Patrick Pécherot | Le Wepler, Paris
Photo : Alain Barbero | Texte : Patrick Pécherot
La photo a été prise au Wepler. Une brasserie parisienne de la place Clichy, presque une institution. C’est un lieu chargé de mémoire mais qui ne la cultive pas. Loin du style vintage qui a transformé tant de lieux en décors tape à l’œil. Le Wepler possède de vraies tables qui se parent, sur le coup de 18heures, de nappes blanches et de serviettes assorties. Mais continuez à siroter votre pression ou votre thé citron, on vous laissera tranquille. J’aime la moleskine des lieux, le porte-journaux, la devanture vitrée d’où on lorgne la rue, les serveurs en tenue, les clients ni tout jeunes ni branchés. Je ne me souviens plus si Maigret, en planque, y a mangé un collier d’agneau mais c’est au Wepler que Nadja écrivait à André Breton : « dis, pourquoi m’as-tu pris mes yeux ? ». Didier Blonde le raconte dans son beau livre Cafés, etc. C’est avec Didier que viens au Wepler. Nous y buvons de la bière, grignotons le pain et la tapenade servis en accompagnement, nous parlons d’écriture, de radio et de plaisirs minuscules. Dieu s’invite parfois dans nos conversations. Il n’est pas bégueule et son Fils aimait les auberges. Lorsque nous redescendons sur terre, c’est pour y retrouver Fantômas, Nestor Burma ou Arsène Lupin dont les silhouettes jouent les fantômes quand les soirs sont à la pluie.
Avant de prendre ta photo, Alain, tu m’as parlé de ton travail. J’aime les mots du travail. J’avais accepté la rencontre car un ami commun avait servi de lien. J’étais curieux du projet. Depuis, je me demande combien de mots les auteurs ont griffonné à la hâte sur une table de café de peur qu’ils ne s’envolent ? Mais plus encre, je pense à ceux perdus à jamais parce que nul bar, bistrot ou brasserie ne leur avait offert une halte salutaire.
Interview de l’auteur
Que peut faire la littérature ?
Patrick Pécherot : La question renvoie à la rencontre entre un livre et des lecteurs. Sur une échelle qui va de l’intime au monde, la littérature me semble pouvoir beaucoup ou rien. Cela relève du mystère, comme toutes les rencontres. Du « système » aussi. L’auteur a écrit, il ne lui appartient souvent pas que le livre vive ou meurt.
Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
PP : Les cafés sont des lieux de rêverie et d’observation. On y trouve la pâte humaine d’un futur personnage qui s’évanouira parfois quand on sera ressorti. On peut capturer un détail qui ressurgira plus tard. Ou simplement trouver une atmosphère propice au songe. Mais « à certaines heures pâles de la nuit », comme le chantait Léo Ferré, les cafés peuvent aussi être des lieux de fraternité muette.
Où te sens-tu chez toi ?
PP : Chez moi, d’abord, dans ma caverne, mon cocon. Mais si l’on élargit le propos, je suis chez moi partout où les lieux me parlent et me touchent.
BIO
Né en 1953, Patrick Pécherot a écrit une quinzaine de romans et essais. Ils lui ont valu plusieurs prix littéraires (Grand prix de littérature policière, Prix Mystère de la critique, Trophée 813, Prix Transfuge, Prix Marcel Aymé). À travers les genres qu’il aborde (polar, roman noir, textes divers) il décline son attirance pour la mémoire sociale et les atmosphères.
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