Archive d’étiquettes pour : Café viennois

Maria Sterkl | Café Schopenhauer, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Maria Sterkl | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet  

 

Lundi

Ils portaient des pantalons de costume à plis et des chemises sans repassage, jamais on ne les voyait en jeans. En été, ils essuyaient la sueur de leur front ; en hiver, ils étaient assis dans la pièce bien chauffée, vêtus de vestes épaisses. Cinq, six, sept hommes étaient assis autour de la petite table de jeu, où deux d’entre eux étaient concentrés sur le plateau. Backgammon. Trictrac. Tavla. Shesh Besh. Ils venaient d’Égypte, m’ont-ils répondu quand je leur ai posé la question. Coptes, ont-ils ajouté sans que je le leur demande. Depuis le 11 septembre, quand on n’était pas blanc à Vienne, il fallait sans cesse écarter le soupçon d’être né dans l’islam. Tous les lundis, ils jouaient au café. Ceux qui ne poussaient pas leurs pions analysaient. Ceux qui ne fumaient pas donnaient du feu. Ils buvaient du thé, je les regardais. Je me demandais où étaient leurs femmes. Ils ne me demandaient pas qui j’étais, je ne savais pas comment ils s’appelaient. Nous nous laissions en paix. C’est ainsi qu’on disait à l’époque.
Un jour, ils ne sont plus venus le lundi. Je les ai cherchés dans tous les cafés du quartier, je ne les ai pas trouvés. J’ai cherché dans d’autres quartiers, d’autres arrondissements, je suis allée jusqu’à la périphérie de la ville et au-delà. J’ai cherché dans le désert, dans la mer, dans les décombres des maisons abandonnées. Je les cherche aujourd’hui encore, sauf les lundis où je fais une pause. Je leur demande alors conseil. Ils lancent des dés, soupirent, jouent leurs coups. Et me laissent en paix.

 


Interview de l’auteure

Que signifie la littérature pour toi ?
Maria Sterkl : La littérature peut consoler, déranger, secouer, apaiser, aliéner, offrir un chez-soi. La littérature peut mettre en danger les puissants, qui peuvent cependant aussi l’utiliser à mauvais escient. La littérature n’est pas une valeur en soi, mais je n’exagère pas en disant que la littérature m’a sauvé la vie.

Que représentent les cafés pour toi ?
MS : Être chez soi à l’extérieur. Le lieu est plus important que le bon café et le bon service, c’est pourquoi j’aime les vieux cafés viennois.

Pourquoi as-tu choisi le Café Schopenhauer ?
MS : Avant tout pour les bons souvenirs. J’aimais beaucoup venir ici à une certaine période de ma vie, surtout seule et pour écrire. J’aimais le silence, le côté sombre, les références obscures, les vieux hommes avec leurs parties de jeux de société. De plus, il y avait à l’époque un serveur très sympathique qui donnait son avis sur les différents journaux du café. Un jour, alors que je prenais le journal Die Krone, il m’a dit : « Pas besoin de l’ouvrir pour savoir ce qu’il contient ».

Que fais-tu quand tu n’es pas au café ?
MS : La nuit, je dors la plupart du temps. Le jour, j’aime bien désespérer.

 

BIO

Née en 1978 à Krems/Donau, Autriche, Maria Sterkl vit à Jérusalem et à Haïfa. Études de commerce à Vienne, Sönderborg et Parme. Actuellement correspondante en Israël et Palestine pour le journal Der Standard, reportages réguliers également dans le Frankfurter Rundschau, le Badische Zeitung et diverses parutions du groupe de médias Funke à Berlin. Publications littéraires dans des anthologies et des revues littéraires, récemment nominée pour le prix Floriana 2022.

Sophia Lunra Schnack | Kaffee Monarchie, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Sophia Lunra Schnack | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 


Interview de l’auteure

Que peut la littérature ?
Sophia Lunra Schnack : Ouvrir et freiner. Mettre en mouvement des pensées, des émotions, des convictions. Les jeunes en particulier peuvent acquérir, pour ainsi dire, une expérience de la vie, une capacité de réflexion et une disposition sensorielle. La littérature peut freiner le temps, se dresser contre une existence rythmée. Et face à l’automatisation et anonymisation croissantes, je dirais que la littérature peut préserver l’homme, son humanité.

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
SLS : Quand le silence devient trop fort à la maison pour travailler, je me rends dans un café. Mais il faut qu’il y ait le bon mélange entre le doux murmure des voix et le retrait. Il y a quelques-uns de mes cafés habituels dont je sais qu’ils me conviennent, où j’ai un coin, mon cocon, mais d’où je peux sortir à tout moment pour prendre contact. J’aime cette manière libre d’engager la conversation avec des personnes inconnues, mais sans y être obligé.

Où te sens-tu chez toi ?
SLS : Pour moi, être chez soi a toujours été lié à la langue. Pendant longtemps, je me suis sentie chez moi dans la langue française, j’avais des problèmes avec ma langue maternelle. Il était donc aussi très naturel pour moi de vivre en France. Entre-temps, j’ai surmonté ma fuite devant ma langue maternelle, j’ai maintenant une résidence linguistique principale et secondaire. En tout cas, je ne pourrais pas m’imaginer vivre dans un pays dont je ne pourrais pas intégrer les sons

 

BIO

Sophia Lunra Schnack (*1990) vit et écrit actuellement principalement à Vienne, de la poésie et de la prose (lyrique) dans diverses revues littéraires de renom, notamment dans manuskripten, Poesiegalerie ou Das Gedicht.
En 2022, elle reçoit le prix rotahorn et depuis 2023, anime un blog de poésie pour Das Gedicht. En août 2023 est publié son premier roman feuchtes holz (Otto Müller).
Actuellement, elle travaille sur son recueil de prose cursive Fliederkuss ainsi que sur un recueil de poésie bilingue wimpern piniengrün – cils vert de pins.

Marcus Fischer | Café Weidinger, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Marcus Fischer | Trad. : Sylvie Barbero-Vibet

 

Le café Weidinger

Tu es comme un vieux monsieur vêtu d’un habit usé, déchiré, porté depuis des décennies, et qui n’a rien perdu de sa dignité. Les jeunes admirent ton style. Moi aussi, tout comme le calme qui émane de toi. Et les personnages loufoques et attachants qui t’entourent.

 


Interview de l’auteur

Que peut la littérature ?
Marcus Fischer : La littérature peut nous montrer les gens de l’intérieur. Nous ressentons les personnages avec leurs peurs, leur honte, leur envie, leur amour, leur colère, leur désespoir. Cette vision intérieure, c’est la littérature qui la rend mieux que tout autre média.

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
MF : Il m’est souvent plus facile de m’isoler et de me concentrer lorsqu’il règne autour de moi une agitation régulière et houleuse. Les cafés sont l’endroit idéal pour cela. Je mets alors des écouteurs, j’écoute souvent la même chanson pendant des heures et je me plonge dans mon histoire.

Où te sens-tu chez toi ?
MF : Réponse simple : dans mes textes, quel que soit l’endroit où je les écris. Et dans la nature, entouré de personnes familières et dans des lieux chers et inspirants – comme le café.

 

BIO

Né en 1965 à Vienne, il étudie la germanistique à Berlin, écrit de la prose et de la poésie. Après ses études, il travaille comme professeur d’allemand langue étrangère et comme rédacteur dans des agences de publicité à Berlin et à Vienne. Publications dans des anthologies, des revues littéraires et à la radio. Son roman Die Rotte (Leykam Verlag), paru en 2022, a été récompensé par le prix littéraire Rauriser Literaturpreis 2023 pour le meilleur premier roman en langue allemande.

Maria Seisenbacher | Café Ritter Ottakring, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Maria Seisenbacher | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

je témoigne […]

Neige ne nous atteint que
loin dans des lieux ramifiés
dans l’accordement conflictuel
aussi longtemps que
si longtemps

Sommeil trouve
puis s’attarde
sans avoir plongé le regard l’un dans l’autre
de la probabilité
aussi longtemps que
si longtemps

Cristaux protègent petites cicatrices
Une seule fois la gorge est tombée
Toux, excès d’air dans
le néant
aussi longtemps que
si longtemps

je sais :
doigts forment un foie –
mollusque isolé sans bras
je sais : rien
de l’image d’histoires ciblées
aussi longtemps que
si longtemps

déclenche au hasard des contours, des vagues
des surfaces ou des galets
ensuite je témoigne
devant ma peau :
jenem’étaispasregardéedepuislongtemps

aussi longtemps que
le monde ne dévie pas
si longtemps


Interview de l’auteure

Que signifie la littérature pour toi ?
Maria Seisenbacher : Un lieu de refuge, d’apprentissage, d’expérience et de travail que l’on s’est choisi, rempli de passion physique et spirituelle.

Que représentent les cafés pour toi ?
MS : Un refuge pour échapper au fait de devoir travailler seule. Au café, j’écoute, je vois, je lis et j’observe les autres et moi-même.

Pourquoi as-tu choisi le Café Ritter Ottakring ?
MS : En raison de son architecture, du silence, de l’emplacement, des banquettes recouvertes de velours avec des pâtisseries dans le café.

Que fais-tu quand tu n’es pas au café ?
MS : Beaucoup de choses et rien, puis rien du tout et beaucoup de rien.

 

BIO

Maria Seisenbacher vit et travaille à Vienne comme poétesse et traductrice en langue facile à comprendre (Leichte Sprache). Maîtrise de littérature comparée, diplômée en pédagogie sociale. Participation à des festivals internationaux de poésie, titulaire de bourses et prix. Parution dernièrement du recueil de poèmes Hecken sitzen aux éditions Limbus avec des illustrations d’Isabel Peterhans.
www.mariaseisenbacher.com

Andras Foldvari | Café Gerbeaud, Budapest

Photo : Alain Barbero | Texte : Andras Foldvari | Traduction (du hongrois) : Christian Szabo

 

Je n’avais pas encore 21 ans lorsque j’ai trouvé un emploi dans le département tourisme d’une compagnie aérienne hongroise, qui avait à l’époque son siège dans un bâtiment situé au cœur de ma ville, dans un immeuble de la place Vörösmarty.
Il n’y avait pas de salle de réunion, donc si nous devions avoir un meeting, nous allions au merveilleux café sur la place, célèbre pour sa machine à café en porcelaine Herend.
Si quelqu’un appelait pour moi, on lui disait qu’Andras était dans la salle de réunion.
Les rencontres ici ont eu beaucoup plus de succès que si nous les avions tenues dans les salles grises du bâtiment.

 

Original (hongrois)

Még 21 éves sem voltam amikor a magyar légitársaság idegenforgalmi osztályán kaptam állást, melynek akkori központja városom szívében egy lakóházból kialakított épületben volt a Vörösmarty téren.
Nem volt kialakított tárgyaló terem, így ha megbeszélést kellett tartani inkább a téren levő csodálatos – herendi porcelán kávéfőző gépéről híres – kávézóba mentünk. 
Ha bárki keresett csak azt mondták András a tárgyalóban van.
Sokkal sikeresebbek is voltak az itt folytatott tárgyalások mintha azokat az épület szürke szobáiban tartottuk volna.

 


Interview de l’auteur

Pourquoi les voyages ?
Andras Foldvari : Le voyage est une mission pour moi !
Aller dans des pays aux cultures étrangères, connaître le quotidien des gens qui y vivent est pour moi une expérience rafraîchissante, regarder derrière les rideaux, se rapprocher des trésors cachés, qu’ils soient dans un musée ou sur l’étagère d’un appartement.
Je suis un citadin. J’accorde plus d’importance à l’environnement créé par les hommes, aux beaux bâtiments ou aux lieux de culte qu’à la beauté de la nature. Qu’il s’agisse d’un monticule de pierre tibétain ou d’une cathédrale africaine monstrueuse.
Voyager, c’est toujours découvrir quelque chose de nouveau, ce qui donne plus d’énergie pour de nouvelles expériences.

Que représentent pour toi les cafés ?
AF : Les cafés et les maisons de thé sont des sanctuaires de la culture urbaine. De nombreux événements de l’histoire hongroise sont liés aux cafés et de nombreux artistes ont créé des chefs-d’œuvre dans des cafés.
Selon la légende, les clés du New York Café de Pest ont été jetées dans le Danube par des habitués, afin qu’il soit toujours ouvert pour la création de chefs-d’œuvre.

Où te sens-tu chez toi ?
AF : Je suis un peu cosmopolite, peut-être pas aussi attaché à ma maison que la plupart des gens.
J’ai commencé à écrire mon premier livre sur la terrasse d’un petit bungalow dans les îles Salomon.
Le fabuleux décor de bord de mer a inspiré mes histoires urbaines de l’époque.
J’ai ensuite poursuivi dans un studio en Malaisie et terminé à l’ombre de la cathédrale de Malaga.

 

BIO

Andràs Foldvari est né en 1952. Il commence à voyager dès l’adolescence. Amoureux des langues il étudie le tourisme et le marketing, puis travaille dans quatre compagnies aériennes et un tour-opérateur, ce qui le conduit à visiter près de 900 aéroports dans 205 pays du monde.
Il écrit son premier livre autour des 80 meilleurs récits de ses voyages, livre qui connaît un énorme succès en Hongrie. L’éditeur devra le réimprimer cinq fois. Son deuxième livre a moins de succès, mais reste populaire.
Bien qu’en retraite depuis 2018, il continue de découvrir de nouveaux endroits, comme récemment Sainte-Hélène. Il rassemble ainsi de la matière, pour peut-être un nouveau volume de la trilogie.

Regine Koth Afzelius | Intermezzo Bar, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Regine Koth Afzelius | Trad. : Sylvie Barbero-Vibet

 

Depuis toujours, j’aime considérer deux facettes : flexible et déterminée. Voleuse de chevaux royale et reine voleuse de chevaux. Pocky Pockberger au caveau-théâtre et Ofczarek au Burgtheater. Le Trio Lepschi à la guinguette Hengl-Haselbrunner et l’orchestre philharmonique de Vienne au Musikverein. Les dessins humoristiques de Martin Perscheid et les peintures de Franziska Maderthaner. Les textes de Selma Heaney, Peter Hodina, et ceux de Heimito von Doderer. Helge Schneider et Lisa Eckhart.

J’aime les chats et les chiens ! J’aime regarder les poules – la plus tachetée, qui court en ce moment à travers l’enclos, un ver dans le bec, la tête haute, les autres derrière elle, et juste après, en sens inverse, la brune, avec le même ver, poursuivie par une nuée de caquètements.

J’aime le Heumarkt et le Bar Intermezzo. En face l’un de l’autre, je me gare entre les deux. Dans chacun d’eux, je me sens comme chez moi. Angoisse permanente pour les deux : menace du manque d’argent pour le premier et de la démolition pour le second. Dans l’un, on connait des choses personnelles sur moi, dans l’autre, le choix de mon cocktail. Au Heumarkt, je suis assise sur le ruban adhésif noir d’une banquette en similicuir rouge fatiguée, transfigurée par le vrombissement de la vitrine aux pâtisseries et le duo affectueux de frères déjanté ; à l’Intermezzo, je m’enfonce dans le fauteuil de salon, transfigurée par le pathos international et le plus beau lustre du monde. Manger dans le premier, puis finir dans le second. Amen.

 


Interview de l’auteure

Que signifie la littérature pour toi ?
Regine Koth Afzelius : L’art du langage. Un texte doit captiver, surprendre et emporter. En écrivant, je cherche un exutoire et une clé pour surmonter la réalité. Tout doit sortir pour atteindre le plus grand nombre, non pas pour les affecter, mais pour les divertir. Quelle prétention ! Et alors ? Et en retour, des louanges et de la reconnaissance. Ha.

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
RKA : Je vis à la campagne – et j’entretiens des amitiés urbaines. Pour cela, il faut des cafés comme espace d’échange. Ce n’est que dans la nonchalance des deux cafés cités précédemment que je trouve l’atmosphère adaptée aux conversations comme je les aime : approfondies, enrichissantes, intimes.

Pourquoi as-tu choisi le bar Intermezzo ?
RKA : Ce soupçon de luxe !

Que fais-tu quand tu n’es pas au café ?
RKA : Je me lève ! Sortir les poules du poulailler ! Retourner au lit avec un café, WhatsApper avec le monde entier. Puis travailler sur mon nouveau roman. L’après-midi, enlever les pins et les bouleaux pourris à la tronçonneuse. Ou promenade en forêt. Si les pensées se bousculent : écrire à nouveau. À l’heure bleue, fondre dans le canapé, et en guise de générique de fin de journée, regarder au loin la volaille, jusqu’au film du soir.

 

BIO

Née en 1962 à Vienne. A étudié l’architecture à l’Arkitektskolen Aarhus (Danemark) et à l’Université des arts appliqués de Vienne. Diplôme d’architecture en 1997. Depuis 2008, vie à la campagne. Conceptrice de sites web. Artiste plasticienne. Auteure. Travail sur son quatrième roman.

Blog Entropy, Barbara Rieger, Alain Barbero, Petra Piuk, Café Europa, Wien, Vienne

Petra Piuk | Café Europa, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Petra Piuk | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

et tu danses 

et tu danses de l’impro et du ballet et ta professeure de ballet rit encore et tu danses dans des halls d’usine abandonnés et sur les trams sur le Ring de Vienne tu danses le flamenco sur les tables tu crois que tu danses le flamenco tu danses avec les gens de Broadway sur la ligne 6 et le hip hop sur le podium et dans le film tu danses ivre sur la balustrade avant de basculer dans le vide tu danses sept étages sous terre tu danses avec des personnages de bd à la feria baila ! et tes pieds s’enfoncent dans le sable baila ! baila ! et tu danses dans des forêts éclairées au néon et des policiers vous encerclent parce que vous dansez le sirtaki devant l’opéra et sur la piste de danse tu te fais tabasser et sur la pelouse entre les studios de l’arsenal une amie te montre comment tourner sur la pointe des pieds sans perdre l’équilibre alors qu’elle le perd et tu essaies encore de ne pas perdre l’équilibre tu te zoomes du salon au studio de danse à new york tu te zoomes la nuit dans les clubs les corps en sueur serrés les uns contre les autres tu danses seule dans le café 

 


Interview de l’auteure

Que signifie la littérature pour toi ?
Petra Piuk : Un jeu avec la langue et la forme. Une expérience. Une confrontation avec la réalité. Un rire étouffé. Le doigt dans la plaie. En tout cas : pas un lieu paisible. 

Quelle importance les cafés ont-ils pour toi ?
PP : J’ai travaillé pendant des années dans des cafés, des bars ou des bars de cinémas. Et même s’il s’agissait toujours de petits boulots, j’adorais travailler derrière le bar. C’est peut-être pour cela que je préfère encore être assise au comptoir. J’y rencontre des gens, lis des journaux, j’écris, fais des projets.

Pourquoi as-tu choisi le Café Europa ?
PP : Autrefois, c’était mon deuxième salon. Je travaillais dans un club tout près et avant d’y aller j’allais à l’Europa, parfois aussi après pour le petit-déjeuner. Et j’y étais aussi les jours de repos. J’y ai écrit, appris, fait la fête. Aujourd’hui je suis bien moins souvent à l’Europa, mais il reste un de mes cafés préférés.

Que fais-tu lorsque tu n’es pas au café ?
PP : Écrire à la maison ou dans les trains. Ou danser.

 

BIO

Née en 1975 à Güssing (Autriche), Petra Piuk vit à Vienne. Elle écrit des romans, des textes courts, des livres pour enfants, des scénarios et du théâtre. Elle a reçu de nombreuses récompenses, dont le prix littéraire Wortmeldungen de la fondation Crespo en 2018. Elle a obtenu la bourse Gisela-Scherer en 2020. petrapiuk.at

 

 

Blog Entropy, Barbara Rieger, Alain Barbero, MathildeRamadier, Delphine de Stoutz, Würgeengel, Berlin

Tanja Raich | Cafemima, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Tanja Raich, Extrait de Schwerer als das Licht, Éd. Blessing, 2022, parution le 24.8.22 | Trad. : Sylvie Barbero-Vibet

 

Je me souviens de ce jour-là, il y a bien longtemps déjà. Le matin, il pleuvait sous toutes les formes et dans toutes les couleurs. Des fleurs de naga et d’hibiscus, des orchidées et des amaryllis, une agitation multicolore volant entre les arbres et haut dans le ciel. Je n’avais jamais rien vu de plus beau. Le vent faisait tourbillonner les fleurs au-dessus de la cime des arbres, il les faisait tourbillonner sur toute l’île. Elles volaient dans l’air comme des papillons et retombaient éparpillées sur le sol. Une fleur d’hibiscus m’a frappée au visage, provoquant une douleur lancinante. Et soudain, tout fut nu. Pas de trace de bourgeons, pas de trace de l’après. Et lorsque les fleurs furent desséchées, il ne resta vraiment plus aucune couleur, plus aucun éclat. Tout était devenu terne, brun et gris.

 


Interview de l’auteure

Que signifie la littérature pour toi ?
Tanja Raich : La littérature est pour moi la porte d’entrée vers de nouveaux mondes, elle m’ouvre de nouvelles perspectives et expériences, me fait voyager, me fait pénétrer dans des mondes de pensées, me touche et me choque – dans le meilleur des cas, j’en ressors en ayant fait peau neuve : en tant que lectrice et écrivaine. 

Quelle importance les cafés ont-ils pour toi ?
TR : Je dois faire une distinction entre Vienne et l’Italie. En Italie, ce sont des lieux de rencontre, il s’agit davantage du café en tant que boisson, j’y passe rarement une journée. À Vienne, ils sont en fait un prolongement du salon, même si j’y écris rarement. J’aime le café comme lieu de première rencontre, lorsque je fais la connaissance d’auteurs avec lesquels je souhaite réaliser des livres, par exemple. Parfois, je m’y perds, et cela ne m’arrive qu’à Vienne : on se rencontre pour prendre un Melange et on ressort à deux heures du matin. Pourtant, on n’a pas du tout l’impression d’être à Vienne, peut-être quelque part dans un lieu sans espace ni temps.

Pourquoi as-tu choisi le Cafemima ?
TR : J’adore les marchés et Cafemima est un café de marché, coloré et chaotique. Mon appartement est assez similaire. Beaucoup de plantes et de choses colorées que j’ai ramenées de mes voyages. 

Que fais-tu lorsque tu n’es pas au café ?
TR : Je suis dehors, dans un parc, au Prater, ou je fais du vélo sur l’île du Danube.

 

BIO

Tanja Raich, née en 1986 à Meran (Italie), vit à Vienne en tant que lectrice et auteure. En 2015, elle a initié une nouvelle série littéraire chez Kremayr & Scheriau, axée sur les débuts en langue allemande, où elle a été directrice du programme jusqu’en 2020. Actuellement, elle dirige le programme de littérature et de livres pour enfants chez Leykam Verlag. Son premier roman Jesolo (Blessing 2019) a été nominé pour le prix du livre autrichien Debüt 2019 ainsi que pour le prix littéraire Alpha 2019. Son deuxième roman Schwerer als das Licht sera publié en août 2022 chez Blessing.
tanjaraich.at

 

Blog Entropy, Barbara Rieger, Alain Barbero, Jana Volkmann, Raphaela Edelbauer, Café Kriemhild, Wien, Vienne

Raphaela Edelbauer & Jana Volkmann | Café Kriemhild, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Raphaela Edelbauer, extrait du roman Die Inkommensurablen (parution 2023) | Trad. : Sylvie Barbero-Vibet

 

Puis la lumière du soir a surgi, trompeuse, étouffante et soudaine.
Au milieu de l’agitation, le crépuscule nautique avait surpris la ville ; il s’était emparé des bras des gens encore humides de sueur, sur lesquels la chair de poule se propageait, car chacun était encore légèrement vêtu en raison des chaudes journées. Pendant tout l’été, l’étoffe solide d’un été indolent avait recouvert le ciel, vide d’orages et empli de la chaleur résiduelle. C’est ainsi que l’on se nourrissait encore dans les jardins et terrasses des cafés.
Mais tout à coup, on prit conscience que les aiguilles étaient tombées des cadrans et que, surprises par leur propre élan, elles oscillaient à nouveau au-dessus du chiffre neuf. Dans le même temps, les étoiles et le reflet déclinant de la journée d’été sursautèrent de leur rencontre.
Les gens, dont la peau exposée s’était soudain mise à trembler comme les crêtes de vagues, étaient encore assis à l’extérieur en riant et tentaient de faire disparaitre ce coup de tonnerre derrière des anecdotes. Pendant ce temps, la lumière se dispersait et se drapait progressivement de noir. D’abord rougeâtre, puis brisée par les faîtières en stuc des lieux, la soirée se déployait sur eux. D’un seul coup, l’excitation se répandit comme un murmure et il devint clair pour tous. Demain, l’ultimatum expirerait.

Tir de salve, attaque sur la tour, c’était la guerre.

Mais le couvre-feu n’était pas encore arrivé. Il ne se montrerait pas avant le lendemain matin. De plus en plus de gens se pressaient dans la rue, alors que les terrasses des cafés étaient depuis longtemps pleines à craquer. On s’installait donc dans la rue, comme pour montrer à l’extérieur que son propre corps n’était déjà plus le sien, mais appartenait à la société. Ce qui, rationnellement, était encore retardé par une nuit d’inertie, était déjà décidé dans l’habitus : un corps populaire, un corps guerrier.

 


Interview de l’auteure

Que signifie la littérature pour toi ?
Raphaela Edelbauer : La littérature est à la fois une philosophie appliquée et le moyen le plus direct d’aborder ma question existentielle, à savoir ce qu’est réellement le langage. Elle est politique en ce sens que nous ne pouvons pas quitter le média dans lequel elle se déroule, même pas pour en discuter.

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
RE : En tant que Viennoise, c’est certainement une honte de dire cela, mais : pour mon processus d’écriture, aucune. En privé, j’aime profondément cette ville et donc sa culture des cafés – même si l’élément discursif pour lequel elle était célèbre dans le passé devrait être davantage encouragé.

Pourquoi as-tu choisi le Café Kriemhild ?
RE : C’est mon amie Jana Volkmann, qui est sans conteste assise à côté de moi sur la photo, qui l’a choisi.

Que fais-tu lorsque tu n’es pas au café ?
RE : Écrire, ramer et jouer aux jeux vidéo sont mes piliers.

 

BIO

Née à Vienne en 1990, Raphaela Edelbauer a notamment reçu pour ses livres le prix du public Bachmann, le prix littéraire Rauriser et le prix Theodor Körner et a été nominée pour le prix du livre allemand. Dernièrement, elle a remporté le prix du livre autrichien pour DAVE (2021)

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Jana Volkmann & Raphaela Edelbauer | Café Kriemhild, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Jana Volkmann | Trad. : Sylvie Barbero-Vibet

 

À la lumière, je ne suis pas encore vidée de tous mes mots. Entre-temps, je me suis souvenue de vieux rêves qui avaient un éclairage très particulier : la pluie, la nuit, les phares des bus et la lumière qui tombe à travers les fenêtres des cafés. Et j’ai tiré les rideaux et pris une décision.
J’ai travaillé un temps dans un cinéma qui s’appelait Lux Lichtspiele. Tous les mardis, un homme venait au cinéma entre les séances, achetait un seau de pop-corn à 9 euros et disparaissait. Je me suis dit qu’il vivait peut-être séparé de sa famille et qu’il recevait chaque semaine la visite de son enfant, avec lequel il mangeait le pop-corn, mais n’allait jamais au cinéma. Les rituels sont dimensionnants. Je pense souvent à l’homme au pop-corn lorsque je passe devant un de ces cinémas vieillissants et démunis dont on ne sait même pas s’ils sont encore en activité.
Tu m’as donné il y a quelque temps le livre sur les lucioles de Georges Didi-Huberman, dans lequel il parle de l’œuvre de Pasolini et de son attitude envers la lumière. Le fascisme y est associé à des projecteurs « lointains et sauvages », éblouissants : des « yeux mécaniques ». Il leur oppose les lucioles. La lumière vivante,  organique, qui était déjà en train de disparaître du vivant de Pasolini. C’est une lumière ludique, dansante, vulnérable, faible.
J’ai consulté le site internet des Lux Lichtspiele, et je suis heureuse de pouvoir dire que le cinéma existe toujours. Vu la situation mondiale, il est devenu provisoirement un ciné-parc, situé à un carrefour d’autoroutes. On dit que la machine à pop-corn a également suivi dans le déménagement. Je me demande à quoi elle ressemble lorsqu’elle est seule sur le terrain après que les spectateurs sont rentrés chez eux. Elle a devant elle un grand écran et la nuit noire. Je me demande si la machine à pop-corn clignote quand elle fait un mauvais rêve, si elle scintille comme lors d’une interférence, mais on ne voit probablement rien depuis l’autoroute.

 


Interview de l’auteure

Que signifie la littérature pour toi ?
Jana Volkmann : Pour moi, la littérature est une forme de philosophie avec des moyens artistiques, l’interface entre le langage, l’esthétique et l’idée. L’écriture et la lecture sont pour moi des outils de connaissance essentiels.

Que signifient les cafés pour toi ?
JV : Les cafés sont une grande découverte ; j’envie vraiment les cultures où ils ont un statut encore plus élevé et sont l’épicentre de toutes sortes d’événements culturels et politiques. J’aime particulièrement l’imprévu auquel on est exposé dans le café : ne pas savoir qui va passer la porte et quel journal va être laissé à la table voisine. Et les codes de comportement spécifiques et subtils qui permettent de contrer ces impondérables avec fiabilité.

Pourquoi as-tu choisi le Café Kriemhild ?
JV : Pour être tout à fait honnête : Je l’ai choisi en imaginant la mise en scène pour la photo, car je trouve que c’est avant tout un très joli café qui a de l’allure comme décor. 

Que fais-tu lorsque tu n’es pas au café ?
JV : J’aime toujours travailler à mon prochain roman, principalement de chez moi. Sinon, j’ai commencé à nager cette année et j’ai hâte de continuer dès que les piscines rouvriront : J’ai de grandes ambitions, car je veux apprendre à faire des virages, et je n’ai pas encore vraiment réussi.

 

BIO

Née en 1983 à Kassel, Jana Volkmann vit comme auteure et journaliste à Vienne. Elle est rédactrice en chef de la revue Tagebuch et écrit des essais et des critiques littéraires notamment pour Freitagneues deutschland et Der Standard. Pour son roman Auwald, paru en 2020 aux éditions Verbrecher Verlag, elle a reçu le Förderpreis dans le cadre du festival de littérature de Brême 2021 et a été retenue dans la sélection mensuelle du jury de la radio ORF.