Boris Konstriktor & Boris Kipnis | Café Rubinstein, Saint-Pétersbourg

Photo : Alain Barbero | Texte : Boris Konstriktor |  Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

planning

privilégier :
au trésor
la désespérance

éteindre :
la cigarette
des émotions

aller :
sous la douche dissonante
de la mort

courir :
dans le désert
de sa propre
désolation

 

Original

режим дня

предпочесть
самому дорогому
безнадёжность

затушить
сигарету
эмоций

принять
контрастный душ
смерти

бегать трусцой
в пустыне
собственной
опустошённости


Interview avec les artistes

Sylvie Barbero-Vibet : Que signifie la littérature pour vous ?
Boris Konstriktor : La littérature, c’est la vie. Les poèmes viennent tout seul. La prose est un travail.

SBV : Que représente la musique pour vous ?
BKO : Notre duo signifie lutte à deux. C’est comme une sorte de sport. Mais nous ne luttons pas l’un contre l’autre. C’est le théâtre des deux Boris, le théâtre “DvoeBor’e”. Nous sommes un théâtre à nous deux, en quelque sorte.

SBV : Et au commencement d’une création du théâtre “DvoeBor’e” y a-t-il d’abord la littérature ou la musique ?
Boris Kipnis : Au début, il y a le texte. Enfin, le texte existe déjà. Il (Boris Konstriktor) ne compose pas de poésie spécialement pour ces représentations. Avant de commencer, nous décidons ensemble du choix du texte. Lorsque nous créons une telle composition, je choisis des passages et j’en raie des passages. Je sélectionne ce qui va me permettre de créer une certaine composition musicale. C’est ainsi que nous parvenons à une version finale.
Nous pensons que notre théâtre “DvoeBor’e” est une nouvelle forme artistique. Nous l’appelons la double vibration. Nous mêlons voix et musique, avec différentes tonalités, en utilisant le violon, mais pas seulement.

SBV : Avec quelles tonalités, quelles musiques travaillez-vous exactement ?
BKI : La plupart du temps, avec un violon, mais cela peut varier. Parfois, nous créons des compositions avec des sons, que j’enregistre spécialement. J’utilise parfois aussi la musique d’autres compositeurs, comme celle de Stockhausen ou encore Bach, Chopin. Je peux tout utiliser, mais je trouve que ça vient comme ça, la musique est une sorte d’histoire en parallèle. Et parfois elle joue le rôle d’accompagnement : j’illustre ou je complète un texte, mais souvent, ce sont deux chemins différents qui évoluent en parallèle

SBV : Boris Kipnis, comment êtes-vous venu à la musique et à la littérature ?
BKI : En principe, je suis un musicien classique, violoniste. Mais j’aime bien improviser, du jazz notamment et de la musique romane. Dans mon enfance, je lisais beaucoup. J’ai appris à aimer la littérature. En rencontrant Boris, j’ai pu réunir ces deux passions : celle pour la littérature et celle pour la musique.
Dans cette collaboration avec Boris je peux intégrer ma passion, mon amour et ma compétence pour la musique non seulement en jouant du violon, mais aussi en utilisant toute sorte de sons que je compose moi-même. Je réutilise beaucoup des sons créés avec Boris dans d’autres oeuvres, dans des pièces de théâtre par exemple.

SBV : Boris Konstriktor, comment êtes-vous venu à la littérature ?
BKO : Par désespoir. En Union Soviétique, tout était morne, rien ne changeait. La vie était terriblement ennuyeuse. Un jour, j’ai atterri dans une rue à Saint-Petersbourg du nom de Malaia Sadovaia. C’est là que se réunissaient des bohémiens, des gens qui s’intéressaient à l’art, des artistes, des philosophes, des poètes. Dans cet univers je me devais de faire quelque chose. Je suis arrivé là-bas à force d’ennui, et je devais produire quelque chose car sinon, je n’aurais pas été au bon endroit. Et c’est comme cela que j’ai commencé à dessiner, sans avoir aucune formation artistique. Ensuite, j’ai composé de la poésie, puis de la prose. J’ai écrit une trilogie “Fin de la citation”.

SBV : Avez-vous collaboré avec d’autres artistes que Boris ?
BKO : En principe, je travaille seul, mais j’ai eu des coopérations. J’ai illustré certains poèmes d’autres poètes. Je me dois ici aussi de parler du Transfurisme. C’était une sorte de mouvement artistique underground en Russie. Il y a eu une exposition au Puschkinskaia 10 avec un catalogue. Il y avait quatre artistes dans ce groupe, quatre transfuristes : Ry Nikonova, Sergei Sigei, Anik et moi. Je suis le dernier survivant, tous les autres sont morts.

SBV : Depuis quand travaillez-vous ensemble avec Boris ?
BKO : Environ une vingtaine d’années.

SBV : Travaillez-vous aussi avec des artistes internationaux ?
BKO : Parfois oui. Pas aussi souvent qu’on le souhaiterait. Nous avons été plusieurs fois en Allemagne, à Cologne et Berlin. Pas en France. Ni à Vienne d’ailleurs.
Quand j’étais plus jeune, j’ai vécu quelques mois en Allemagne. Là-bas, j’ai composé un poème en allemand. Voici son histoire : j’ai cassé mes lunettes et j’avais donc besoin d’une nouvelle paire. Je suis allé chez l’opticien en lui disant qu’elle ne devait pas être chère. Il m’a vendu une paire rose, pour les enfants. Lorsque j’ai commandé des lunettes pour adulte, j’ai dû payer 500 Marks. Cela a fait une forte impression sur moi et sur le chemin du retour, je passais par une petite colline à travers la forêt. Et c’est là qu’est né le poème suivant :

Nouvelles lunettes

aujourd’hui, j’ai de nouveaux yeux
aujourd’hui, je n’ai pas de questions
aujourd’hui je ne souhaite affirmer qu’une seule chose
je vois mieux ma mort

BIO

Boris Konstriktor
Né en 1950 à Saint-Petersbourg. C’est là qu’il travaille en tant que graphiste freelance, peintre et homme de lettres. Au début des années 70 ses diverses performances non officielles l’ont fait connaître comme l’un des leaders de la scène underground de la poésie. Depuis 1990, il a participé à des expositions internationales, avec notamment pour thématique la poésie expérimentale en Russie, Allemagne et Etats-Unis. Il a publié de nombreux recueils de poésie et écrit dans des revues et anthologies.

Boris Kipnis
Violoniste, compositeur, auteur et essayiste. Il a réalisé des concerts en solo (musique classique) en Russie et dans d’autres pays, et a joué en tant que violoniste au sein de divers orchestres russes et internationaux. En 1991, il a fondé un duo avec Boris Konstriktor. Ils se sont produits de nombreuses fois à Saint-Petersbourg, Moscou et dans diverses villes en Allemagne avec leur spectacle créé en 2003 “DvoeBor’e”, c’est à dire le théâtre des deux Boris.