Archive d’étiquettes pour : Café

Maud Ruget | Café Butter, Berlin

Photo : Alain Barbero | Texte : Maud Ruget

 

Écrire dans un café. Regarder par la fenêtre les vélos, le tram, les promeneurs à poussette ou à chien. Entendre les crachats du percolateur et la musique douce de l’après-midi. Sentir dans l’air la vapeur agrume d’un thé Oolong. N’être pourtant qu’à moitié là, l’esprit buissonnant à l’intersection de la sensation et du verbe. S’accouder à la table du souvenir, puis observer au fond d’une tasse l’avenir frétillant à la lisière des possibles. Arpenter d’autres mondes pas encore tout à fait nés qu’un Wissen Sie schon ? peut engloutir à tout moment.

 


Interview de l’auteure

Que peut faire la littérature ? 
Maud Ruget : Je me suis longtemps méfiée des pouvoirs prêtés à la littérature. J’ai envie de croire qu’un livre peut changer le monde. Parfois, je doute. Et je pense que c’est très bien comme ça. Il faut se sentir un peu impuissante, sinon à quoi bon écrire ?

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
MR : Aller travailler dans les cafés me force à sortir de mon antre. Je fais trente minutes de métro pour aller dans mes cafés favoris, des endroits gemütlich, et surtout lumineux, où j’ai pris mes marques à mon arrivée à Berlin. J’aime y observer les gens, retrouver les visages des quelques habitué.es et des serveur.euses. Ça me donne l’illusion d’une stabilité dans un quotidien en chantier permanent. Je n’y écris peut-être pas si bien que ça, mais les cafés ont le mérite de m’aérer l’esprit (et de servir des gâteaux, soyons honnête).

Où te sens-tu chez toi ?
MR : Berlin, wo sonst ? Parfois, la ville me fatigue, mais j’y reviens toujours en ayant la sensation d’être à la maison.

 

BIO

Née en 1990 à Dijon, Maud Ruget a bourlingué sur plusieurs continents avant de poser ses valises à Berlin en 2016. Son travail d’écriture est transdisciplinaire. Ses centres d’intérêt sont la poétique de la relation, l’éco-poétique, et l’écriture post-traumatique. Elle est la candidate de la France dans la catégorie littérature aux Jeux de la Francophonie 2023 avec sa nouvelle Maelstrom.

Maria Seisenbacher | Café Ritter Ottakring, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Maria Seisenbacher | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

je témoigne […]

Neige ne nous atteint que
loin dans des lieux ramifiés
dans l’accordement conflictuel
aussi longtemps que
si longtemps

Sommeil trouve
puis s’attarde
sans avoir plongé le regard l’un dans l’autre
de la probabilité
aussi longtemps que
si longtemps

Cristaux protègent petites cicatrices
Une seule fois la gorge est tombée
Toux, excès d’air dans
le néant
aussi longtemps que
si longtemps

je sais :
doigts forment un foie –
mollusque isolé sans bras
je sais : rien
de l’image d’histoires ciblées
aussi longtemps que
si longtemps

déclenche au hasard des contours, des vagues
des surfaces ou des galets
ensuite je témoigne
devant ma peau :
jenem’étaispasregardéedepuislongtemps

aussi longtemps que
le monde ne dévie pas
si longtemps


Interview de l’auteure

Que signifie la littérature pour toi ?
Maria Seisenbacher : Un lieu de refuge, d’apprentissage, d’expérience et de travail que l’on s’est choisi, rempli de passion physique et spirituelle.

Que représentent les cafés pour toi ?
MS : Un refuge pour échapper au fait de devoir travailler seule. Au café, j’écoute, je vois, je lis et j’observe les autres et moi-même.

Pourquoi as-tu choisi le Café Ritter Ottakring ?
MS : En raison de son architecture, du silence, de l’emplacement, des banquettes recouvertes de velours avec des pâtisseries dans le café.

Que fais-tu quand tu n’es pas au café ?
MS : Beaucoup de choses et rien, puis rien du tout et beaucoup de rien.

 

BIO

Maria Seisenbacher vit et travaille à Vienne comme poétesse et traductrice en langue facile à comprendre (Leichte Sprache). Maîtrise de littérature comparée, diplômée en pédagogie sociale. Participation à des festivals internationaux de poésie, titulaire de bourses et prix. Parution dernièrement du recueil de poèmes Hecken sitzen aux éditions Limbus avec des illustrations d’Isabel Peterhans.
www.mariaseisenbacher.com

Andrea Grill | Mediamatic, Amsterdam

Photo : Alain Barbero | Texte : Andrea Grill | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

Questionnaire

  1. Êtes-vous nostalgique ?
  2. Cette nostalgie concerne-t-elle une personne ou un lieu ?
  3. Si oui, qui ?
  4. Ou bien, où ?
  5. Que feriez-vous pour assouvir votre nostalgie ?
  6. Souhaitez-vous vraiment l’assouvir ?
  7. Quitteriez-vous pour cela l’endroit où vous vivez ? Pour toujours ?
  8. Renonceriez-vous à votre être cher / compagnon de vie pour cela ?
  9. Votre amour est-il / elle l’objet de cette nostalgie ?
  10. Votre nostalgie vous ramène-t-elle encore et toujours à une époque où vous étiez plus jeune ?
  11. Etes-vous nostalgique de votre mère ?
  12. Si non, de votre père ?
  13. Qui aimeriez-vous le plus avoir à vos côtés en ce moment-même ?
  14. Est-ce un être humain ?
  15. Voudriez-vous passer la nuit avec cette personne ?
  16. Selon vous, combien y a-t-il de raisons d’être nostalgique ?
  17. Vous est-il déjà arrivé d’être dans un endroit où toutes les nostalgies se sont envolées ?

 


Interview de l’auteure

Que peut faire la littérature ?
Andrea Grill : Tout. (Et rien).

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
AG : J’aime depuis toujours les bars italiens.
On les appelle bars, mais ils sont déjà ouverts à sept heures du matin.
Tu peux toujours y aller seule.
Ou à plusieurs.
Tu n’as pas besoin de t’asseoir.
Le café n’est pas cher, il est délicieux.
Tu paies debout à la caisse.
Tout le monde jacasse sans arrêt.
Les fenêtres sont hautes.
Le comptoir brille.
En été, il y a de la glace.

Autrefois, à Vienne, je corrigeais toujours mes textes dans les cafés. J’aimais pouvoir commander et être servie ; mais aussi pouvoir rester assise pendant des heures sans commander quelque chose d’autre.

Le café est ma boisson préférée.

À Amsterdam, ce qui est le plus important dans les cafés, ce sont les terrasses, le fait de s’asseoir sous l’immensité du ciel.

Où te sens-tu chez toi ?
AG : Là où se trouvent mes pieds. C’est ce que j’aurais dit autrefois. Depuis, je dirais plutôt : les langues que je parle et que je comprends sont mon chez-moi. Là où je peux commander au café ; et plaisanter. Et que les gens rient avec moi.

 

BIO

Andrea Grill vit comme poétesse et écrivaine à Vienne et Amsterdam, réalise des courts-métrages et traduit plusieurs langues européennes. Elle a reçu de nombreux prix, notamment le Prix de soutien pour le Prix littéraire de Brême (2011) et le prix Anton Wildgans (2021). Son roman Cherubino a été nominé pour le Prix du livre allemand (Deutscher Buchpreis) en 2019. Son recueil de poèmes Happy Bastards figure sur la liste des recueils recommandés par l’Académie allemande de langue et de poésie. www.andreagrill.org

Andras Foldvari | Café Gerbeaud, Budapest

Photo : Alain Barbero | Texte : Andras Foldvari | Traduction (du hongrois) : Christian Szabo

 

Je n’avais pas encore 21 ans lorsque j’ai trouvé un emploi dans le département tourisme d’une compagnie aérienne hongroise, qui avait à l’époque son siège dans un bâtiment situé au cœur de ma ville, dans un immeuble de la place Vörösmarty.
Il n’y avait pas de salle de réunion, donc si nous devions avoir un meeting, nous allions au merveilleux café sur la place, célèbre pour sa machine à café en porcelaine Herend.
Si quelqu’un appelait pour moi, on lui disait qu’Andras était dans la salle de réunion.
Les rencontres ici ont eu beaucoup plus de succès que si nous les avions tenues dans les salles grises du bâtiment.

 

Original (hongrois)

Még 21 éves sem voltam amikor a magyar légitársaság idegenforgalmi osztályán kaptam állást, melynek akkori központja városom szívében egy lakóházból kialakított épületben volt a Vörösmarty téren.
Nem volt kialakított tárgyaló terem, így ha megbeszélést kellett tartani inkább a téren levő csodálatos – herendi porcelán kávéfőző gépéről híres – kávézóba mentünk. 
Ha bárki keresett csak azt mondták András a tárgyalóban van.
Sokkal sikeresebbek is voltak az itt folytatott tárgyalások mintha azokat az épület szürke szobáiban tartottuk volna.

 


Interview de l’auteur

Pourquoi les voyages ?
Andras Foldvari : Le voyage est une mission pour moi !
Aller dans des pays aux cultures étrangères, connaître le quotidien des gens qui y vivent est pour moi une expérience rafraîchissante, regarder derrière les rideaux, se rapprocher des trésors cachés, qu’ils soient dans un musée ou sur l’étagère d’un appartement.
Je suis un citadin. J’accorde plus d’importance à l’environnement créé par les hommes, aux beaux bâtiments ou aux lieux de culte qu’à la beauté de la nature. Qu’il s’agisse d’un monticule de pierre tibétain ou d’une cathédrale africaine monstrueuse.
Voyager, c’est toujours découvrir quelque chose de nouveau, ce qui donne plus d’énergie pour de nouvelles expériences.

Que représentent pour toi les cafés ?
AF : Les cafés et les maisons de thé sont des sanctuaires de la culture urbaine. De nombreux événements de l’histoire hongroise sont liés aux cafés et de nombreux artistes ont créé des chefs-d’œuvre dans des cafés.
Selon la légende, les clés du New York Café de Pest ont été jetées dans le Danube par des habitués, afin qu’il soit toujours ouvert pour la création de chefs-d’œuvre.

Où te sens-tu chez toi ?
AF : Je suis un peu cosmopolite, peut-être pas aussi attaché à ma maison que la plupart des gens.
J’ai commencé à écrire mon premier livre sur la terrasse d’un petit bungalow dans les îles Salomon.
Le fabuleux décor de bord de mer a inspiré mes histoires urbaines de l’époque.
J’ai ensuite poursuivi dans un studio en Malaisie et terminé à l’ombre de la cathédrale de Malaga.

 

BIO

Andràs Foldvari est né en 1952. Il commence à voyager dès l’adolescence. Amoureux des langues il étudie le tourisme et le marketing, puis travaille dans quatre compagnies aériennes et un tour-opérateur, ce qui le conduit à visiter près de 900 aéroports dans 205 pays du monde.
Il écrit son premier livre autour des 80 meilleurs récits de ses voyages, livre qui connaît un énorme succès en Hongrie. L’éditeur devra le réimprimer cinq fois. Son deuxième livre a moins de succès, mais reste populaire.
Bien qu’en retraite depuis 2018, il continue de découvrir de nouveaux endroits, comme récemment Sainte-Hélène. Il rassemble ainsi de la matière, pour peut-être un nouveau volume de la trilogie.

Marlene Gölz | Café Vogl, Eferding

Photo : Alain Barbero | Texte :  Marlene Gölz | Trad. : Sylvie Barbero-Vibet

 

Parfois, le banc en bois vermoulu et recouvert de lichen sous le tilleul était occupé par les jeunes du village, mais pas ce jour-là, Karo avait de la chance. Elle plaça le banc en direction du nord-ouest, effleura les lettres gravées sur le dossier, s’assit, ouvrit la canette de bière et eut un bref instant le sentiment de bien faire les choses. “Je n’ai pas besoin de la mer”, dit-elle, en regardant vers la vallée, à Nobody, assis à côté d’elle. À l’horizon, un groupe d’arbres semblait en feu, combat du soleil contre son coucher. Des traînées orangées traversaient la lumière étincelante et se mêlaient à des nuages bleutés qu’elle pensait pouvoir arracher du ciel comme de la barbe à papa. Comme pour vérifier ses pensées, Karo attrapa un nuage et le mit dans sa bouche. Quel goût peuvent bien avoir les nuages ? Dans tous les cas, il fallait attraper ceux qui étaient bleutés, ceux orange et jaunes vous filaient entre les doigts. Karo ferma les yeux, juste pour pouvoir constater l’instant d’après que le ciel du soir avait changé.
Elle se dit qu’il ne serait pas difficile de sombrer dans la folie. Mais aussi que le secret consistait à ne pas se laisser aller à penser ainsi, sous peine de voir ce process terminé avant même d’avoir vraiment commencé.

Extrait de : K.

 


Interview de l’auteure

Que signifie la littérature pour toi ?
Marlene Gölz : Je me souviens d’une sorte de déclic, je savais à peine lire. Christine Nöstlinger : Un enfant marche dans la rue. Il marche en ne posant le pied qu’un pavé sur deux, en essayant de ne pas toucher les joints. Cela m’a impressionnée. Que quelqu’un marche exactement comme moi. Que l’on exprime quelque chose, qui est là, mais dont on ne parle pas habituellement, parce que ce n’est apparemment pas important. Pour moi, c’était important. Je me suis reconnue. Les expériences de lecture d’une telle intensité sont rares. Mais si c’est le cas, un tel livre est un véritable trésor, la littérature signifie alors : se rencontrer, s’oublier, voyager, être compris, être chez soi.

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
MG : Aujourd’hui : prendre le temps, échapper à la vitesse, trouver sa place dans le fait de se déplacer.

Pourquoi as-tu choisi le Café Vogl ?
MG : Parce que je suis écrivain pour cette ville et qu’Eferding ne peut être dissocié du Café Vogl.

Que fais-tu quand tu n’es pas au café ?
MG : Je passe du temps généralement dans des endroits que j’aime aussi beaucoup : les trains, la nature, ma maison et mon lieu de travail, une bibliothèque.

 

BIO

Née en 1978 à Linz, elle travaille comme auteur, lectrice et indépendante à la StifterHaus Linz ; depuis 2017, publications littéraires dans des revues et anthologies, divers prix et bourses, notamment le Marianne.von.Willemer.Frauenliteratur-Preis de la ville de Linz (2017), Literaturpreis Akademie Graz (2018), BMUKK-Startstipendium (2018), Stadtschreib-Stipendium Eferding (2022).
www.marlenegoelz.com

 

Michèle Pedinielli | Café Librairie Les Parleuses, Nice

Photo : Alain Barbero | Texte : Michèle Pedinielli

 

« Qui sème l’impunité récolte la colère », « Violeur on te voit, victime on te croit ». Ce sont quelques uns des slogans que Maud et Anouk ont affichés sur leur vitrine à l’occasion de la visite de Gerald Darmanin, ministre de l’Intérieur, au futur commissariat qui jouxte leur librairie. La police est immédiatement arrivée pour décoller les affiches puis bâcher les vitrines quand elle ne pouvait enlever celles qui étaient scotchées à l’intérieur. Pendant trois heures, la librairie Les Parleuses a été drapée de noir pour ne pas offenser la vue du ministre…
Cette raison est la dernière en date qui me fait aimer ce lieu où je me sens finalement comme à la maison : des livres, du café et du Prosecco, que demande le peuple ?  (La retraite à 60 ans, mais c’est une autre histoire).

 


Interview de l’auteure

Que peut faire la littérature ?
Michèle Pedinielli : Faire du bien j’espère, parce qu’elle peut beaucoup. Elle pénètre l’intimité du lecteur : elle remue les tripes, chatouille le cœur, provoque le cerveau et parfois — bonheur absolu — déclenche un rire libératoire.

Quelle importance les cafés ont-ils pour toi ?
MP : Enorme. Je m’en suis aperçue avec le covid. J’étais comme amputée d’une part essentielle de mon existence qui a le besoin de côtoyer des gens. Des gens que je ne connais pas, assis comme moi pour un café ou un verre. Des gens que je regarde et que j’écoute. Et qui se retrouvent parfois dans un de mes livres

Où te sens-tu chez toi ?
MP : Sur une rive méditerranéenne, entourée de pins parasols. Ça peut être en France ou dans n’importe quel autre partie du bassin, tant qu’il y a cette mer que j’aime et des olives à l’apéro.

 

BIO

Née en avril 1968, Michèle Pedinielli fait sa première manif à un mois et termine son premier roman 48 ans plus tard. Entre-temps, la routine : fuir Nice à 18 ans, devenir journaliste à Paris, revenir 22 ans plus tard au bercail, choisir de ne plus avoir de patron, pointer au chômage, voir sa nouvelle récompensée à TPS (Toulouse Polars du Sud) en 2015. Et décider d’écrire un roman pour ne pas mourir sans avoir essayé. Boccanera sort en février 2018 aux Editions de l’aube, suivi de Après les chiens (2019), La patience de l’immortelle (2021) et Sans collier en mars 2023

Reinhard Junge | Café Ferdinand, Bochum

Photo : Alain Barbero | Texte : Reinhard Junge | Trad. : Sylvie Barbero-Vibet

 

Mon premier policier, Brunhilde l’avait encore trouvé bien. Un mari écrivain – il y avait vraiment de quoi pérorer. Lors du lancement, elle m’avait même offert une de ses plus belles métaphores.
Lorsque je lui ai remis fièrement le deuxième livre (enveloppé spécialement pour l’occasion dans du papier rose), elle l’a jeté dans la poubelle jaune sans même l’ouvrir. « Maintenant, on arrête d’écrire des bêtises, hein ? Sinon… »
« Sinon quoi ? »
« Tu seras homme au foyer. Tu pourras taper à la machine une petite heure tous les soirs ! »
Parfait, je me suis dit. Mais : quelle illusion ! Quatre repas par jour pour quatre personnes, faire le taxi pour la crèche, l’école primaire, le pédiatre et le magasin bio, la lessive, le nettoyage des fenêtres et des couloirs, la déclaration d’impôts, les fleurs au cimetière, les missions de conciliation au bac à sable, où notre Heiko aimait terroriser les enfants du voisinage…
Pendant ce temps, mon épouse, professeure de musique et d’art, s’épanouissait. Enfin la sieste ! Et deux fois par semaine, le Café Ferdinand avec son amie Thea, et du coup j’avais aussi les enfants de Thea sur les bras. Taper à la machine ? Le soir, je tombais dans le coma, assis, après avoir écrit cinq lignes.
« Chéri », me susurra Brunhilde un midi, alors que je nettoyais les couverts.
« La semaine prochaine, c’est la Pentecôte. Cinq jours de congé ! Je pars à Rome avec Thea. Jasmina ira chez grand-père et Heiko restera avec toi. D’accord ? »
« Pourquoi Heiko ne peut-il pas aller lui aussi chez grand-père ? »
« Il ne saura pas non plus le gérer ! »
Merci, ai-je pensé, et j’ai demandé : “Et mon exposé ?”
« Chéri ! Ce genre de bêtises peut bien attendre ! »
Quelle coïncidence que le couteau à viande se trouvait justement à portée de main…

Dans mes nouveaux quartiers, je peux écrire en toute tranquillité. Bye, bye Brunhilde est le titre du livre. Et quand les douze ans seront passés, j’irai aussi au Café Ferdinand.

 


Interview de l’auteur

Que peut la littérature ?
Reinhard Junge : Tout ! Divertir, ennuyer, éduquer, indigner, glorifier les guerres, appeler à la révolution ou au génocide, irriter ou célébrer les gouvernements, dénoncer ou justifier l’injustice. En fait, elle peut tout. A condition que les auteur(e)s trouvent une maison d’édition prête à imprimer leurs œuvres.

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
RJ : J’adore les cafés. Un bon café est pour moi le compromis parfait entre les restaurants, où le sourire du serveur coûte déjà 50 €, et un bar à poivrots où l’on rencontre toute la misère de ce monde injuste. Pour moi, ils peuvent être des lieux de repos, de réflexion, de rêve, d’écriture et d’amitié. 

Où te sens-tu chez toi ?
RJ : Partout où il y a beaucoup de soleil, une vue dégagée sur la mer bleue, une plage blanche et un bon café.

 

BIO

Né en 1946 à Dortmund. 1966 Baccalauréat. Armée, études à Bochum. Après son stage en 1978, d’abord interdit d’exercer en tant que membre du DKP (Parti communiste allemand). Protestations en provenance de l’Allemagne et de l’étranger (notamment de la CGT). 1979-2012 enseignant dans un lycée. Puis 6 années d’allemand pour enfants étrangers. – 12 romans policiers (en partie avec Leo P. Ard et Christiane Bogenstahl), 4 documentaires sur les néonazis. – 3 enfants, 1 petit-fils, pas de maison, pas de chien. Supporter de toutes les équipes qui battent le Bayern Munich.

Regine Koth Afzelius | Intermezzo Bar, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Regine Koth Afzelius | Trad. : Sylvie Barbero-Vibet

 

Depuis toujours, j’aime considérer deux facettes : flexible et déterminée. Voleuse de chevaux royale et reine voleuse de chevaux. Pocky Pockberger au caveau-théâtre et Ofczarek au Burgtheater. Le Trio Lepschi à la guinguette Hengl-Haselbrunner et l’orchestre philharmonique de Vienne au Musikverein. Les dessins humoristiques de Martin Perscheid et les peintures de Franziska Maderthaner. Les textes de Selma Heaney, Peter Hodina, et ceux de Heimito von Doderer. Helge Schneider et Lisa Eckhart.

J’aime les chats et les chiens ! J’aime regarder les poules – la plus tachetée, qui court en ce moment à travers l’enclos, un ver dans le bec, la tête haute, les autres derrière elle, et juste après, en sens inverse, la brune, avec le même ver, poursuivie par une nuée de caquètements.

J’aime le Heumarkt et le Bar Intermezzo. En face l’un de l’autre, je me gare entre les deux. Dans chacun d’eux, je me sens comme chez moi. Angoisse permanente pour les deux : menace du manque d’argent pour le premier et de la démolition pour le second. Dans l’un, on connait des choses personnelles sur moi, dans l’autre, le choix de mon cocktail. Au Heumarkt, je suis assise sur le ruban adhésif noir d’une banquette en similicuir rouge fatiguée, transfigurée par le vrombissement de la vitrine aux pâtisseries et le duo affectueux de frères déjanté ; à l’Intermezzo, je m’enfonce dans le fauteuil de salon, transfigurée par le pathos international et le plus beau lustre du monde. Manger dans le premier, puis finir dans le second. Amen.

 


Interview de l’auteure

Que signifie la littérature pour toi ?
Regine Koth Afzelius : L’art du langage. Un texte doit captiver, surprendre et emporter. En écrivant, je cherche un exutoire et une clé pour surmonter la réalité. Tout doit sortir pour atteindre le plus grand nombre, non pas pour les affecter, mais pour les divertir. Quelle prétention ! Et alors ? Et en retour, des louanges et de la reconnaissance. Ha.

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
RKA : Je vis à la campagne – et j’entretiens des amitiés urbaines. Pour cela, il faut des cafés comme espace d’échange. Ce n’est que dans la nonchalance des deux cafés cités précédemment que je trouve l’atmosphère adaptée aux conversations comme je les aime : approfondies, enrichissantes, intimes.

Pourquoi as-tu choisi le bar Intermezzo ?
RKA : Ce soupçon de luxe !

Que fais-tu quand tu n’es pas au café ?
RKA : Je me lève ! Sortir les poules du poulailler ! Retourner au lit avec un café, WhatsApper avec le monde entier. Puis travailler sur mon nouveau roman. L’après-midi, enlever les pins et les bouleaux pourris à la tronçonneuse. Ou promenade en forêt. Si les pensées se bousculent : écrire à nouveau. À l’heure bleue, fondre dans le canapé, et en guise de générique de fin de journée, regarder au loin la volaille, jusqu’au film du soir.

 

BIO

Née en 1962 à Vienne. A étudié l’architecture à l’Arkitektskolen Aarhus (Danemark) et à l’Université des arts appliqués de Vienne. Diplôme d’architecture en 1997. Depuis 2008, vie à la campagne. Conceptrice de sites web. Artiste plasticienne. Auteure. Travail sur son quatrième roman.

Franziska Beyer-Lallauret | 1801 – Les Cuisines du Musée, Angers

Photo : Alain Barbero | Texte : Franziska Beyer-Lallauret

 

Auparavant, je naviguais entre deux villes. Je traversais quotidiennement le centre à pied pour rejoindre mon lieu de travail. Souvent, je passais par la place où se dresse le visage. Il est en bronze, je pense, et probablement deux fois plus haut que moi. Je pourrais lover ma tête au creux de son orbite. Sur le visage, on peut lire qui l’a fait. Moi, j’ai oublié. Je devrais m’y rendre exprès pour vérifier. Je n’ai jamais le temps.

Le visage fixe du regard le Musée des Beaux-Arts. C’est un bâtiment ancien, en pierre blanche. Ils y ont encastré l’escalier comme une prothèse dentaire. Les marches, raides, te coupent le souffle d’abord, puis t’amènent vers les tableaux. Parmi eux, il y a un supposé Botticelli, mais rien n’est moins sûr. Si quelqu’un le réclame un jour de façon justifiée, le musée doit le rendre. Il fait partie des huit œuvres spoliées par les nazis. Suspendu, il attend la délivrance.

Dans l’aile gauche du musée se cache le café, voûtes claires, cloisons obscures. Son nom est le début d’un siècle. Les tables en bois sont toutes différentes, du moins je le crois et cela me plaît. J’ai toujours eu l’impression qu’il y a ici quelque chose qui plane, ça brille quand la lumière l’effleure : fragments de poussière, mirage, fil d’Ariane tombé de la lampe… Je n’arrive pas à m’en souvenir précisément. Maintenant je franchis la rivière pour rentrer chez moi. Je ne dois pas bifurquer.

À 18 heures, lorsque le musée et le café ferment, deux rideaux en fer forgé claquent derrière les visiteurs. Alors s’éteignent les particules dorées. Il n’y a plus rien à voir.

 


Interview de l’auteure

De quoi la littérature est capable ?
Franziska Beyer-Lallauret : Elle est un monde à part, espace de sublimation pour les émotions débordantes et lieu de repli, surtout la poésie, avec ses possibilités de jeu innombrables. De plus, lire rime toujours avec apprendre, c’est donc un élargissement infini de l’horizon. Et on peut partager la littérature avec autrui. Elle crée des liens et provoque le dialogue. J’essaie de transmettre tout cela également à mes élèves au Lycée Joachim du Bellay. Dans le contexte actuel, il est certainement naïf de croire que le mot écrit sauve le monde, mais ne pourrait-il être un début ?

Que représentent pour toi les cafés ?
FBL : Depuis que mon fils est né en 2015, ils sont plutôt devenus des lieux de rêve : le quotidien ne me permet guère de les fréquenter ! Ce sont des endroits particuliers, d’abord pour discuter et créer des souvenirs, puis pour observer et contempler. L’un ou l’autre déclenche parfois un processus créateur. En outre, j’aime les voyages dans le temps. Le café 1801 par exemple se situe dans un bâtiment ancien et ressemble à une chapelle avec ses voûtes en hauteur. Sa sobriété m’inspire. Il y a beaucoup de place entre les tables en bois, beaucoup d’air. Le silence parle ici.

Où te sens-tu chez toi ?
FBL : Partout où il y a des personnes que j’aime, dans un premier temps. Il est vrai que j’ai depuis des années deux pays et deux langues. En Allemagne tout comme en France qui forment d’ailleurs, pour moi, quasiment un ensemble, il y a certes mes deux « chez-moi » dans les régions de la Mulde et de la Loire mais aussi d’autres points d’ancrage. Ainsi, je dois retourner régulièrement en Bretagne, une terre qui m’attire irrésistiblement depuis que j’y ai travaillé et vécu comme assistante d’allemand.

 

BIO

Franziska Beyer-Lallauret, née en Saxe (Allemagne de l’Est) en 1977, a étudié les Lettres allemandes et le Français à l’Université de Leipzig. Agrégée d’allemand, elle vit avec sa famille en tant qu’auteure et professeure d’allemand près d’Angers. Falterfragmente / Poussière de papillon, son deuxième recueil de poésies, bilingue, traduit par elle-même, est paru récemment aux éditions dr. ziethen verlag en Allemagne. En 2021, à Berlin, elle a été récompensée par le Prix Ulrich Grasnick. En 2022 elle a été finaliste du Prix de Merano (Lyrikpreis Meran), concours de poésie germanophone réputé.

Sibylla Vričić Hausmann | Café Grundmann, Leipzig

Photo : Alain Barbero | Texte :  Sibylla Vričić Hausmann | Trad. : Sylvie Barbero-Vibet

 

Je reste un corps étranger. Être servie déclenche en moi un sentiment de culpabilité. S’asseoir seule dans un café, un sentiment d’imposture. Peut-être parce que je viens d’un village et qu’adolescente, je traînais plutôt dans la forêt et à l’arrêt de bus. Enfant, les cafés ou les chocolats chauds, les gâteaux et les glaces servaient d’appâts pour me persuader de faire des randonnées ou d’autres activités sportives. Une fois, mon frère s’est cassé le bras en faisant du ski. Je n’en revenais pas que nous quittions les pistes sans avoir eu mon “chocolat chaud”. Pourtant, enfiler et enlever ma combinaison de ski, marcher dans mes chaussures de ski et traîner mes skis, prendre le téléski, dévaler les pentes à toute vitesse et affronter le froid mordant étaient pour moi les pires épreuves ! Il y a quelque temps, j’étais ici, au Café Grundmann, avec ma mère et mon beau-père, qui est mort l’année dernière. En général, mon beau-père se faisait bien dans les cafés. J’imagine qu’il se sentait chez lui dans cette atmosphère semi-publique, car ses parents possédaient une épicerie dans laquelle il passait beaucoup de temps étant enfant. Le Grundmann convenait particulièrement bien à mon beau-père. Parce qu’il est élégant, un peu démodé, parce qu’il y a un piano et que – d’après les affiches – on y donne des concerts de jazz. La séance photo a été longue et m’a bien sûr beaucoup exposée aux autres clients et personnes qui travaillent ici. Je ne sais pas, cher Alain, comment tu as fait pour que je m’y sente à l’aise.

 


Interview de l’auteure

Que signifie la littérature pour toi ?
Sibylla Vričić Hausmann : Un lieu où je ne suis pas seule – mais où je peux être pour moi. Donc peut-être ce que sont les cafés pour d’autres.

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
SVH : Je les fréquente plutôt rarement. Mais parfois, ils sont des lieux de récompense, de loisir, de moments particuliers. Un jour d’été, s’asseoir avec mes enfants à une petite table ronde de café, manger une glace et faire crisser mon pied dans le gravier…

Pourquoi as-tu choisi le Café Grundmann ?
SVH : Il ressemble à un café viennois – des lieux de culture littéraire que je n’ai pas connus moi-même, mais que je trouve intéressants et attrayants. Peut-être, oui peut-être, qu’un peu de leur charme me sera transmis et qu’un jour je réapprendrai à écrire et à lire dans un café.

Que fais-tu quand tu n’es pas au café ?
SVH : Je me fais du café. J’écris mon livre et des poèmes. Journal intime. Des rapports d’expertise. Envoyer des e-mails. Je passe des entretiens d’embauche. Suivre l’actualité et échanger avec des amies. Joue avec mes enfants. Prend soin de nous. Lave la vaisselle. Écoute la radio. Surfe sur le web. Va voir un psychologue. Dors, dors, dors, dors. Rêve de choses et d’autres. Je me prépare pour les phases plus extraverties de l’année.

 

BIO

Sibylla Vričić Hausmann, née en 1979 à Wolfsburg. Études à Münster (WWU) et Berlin (FU), puis projets à Berlin, stage au Goethe-Institut de Sarajevo ; a vécu de 2009 à 2012 à Mostar, en Bosnie-Herzégovine, où elle a travaillé dans un théâtre. 2014-2017 : études à l’Institut littéraire allemand de Leipzig. Parallèlement à sa propre écriture, elle est professeur d’écriture littéraire, lectrice et modératrice lors d’événements littéraires. Cofondatrice du blog Other Writers Need to Concentrate (en collaboration avec Katharina Bendixen et David Blum en 2020) et de la série de lectures Zürn (en collaboration avec Özlem Özgül Dündar en 2022). Vričić Hausmann a notamment reçu le prix Orphil pour ses débuts en 2018 (pour son recueil de poésie 3 FALTER, poetenladen Verlag), une bourse de séjour du Literarisches Colloquium Berlin en 2019 et la bourse Rainer Malkowski en 2022. En mars 2023, son recueil de poèmes actuel meine Faust (kookbooks Verlag) sera élu Lyrik-Empfehlung 2023. Elle vit à Leipzig avec ses deux enfants.