Yla von Dach | Café Tabac, Paris

Photo : Alain Barbero | Texte : Yla von Dach

 

Il ne paye pas de mine, ce café. Pas d’exubérance de fleurs artificielles qui attirent les touristes munis de leurs smartphones, clic, clic, pas de rangées de tables flanquées de leur paire de chaises au dossier tressé, pas de serveurs fringants qui circulent. 
Même pas de nom, à vrai dire. 
« Café Tabac » : est-ce un nom ? 
N’importe quel bled a son « Café Tabac » près de l’église, en France profonde. 

Ici, on est à Paris. Montmartre. On est partout et nulle part, dans un café qui s’appelle « Café Tabac » et rien d’autre. 
Le « Café Tabac » par excellence ? 
Le café est bon, les Flat White et autres Capuccino vous sourient avec leurs dessins, cœur ou fleur. Le palais apprécie. Tout est simple et délicieux, thés, pastéis, gâteaux faits maison, petits plats gourmands, rien n’est tape-à-l’œil. 
Le charme opère dans ce qui est éphémère et permanent à la fois : ce qui est servi, ceux qui servent et, bien sûr : les clients. 

Ils viennent, elles, viennent, partent, reviennent… On commence à se connaître, on reste discret, on se sourit, peu à peu on se salue, on se met à se parler, bonjour, avec un grand sourire, on revient, le cœur rentre en jeu, les sympathies montent à la surface, s’expriment timidement, plus librement. Noble discrétion décontractée.
On se découvre.
On est étonné.
Se font jour des parentés dont on ignorait tout mais que quelque chose en nous a perçu. 
On ignore ce que c’est. Cet instrument de perception dépasse la raison. Logé dans une profondeur inconnue de nous-mêmes, il est comme ce « Café Tabac » : pas tape-à-l’œil pour deux sous, mais performant. 

Mine de rien, des amitiés de café se tissent. 
Mine de rien, le quotidien s’enrichit d’un tissu discret dont émane un parfum d’appartenance. 
Tout solitaire voire seul que l’on peut être ou se sentir par ailleurs, on se retrouve ici alors subtilement relié au monde. 

 


Interview de l’auteure

Que peut faire la littérature ?
Yla von Dach : La littérature peut attiser l’écoute. En traduisant ou en lisant, sa musique nous sollicite à de multiples niveaux. Elle peut nous sortir de nous-mêmes, elle peut nous faire rentrer en nous-mêmes. Nous hisser hors des ornières de nos idées, nous plonger dans l’inconnu jamais pensé ni exprimé. Elle peut sauver la vie. Elle peut coûter la vie. Elle ne peut pas sauver le monde. Elle peut ouvrir des horizons à l’infini, jusqu’aux limites de la pensée, à la lisière du silence qui sera toujours plus grand. 

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
YvD : Le café, c’était tout d’abord le café parisien, premier lieu d’enracinement de l’étrangère venue ici sans connaître personne. J’y prenais le pouls du pays, j’y faisais mon apparition d’inconnue d’abord, de quelqu’un du quartier ensuite qu’on saluait à son entrée. Quelle merveille que cet accueil qui sauve de l’anonymat sans rien demander de plus ! C’était la bouée nécessaire pour passer les premiers mois dans l’océan de la ville.
Et maintenant ? Le café m’a fait parisienne plus qu’autre chose peut-être, étant le lieu où tout est possible : repli concentré et rencontres inattendues, solitude reliée au monde et convivialité au cœur léger. 

Où te sens-tu chez toi ?
YvD : Là où l’atmosphère d’un lieu trouve une certaine résonance à l’intérieur de moi, le sentiment d’être chez soi peut pousser comme une plante sur un terrain propice. Toutefois : Je vois pas mal d’endroits dans le monde où cette semence, probablement, ne pousserait pas

 

BIO

D’institutrice à journaliste, d’émigrée à traductrice et auteure d’un premier livre au titre choquant pour les féministes de l’époque : Histoires de la demoiselle (1982), Yla von Dach a succombé au charme de Paris, à la légèreté dansante de l’esprit français (de l’époque… !), aux finesses de la langue française (dont la mémoire devait sommeiller dans ses cellules, ses lointains ancêtres étant des Huguenots), au point de ne plus jamais repartir pour de bon. Partageant sa vie entre Paris et Bienne, elle a traduit de nombreux auteurs suisse romands du français vers l’allemand et publié, entre autres, trois récits dont aucun se dit « roman ».