évidemment hostiles aux lycéens.

Traditionnellement, bien avant les cafés, il y avait les tavernes, comme le capitaine Alatriste, personnage de Perez-Reverte, qui fréquentait la taverne du Turc à Madrid, pas différente des tavernes des trois mousquetaires.

Un café est une université « in taberna », on y apprend tout, le meilleur comme le pire, qui vont toujours mieux ensemble comme l’alcool et la poésie, l’ivresse et le roman, la fumée amérindienne, les volutes de films noirs, le jazz et la rengaine.

Le Progrès est mon dernier QG et j’y apprends toujours le meilleur et le pire, la séduction ou l’absence, l’aventure ou l’ennui, et les nuits à venir comme celles qui sont passées dans l’oblivion des fêtes parisiennes.

Le Progrès est un café littéraire, si on veut, comme tous les cafés, car il y a toujours des idiots et des ivrognes dans tous les cafés, même s’ils s’appellent Héraclite ou Platon, ils n’en sont pas les avatars, ni les disciples.

Un café doit d’abord être un pilier, une colonne, un roc dans l’espace et le temps. Imaginons qu’il s’agisse du Tigillum Sororium du culte du dieu Janus, dieu des commencements et des fins, des choix et des portes. Les mots « Approche Approche », situés virtuellement derrière le bar, semblent indiquer une forme d’imbrication de deux univers seulement visibles aux audacieux. Le verbe « approcher » voulant dire    « Être sur le point d’arriver en un lieu ». C’est la raison du Progrès.

Le Progrès est ma taverne du Turc et, même si je n’y croise pas Quevedo, j’y rencontre des muses, des passantes et des hommes de bonne volonté, des anonymes, des amis, des fantômes.

 


Interview de l’auteur

Que peut faire la littérature ? 
Tristan Ranx : La littérature, dans la grande majorité des cas, ne fait rien, pas plus que des cacahuètes à l’apéro. Mais, dans le meilleur ou le pire des cas, elle peut influencer, changer, bouleverser et enflammer le futur. Nul besoin de prix ou de reconnaissance critique. Des petits romans comme Tarzan ou Zorro, comme l’a fait remarquer Umberto Eco, peuvent créer des mythes modernes pour les siècles à venir, là où des prix littéraires admirablement bien écrits finiront à la poubelle en six mois.

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
TR : Les cafés, depuis ceux de la Révolution française, où les idées des Lumières circulaient sous le manteau, les cafés de Turin et de Genève où Garibaldi préparait l’unification de l’Italie, les cafés dadaïstes de Zurich, les cafés de Schwabing à Munich où Otto Gross rencontrait Gusto Gräser et Erich Mühsam, les cafés de Buenos Aires où Che Guevara apprenait à tirer par la queue les prémisses de son destin révolutionnaire. Dans ces conditions, dans tous les pays du monde, les cafés devraient être interdits. Et ils le sont déjà, en vérité, car ils disparaissent peu à peu, remplacés par des succursales du gobelet en carton et des caméras de surveillance.

Où te sens-tu chez toi ?
TR : Dans un café de Belgrade, Budapest ou Cluj-Napoca, entre autres cafés et autres villes, avec Le Monde des Ā de Van Vogt devant moi ( j’ai prévu de le relire).

 

BIO

Tristan Ranx est un écrivain et journaliste français. Il étudie l’histoire à l’Université Paris VII. Il réside en Transylvanie où il rencontre et fréquente à l’université de Cluj Napoca , le cercle du professeur François Breda (Breda Ferenc), surnommé « le dernier Transylvain », spécialiste du théâtre hongrois. Il obtient en 2016, un doctorat en histoire à l’université d’Oradea, avec sa thèse sur le mythe de l’Eldorado.

Il commence à écrire dans des revues comme Supérieur Inconnu, Bordel, et des articles dans Libération, standard, Chronic’art, Technikart et Transfuge . En 2009, Ranx publiait son premier roman notable, La Cinquième Saison du monde, sur les derniers pirates de l’Adriatique à Fiume en 1919. Il se distingue par une écriture alliant aventures et voyages, érudition et immersion, notamment dans Nuevo Dorado (Gallimard – 2021), retraçant la quête de la cité d’or à travers un récit de voyage dans les forêts équinoxiales du Guyana sur la trace des conquistadors.

Tristan Ranx continue de jouer un rôle actif à travers ses chroniques littéraires dans le magazine Transfuge.