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Raoul Eisele | Café Weingartner, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Raoul Eisele | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

dans le café, tu décris ton idée de l’amour, dis ne m’oublie pas*

tu parles du rythme du cadran, de la
tonalité et de cet écouteur qu’encore et encore
tu raccroches alors que tu tentais de trouver le courage
d’appeler ; tu as laissé sonner une fois, deux fois,
et tu as raccroché, tu as posé encore et
encore tes doigts sur les chiffres, sur
ce petit cadran, que tu as tourné jusqu’à la butée
et relâché, léger grésillement dans la ligne puis tonalité
et tu raccrochais encore, puis tu as saisi de nouveau l’écouteur
et nous lisions sur le mur du café Telefon, nous
ouvrions la porte vers un autre temps, vers un autre
monde, mettions le récepteur contre notre oreille,
tenions le récepteur qui ne nous ne raconte plus
d’histoires, il reste muet, pas de son, pas de connexion
au bout du fil, pas de voix, pas
de mot de sa beauté, que l’on souhaiterait
certains jours, que l’on souhaiterait certaines fois ;
comme on aimerait l’entendre, ce
premier amour, cette première fois où l’on est amoureux et
ce picotement dans le ventre, tu parles de bruissement des
papillons, tu parles de papillons*, tu parles de
coup de foudre* et je pense à
mon premier amour, celui qui reste à jamais dans ton cœur
qui y laisse pour toujours comme un nœud, ou
ce premier baiser, ce contact presque enfantin de lèvres à
lèvres, sans y avoir jamais réfléchi,
et plus tard, après avoir pris un café ensemble,
une bière, on demande, lorsque l’inhibition
est surmontée, que la nervosité est passée
au second plan et qu’après avoir regardé droit dans les yeux
tu ne détournes pas immédiatement le regard
vers les murs, les sols du café,
lorsque les pieds se frôlent sous la table
et qu’on retrouve ce sentiment,
ce sourire, ce tressaillement des doigts sur le cadran
lorsqu’on tentait de trouver le courage de lui dire
qu’on l’aimait, qu’on aimerait bien la rencontrer,
et qu’on raccrochait une nouvelle fois, qu’on reprenait bien trop souvent
l’écouteur dans la main, sans jamais rien dire, sans dire : je suis amoureux.

 

*en français dans le texte


Interview de l’auteur

Que signifie la littérature pour toi ?
Raoul Eisele : La littérature est une langue et la langue est tout ce que l’homme a toujours connu et expérimenté. Ainsi, tout ce qui est écrit est un élément nécessaire de la (sur)vie humaine – sans cela, nous n’aurions rien pour nous orienter, rien pour savoir, qu’est-ce qui s’est passé, où et quand, nous ne saurions rien de notre passé, de nous-mêmes. Ce sont des histoires, des poèmes et des écrits que nous utilisons pour recréer un monde passé, pour exprimer des sentiments, pour les revivre et en tirer des leçons. La littérature est donc une mise en scène et un essai, une mise en évidence et une manière d’attirer l’attention sur les griefs, ainsi qu’une exploration de son espace intérieur pour mieux se comprendre soi-même et son environnement.

Quelle importance les cafés ont-ils pour toi ?
RE : Pendant longtemps, les cafés ont été pour moi un espace de développement, de tranquillité et en même temps d’activité, comme une balade, où l’on voit les gens aller et venir, où l’on peut échanger des idées. Depuis, les cafés ont perdu une partie de leur importance pour moi – aujourd’hui, ils sont beaucoup moins un lieu de travail ou d’inspiration pour moi.

Pourquoi as-tu choisi le café Weingartner ?
RE : C’est l’un des premiers cafés que j’ai connu avant ma période viennoise – c’est donc quelque part le début de mon amour pour les cafés.

Que fais-tu lorsque tu n’es pas au café ?
RE : Toutes sortes d’activités avec des gens qui me sont chers, mais aussi beaucoup de choses pour moi comme lire, écrire, travailler au théâtre, dans la mesure du possible en cette période.

 

BIO

Raoul Eisele est né en 1991 et vit à Vienne. Il a étudié la littérature allemande et comparative. En 2017, il a débuté avec son recueil de poésie « morgen glätten wir träume » (Graz : Edition Yara). En 2021, son recueil de poésie « einmal hatte wir schwarze Löcher gezählt » sera publié (Berlin : Schiler&Mücke).
En 2019, il a reçu plusieurs prix et en 2020 la bourse « Startstipendium für Literatur » de la ville de Vienne. Il a également été admis dans la résidence d’artistes de Salzbourg (Salzburger Künstlerhaus). À l’automne 2021, il sera Stadtschreiber à Stuttgart (chroniqueur de la ville de Stuttgart). Depuis 2020, il est, avec Martin Peichl, co-fondateur de la série de lectures « Mondmeer & Marguérite ».