Catherine Cusset | L’Élephant du Nil, Paris

Photo : Alain Barbero | Texte : Catherine Cusset

 

        Les cafés sont nombreux sur la place du métro Saint-Paul, à cinq minutes de chez moi. L’éléphant du Nil m’a attirée parce que c’est un vrai café parisien avec son comptoir en zinc, ses petites tables en bois sombre, ses chaises bistrot, son carrelage ancien. Je m’y sens bien. Un passe-plat ouvre sur la cuisine où le cuisinier prépare une nourriture bonne et pas chère. Les serveurs sont jeunes, sympa, et souriants — contredisant le stéréotype du serveur parisien.
        C’est mon point d’arrivée à Paris quand je débarque de New York. Pendant trente ans, trois ou quatre fois par an, j’ai atterri à Roissy, récupéré ma valise, pris le RER, changé à Châtelet, et je suis sortie à Saint-Paul, en face de L’éléphant du Nil. J’ai commandé un grand crème au comptoir et je l’ai pris debout, à côté d’habitués qui buvaient un expresso ou un verre de vin. Parfois il restait un croissant, fondant et croustillant. Il est midi à Paris et 6h à New York. Le café au lait très chaud et sucré descend dans ma gorge, j’avale une bouchée de croissant, ces goûts familiers me disent que je suis arrivée, que je suis chez moi. 
        Au café je lis mais n’écris pas. Pour écrire j’ai besoin de silence et d’un lieu isolé. Virginia Woolf n’a pas eu tort quand elle a insisté sur la nécessité d’avoir une chambre à soi. Je passe de mon lit à mon bureau, du sommeil et des rêves à l’écriture, sans transition.  Je ne commence jamais la journée par un petit déjeuner à l’Éléphant du Nil même si j’aime tant le grand crème et les croissants. Sauf quand je débarque de New York.

 


Interview de l’auteure

Que peut faire la littérature?
Catherine Cusset : Kafka écrit qu’elle est la hache qui brise la mer gelée en nous. Oui. Elle nous ouvre — à nous-même, à l’autre, au monde. Elle nous agrandit, nous enrichit, nous déplace. Il existe deux sortes de littérature, l’une de divertissement, l’autre de quête. Même si j’admire ceux qui écrivent des livres que les adolescents dévorent, je préfère l’autre sorte. Je ne lis pas pour l’intrigue, mais pour le sens, pour la présence vivante d’un esprit humain. Les bons livres sont ceux dont on connaît déjà la fin et qu’on peut relire sans jamais s’ennuyer. Je lis et j’écris parce que je suis dans une quête — de vérité, de sens, de lien, de cohérence, d’altérité, de moi-même.
        J’ai du mal à vivre sans écrire. Je déprime très vite. Seule l’écriture me rend la vie tolérable. Parce qu’elle rassemble, collecte, fabrique du sens, préserve la mémoire, donne accès à l’altérité et au meilleur de soi. Écrire est une activité solitaire, mais le seul vrai moyen de sortir de la solitude.

 

BIO

Catherine Cusset, née à Paris en 1963, est l’auteure d’une quinzaine de romans parus chez Gallimard entre 1990 et 2021 et traduits en vingt-deux langues, dont Le problème avec Jane (Grand Prix des lectrices d’Elle 2000), La haine de la famille, Un brillant avenir (Prix Goncourt des Lycéens 2008), L’autre qu’on adorait, Vie de David Hockney (Prix Anaïs Nin) et La définition du bonheur. Ancienne élève de l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm, agrégée de lettres classiques, auteure d’une thèse sur Sade, Cusset a enseigné douze ans à Yale avant de se consacrer entièrement à l’écriture. Après trente ans à New York, elle vit aujourd’hui entre Paris et la presqu’île de Crozon en Bretagne.