Archive d’étiquettes pour : Café

Reinhard Junge | Café Ferdinand, Bochum

Photo : Alain Barbero | Texte : Reinhard Junge | Trad. : Sylvie Barbero-Vibet

 

Mon premier policier, Brunhilde l’avait encore trouvé bien. Un mari écrivain – il y avait vraiment de quoi pérorer. Lors du lancement, elle m’avait même offert une de ses plus belles métaphores.
Lorsque je lui ai remis fièrement le deuxième livre (enveloppé spécialement pour l’occasion dans du papier rose), elle l’a jeté dans la poubelle jaune sans même l’ouvrir. « Maintenant, on arrête d’écrire des bêtises, hein ? Sinon… »
« Sinon quoi ? »
« Tu seras homme au foyer. Tu pourras taper à la machine une petite heure tous les soirs ! »
Parfait, je me suis dit. Mais : quelle illusion ! Quatre repas par jour pour quatre personnes, faire le taxi pour la crèche, l’école primaire, le pédiatre et le magasin bio, la lessive, le nettoyage des fenêtres et des couloirs, la déclaration d’impôts, les fleurs au cimetière, les missions de conciliation au bac à sable, où notre Heiko aimait terroriser les enfants du voisinage…
Pendant ce temps, mon épouse, professeure de musique et d’art, s’épanouissait. Enfin la sieste ! Et deux fois par semaine, le Café Ferdinand avec son amie Thea, et du coup j’avais aussi les enfants de Thea sur les bras. Taper à la machine ? Le soir, je tombais dans le coma, assis, après avoir écrit cinq lignes.
« Chéri », me susurra Brunhilde un midi, alors que je nettoyais les couverts.
« La semaine prochaine, c’est la Pentecôte. Cinq jours de congé ! Je pars à Rome avec Thea. Jasmina ira chez grand-père et Heiko restera avec toi. D’accord ? »
« Pourquoi Heiko ne peut-il pas aller lui aussi chez grand-père ? »
« Il ne saura pas non plus le gérer ! »
Merci, ai-je pensé, et j’ai demandé : “Et mon exposé ?”
« Chéri ! Ce genre de bêtises peut bien attendre ! »
Quelle coïncidence que le couteau à viande se trouvait justement à portée de main…

Dans mes nouveaux quartiers, je peux écrire en toute tranquillité. Bye, bye Brunhilde est le titre du livre. Et quand les douze ans seront passés, j’irai aussi au Café Ferdinand.

 


Interview de l’auteur

Que peut la littérature ?
Reinhard Junge : Tout ! Divertir, ennuyer, éduquer, indigner, glorifier les guerres, appeler à la révolution ou au génocide, irriter ou célébrer les gouvernements, dénoncer ou justifier l’injustice. En fait, elle peut tout. A condition que les auteur(e)s trouvent une maison d’édition prête à imprimer leurs œuvres.

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
RJ : J’adore les cafés. Un bon café est pour moi le compromis parfait entre les restaurants, où le sourire du serveur coûte déjà 50 €, et un bar à poivrots où l’on rencontre toute la misère de ce monde injuste. Pour moi, ils peuvent être des lieux de repos, de réflexion, de rêve, d’écriture et d’amitié. 

Où te sens-tu chez toi ?
RJ : Partout où il y a beaucoup de soleil, une vue dégagée sur la mer bleue, une plage blanche et un bon café.

 

BIO

Né en 1946 à Dortmund. 1966 Baccalauréat. Armée, études à Bochum. Après son stage en 1978, d’abord interdit d’exercer en tant que membre du DKP (Parti communiste allemand). Protestations en provenance de l’Allemagne et de l’étranger (notamment de la CGT). 1979-2012 enseignant dans un lycée. Puis 6 années d’allemand pour enfants étrangers. – 12 romans policiers (en partie avec Leo P. Ard et Christiane Bogenstahl), 4 documentaires sur les néonazis. – 3 enfants, 1 petit-fils, pas de maison, pas de chien. Supporter de toutes les équipes qui battent le Bayern Munich.

Regine Koth Afzelius | Intermezzo Bar, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Regine Koth Afzelius | Trad. : Sylvie Barbero-Vibet

 

Depuis toujours, j’aime considérer deux facettes : flexible et déterminée. Voleuse de chevaux royale et reine voleuse de chevaux. Pocky Pockberger au caveau-théâtre et Ofczarek au Burgtheater. Le Trio Lepschi à la guinguette Hengl-Haselbrunner et l’orchestre philharmonique de Vienne au Musikverein. Les dessins humoristiques de Martin Perscheid et les peintures de Franziska Maderthaner. Les textes de Selma Heaney, Peter Hodina, et ceux de Heimito von Doderer. Helge Schneider et Lisa Eckhart.

J’aime les chats et les chiens ! J’aime regarder les poules – la plus tachetée, qui court en ce moment à travers l’enclos, un ver dans le bec, la tête haute, les autres derrière elle, et juste après, en sens inverse, la brune, avec le même ver, poursuivie par une nuée de caquètements.

J’aime le Heumarkt et le Bar Intermezzo. En face l’un de l’autre, je me gare entre les deux. Dans chacun d’eux, je me sens comme chez moi. Angoisse permanente pour les deux : menace du manque d’argent pour le premier et de la démolition pour le second. Dans l’un, on connait des choses personnelles sur moi, dans l’autre, le choix de mon cocktail. Au Heumarkt, je suis assise sur le ruban adhésif noir d’une banquette en similicuir rouge fatiguée, transfigurée par le vrombissement de la vitrine aux pâtisseries et le duo affectueux de frères déjanté ; à l’Intermezzo, je m’enfonce dans le fauteuil de salon, transfigurée par le pathos international et le plus beau lustre du monde. Manger dans le premier, puis finir dans le second. Amen.

 


Interview de l’auteure

Que signifie la littérature pour toi ?
Regine Koth Afzelius : L’art du langage. Un texte doit captiver, surprendre et emporter. En écrivant, je cherche un exutoire et une clé pour surmonter la réalité. Tout doit sortir pour atteindre le plus grand nombre, non pas pour les affecter, mais pour les divertir. Quelle prétention ! Et alors ? Et en retour, des louanges et de la reconnaissance. Ha.

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
RKA : Je vis à la campagne – et j’entretiens des amitiés urbaines. Pour cela, il faut des cafés comme espace d’échange. Ce n’est que dans la nonchalance des deux cafés cités précédemment que je trouve l’atmosphère adaptée aux conversations comme je les aime : approfondies, enrichissantes, intimes.

Pourquoi as-tu choisi le bar Intermezzo ?
RKA : Ce soupçon de luxe !

Que fais-tu quand tu n’es pas au café ?
RKA : Je me lève ! Sortir les poules du poulailler ! Retourner au lit avec un café, WhatsApper avec le monde entier. Puis travailler sur mon nouveau roman. L’après-midi, enlever les pins et les bouleaux pourris à la tronçonneuse. Ou promenade en forêt. Si les pensées se bousculent : écrire à nouveau. À l’heure bleue, fondre dans le canapé, et en guise de générique de fin de journée, regarder au loin la volaille, jusqu’au film du soir.

 

BIO

Née en 1962 à Vienne. A étudié l’architecture à l’Arkitektskolen Aarhus (Danemark) et à l’Université des arts appliqués de Vienne. Diplôme d’architecture en 1997. Depuis 2008, vie à la campagne. Conceptrice de sites web. Artiste plasticienne. Auteure. Travail sur son quatrième roman.

Franziska Beyer-Lallauret | 1801 – Les Cuisines du Musée, Angers

Photo : Alain Barbero | Texte : Franziska Beyer-Lallauret

 

Auparavant, je naviguais entre deux villes. Je traversais quotidiennement le centre à pied pour rejoindre mon lieu de travail. Souvent, je passais par la place où se dresse le visage. Il est en bronze, je pense, et probablement deux fois plus haut que moi. Je pourrais lover ma tête au creux de son orbite. Sur le visage, on peut lire qui l’a fait. Moi, j’ai oublié. Je devrais m’y rendre exprès pour vérifier. Je n’ai jamais le temps.

Le visage fixe du regard le Musée des Beaux-Arts. C’est un bâtiment ancien, en pierre blanche. Ils y ont encastré l’escalier comme une prothèse dentaire. Les marches, raides, te coupent le souffle d’abord, puis t’amènent vers les tableaux. Parmi eux, il y a un supposé Botticelli, mais rien n’est moins sûr. Si quelqu’un le réclame un jour de façon justifiée, le musée doit le rendre. Il fait partie des huit œuvres spoliées par les nazis. Suspendu, il attend la délivrance.

Dans l’aile gauche du musée se cache le café, voûtes claires, cloisons obscures. Son nom est le début d’un siècle. Les tables en bois sont toutes différentes, du moins je le crois et cela me plaît. J’ai toujours eu l’impression qu’il y a ici quelque chose qui plane, ça brille quand la lumière l’effleure : fragments de poussière, mirage, fil d’Ariane tombé de la lampe… Je n’arrive pas à m’en souvenir précisément. Maintenant je franchis la rivière pour rentrer chez moi. Je ne dois pas bifurquer.

À 18 heures, lorsque le musée et le café ferment, deux rideaux en fer forgé claquent derrière les visiteurs. Alors s’éteignent les particules dorées. Il n’y a plus rien à voir.

 


Interview de l’auteure

De quoi la littérature est capable ?
Franziska Beyer-Lallauret : Elle est un monde à part, espace de sublimation pour les émotions débordantes et lieu de repli, surtout la poésie, avec ses possibilités de jeu innombrables. De plus, lire rime toujours avec apprendre, c’est donc un élargissement infini de l’horizon. Et on peut partager la littérature avec autrui. Elle crée des liens et provoque le dialogue. J’essaie de transmettre tout cela également à mes élèves au Lycée Joachim du Bellay. Dans le contexte actuel, il est certainement naïf de croire que le mot écrit sauve le monde, mais ne pourrait-il être un début ?

Que représentent pour toi les cafés ?
FBL : Depuis que mon fils est né en 2015, ils sont plutôt devenus des lieux de rêve : le quotidien ne me permet guère de les fréquenter ! Ce sont des endroits particuliers, d’abord pour discuter et créer des souvenirs, puis pour observer et contempler. L’un ou l’autre déclenche parfois un processus créateur. En outre, j’aime les voyages dans le temps. Le café 1801 par exemple se situe dans un bâtiment ancien et ressemble à une chapelle avec ses voûtes en hauteur. Sa sobriété m’inspire. Il y a beaucoup de place entre les tables en bois, beaucoup d’air. Le silence parle ici.

Où te sens-tu chez toi ?
FBL : Partout où il y a des personnes que j’aime, dans un premier temps. Il est vrai que j’ai depuis des années deux pays et deux langues. En Allemagne tout comme en France qui forment d’ailleurs, pour moi, quasiment un ensemble, il y a certes mes deux « chez-moi » dans les régions de la Mulde et de la Loire mais aussi d’autres points d’ancrage. Ainsi, je dois retourner régulièrement en Bretagne, une terre qui m’attire irrésistiblement depuis que j’y ai travaillé et vécu comme assistante d’allemand.

 

BIO

Franziska Beyer-Lallauret, née en Saxe (Allemagne de l’Est) en 1977, a étudié les Lettres allemandes et le Français à l’Université de Leipzig. Agrégée d’allemand, elle vit avec sa famille en tant qu’auteure et professeure d’allemand près d’Angers. Falterfragmente / Poussière de papillon, son deuxième recueil de poésies, bilingue, traduit par elle-même, est paru récemment aux éditions dr. ziethen verlag en Allemagne. En 2021, à Berlin, elle a été récompensée par le Prix Ulrich Grasnick. En 2022 elle a été finaliste du Prix de Merano (Lyrikpreis Meran), concours de poésie germanophone réputé.

Sibylla Vričić Hausmann | Café Grundmann, Leipzig

Photo : Alain Barbero | Texte :  Sibylla Vričić Hausmann | Trad. : Sylvie Barbero-Vibet

 

Je reste un corps étranger. Être servie déclenche en moi un sentiment de culpabilité. S’asseoir seule dans un café, un sentiment d’imposture. Peut-être parce que je viens d’un village et qu’adolescente, je traînais plutôt dans la forêt et à l’arrêt de bus. Enfant, les cafés ou les chocolats chauds, les gâteaux et les glaces servaient d’appâts pour me persuader de faire des randonnées ou d’autres activités sportives. Une fois, mon frère s’est cassé le bras en faisant du ski. Je n’en revenais pas que nous quittions les pistes sans avoir eu mon “chocolat chaud”. Pourtant, enfiler et enlever ma combinaison de ski, marcher dans mes chaussures de ski et traîner mes skis, prendre le téléski, dévaler les pentes à toute vitesse et affronter le froid mordant étaient pour moi les pires épreuves ! Il y a quelque temps, j’étais ici, au Café Grundmann, avec ma mère et mon beau-père, qui est mort l’année dernière. En général, mon beau-père se faisait bien dans les cafés. J’imagine qu’il se sentait chez lui dans cette atmosphère semi-publique, car ses parents possédaient une épicerie dans laquelle il passait beaucoup de temps étant enfant. Le Grundmann convenait particulièrement bien à mon beau-père. Parce qu’il est élégant, un peu démodé, parce qu’il y a un piano et que – d’après les affiches – on y donne des concerts de jazz. La séance photo a été longue et m’a bien sûr beaucoup exposée aux autres clients et personnes qui travaillent ici. Je ne sais pas, cher Alain, comment tu as fait pour que je m’y sente à l’aise.

 


Interview de l’auteure

Que signifie la littérature pour toi ?
Sibylla Vričić Hausmann : Un lieu où je ne suis pas seule – mais où je peux être pour moi. Donc peut-être ce que sont les cafés pour d’autres.

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
SVH : Je les fréquente plutôt rarement. Mais parfois, ils sont des lieux de récompense, de loisir, de moments particuliers. Un jour d’été, s’asseoir avec mes enfants à une petite table ronde de café, manger une glace et faire crisser mon pied dans le gravier…

Pourquoi as-tu choisi le Café Grundmann ?
SVH : Il ressemble à un café viennois – des lieux de culture littéraire que je n’ai pas connus moi-même, mais que je trouve intéressants et attrayants. Peut-être, oui peut-être, qu’un peu de leur charme me sera transmis et qu’un jour je réapprendrai à écrire et à lire dans un café.

Que fais-tu quand tu n’es pas au café ?
SVH : Je me fais du café. J’écris mon livre et des poèmes. Journal intime. Des rapports d’expertise. Envoyer des e-mails. Je passe des entretiens d’embauche. Suivre l’actualité et échanger avec des amies. Joue avec mes enfants. Prend soin de nous. Lave la vaisselle. Écoute la radio. Surfe sur le web. Va voir un psychologue. Dors, dors, dors, dors. Rêve de choses et d’autres. Je me prépare pour les phases plus extraverties de l’année.

 

BIO

Sibylla Vričić Hausmann, née en 1979 à Wolfsburg. Études à Münster (WWU) et Berlin (FU), puis projets à Berlin, stage au Goethe-Institut de Sarajevo ; a vécu de 2009 à 2012 à Mostar, en Bosnie-Herzégovine, où elle a travaillé dans un théâtre. 2014-2017 : études à l’Institut littéraire allemand de Leipzig. Parallèlement à sa propre écriture, elle est professeur d’écriture littéraire, lectrice et modératrice lors d’événements littéraires. Cofondatrice du blog Other Writers Need to Concentrate (en collaboration avec Katharina Bendixen et David Blum en 2020) et de la série de lectures Zürn (en collaboration avec Özlem Özgül Dündar en 2022). Vričić Hausmann a notamment reçu le prix Orphil pour ses débuts en 2018 (pour son recueil de poésie 3 FALTER, poetenladen Verlag), une bourse de séjour du Literarisches Colloquium Berlin en 2019 et la bourse Rainer Malkowski en 2022. En mars 2023, son recueil de poèmes actuel meine Faust (kookbooks Verlag) sera élu Lyrik-Empfehlung 2023. Elle vit à Leipzig avec ses deux enfants.

Emanuil A. Vidinski | Mi Casa, Sofia

Photo : Alain Barbero | Texte : Emanuil A. Vidinski | Traduction du texte bulgare : Raya Hristova, interview et bio (de l’allemand) :  Sylvie Barbero-Vibet

 

L’autre jour, j’ai vu ma main vieillir
c’était en automne, un dimanche, le soleil brillait
j’ai vu ces petits signes précurseurs du  silence
les fines ridules sur la peau, comme des nouveaux-nés
qui réclament leur droit de vivre
avec une volonté inébranlable de grandir
et de s’approfondir
dans leur zèle

J’ai vu ma main vieillir
et j’ai eu de la peine,
si touchante dans sa vulnérabilité
et calme
afin d’endurer docilement tout
ce dont elle ne sait rien

 

Original (bulgare)

Онзи ден видях ръката си да остарява
беше есен, неделя, слънцето грееше
видях тези малолетни предвестници на тишината
фините бръчици по кожата, като новородени
да заявяват правото си на живот
с непоколебимата воля да растат
и задълбават
в усърдието си

Видях ръката си да остарява
и ми дожаля
такава една трогателно безпомощна
и тиха
да понася безропотно всичко
за което не знае

 

Interview de l’auteur

Que peut faire la littérature ?
Emanuil A. Vidinski : La littérature peut presque tout. Arrêter le temps, donner du sens, apprendre l’empathie, offrir une issue, transmettre du savoir, apporter du réconfort et, last but not least, guérir les blessures qui ne saignent pas mais qui sont douloureuses.

Que représentent les cafés pour toi ?
EAV : Un beau café peut être comme un chez-soi. Peu d’endroits ont cette capacité. C’est pourquoi j’apprécie beaucoup les bons cafés. Il faut qu’il soit calme et qu’il y ait beaucoup de fenêtres.

Où te sens-tu chez toi ?
EAV : Dans certains cafés et dans les bibliothèques. Dans une pièce remplie de livres, j’ai toujours l’impression de ne pas être perdu. C’est le sentiment familier que l’on a chez soi. Là où il y a des livres, on a l’impression qu’il n’y a pas de coins, et même si on trébuche et qu’on tombe, on se relève en douceur.

 

BIO

Né en 1978, Emanuil A. VIDINSKI est un écrivain, poète, éditeur et musicien bulgare. Il a notamment écrit les recueils de nouvelles Kartografii na biagstvoto (Cartographies de la fuite, 2005) et Egon i tishinata (Egon et le silence, 2015), ainsi que le roman Mesta za dishane (Lieux de respiration, 2008). En tant que musicien, Vidinski était chanteur et guitariste du groupe Par Avion Band qu’il a lui-même fondé. Le recueil de poésie bulgare-allemand Par Avion a été traduit en allemand par Petya Lund et publié par les éditions eta à Berlin (2017).

Ildikó Boldizsár | Kelet Kávézó és Galéria, Budapest

Photo : Alain Barbero | Texte : Ildikó Boldizsár | Traduction (du hongrois) : Christian Szabo

 

Imaginez un endroit à Budapest qui offre tout ce dont vous avez besoin pour un charmant moment de café. Je ne vais même pas mentionner le délicieux café, c’est une exigence de base, je vais parler de ce que ce café me donne à différents moments de la journée. 
Quand je viens ici le matin, j’aime regarder la ville s’éveiller, les trams passer à toute vitesse et les oiseaux picorer les miettes sur le trottoir. J’aime me réveiller avec un latte posé devant moi, parce que ce n’est pas seulement une boisson agréable : elle a le goût de l’humeur du moment du barista. Et cet endroit n’a pas de barista grincheux ou sombre, ni de serveur pressé. Tout le monde a droit à un mot gentil et c’est un bon début. Je vérifie ma liste de choses à faire, j’écris quelques courriels et je retourne observer les oiseaux dans la rue.

À midi, l’atmosphère est tout à fait différente, des étudiants arrivent pour le déjeuner et de nombreuses personnes des bureaux voisins viennent manger un sandwich au grill ou un plat de légumes léger. Mon plat préféré est le curry aux champignons, mais j’avoue que je ne viens pas ici pour la nourriture. J’aime cette bonne ambiance, regarder les gens apprécier leur plat, et écouter les joyeuses conversations et les rires entre les tables. Tant de choses peuvent se passer en une demi-journée !

L’après-midi et le soir, l’endroit montre de nouveau un autre visage. Les amoureux et les amis s’assoient aux tables, il n’y a jamais de place, je dois attendre mon tour – mais j’attends patiemment et le moment arrive où je peux m’asseoir à mon endroit favori, dans le coin. Et puis arrive le moment que je préfère : je tends la main vers l’étagère et me saisis d’un livre. Oui, c’est ça ! Pour moi, livres et café vont de pair. Si je viens seule, je ne le suis pas car je peux parler aux livres, ce que j’ai de nombreuses occasions de faire, il y a 5 à 6000 volumes dans le café. Ils changent tous les jours car n’importe qui peut prendre un livre pour le remplacer par un autre.

Imaginez, il y a un endroit à Budapest, dans la rue Bartók Béla, qui s’appelle Keleti Kávézó és Galéria, et c’est mon endroit préféré.

 

Original (hongrois)

Képzeljék el, van egy hely Budapesten, ahol minden együtt van, ami egy meghitt kávézáshoz szükséges. A finom kávét meg sem említem, ez alapkövetelmény, inkább arról mesélek, mit ad nekem ez a kávézó a különböző napszakokban. Ha reggel térek be ide, szeretem nézni az ébredező várost, az elsuhanó villamosokat és a járdára röppenő, morzsákat csipegető madarakat. Szeretek azzal a lattéval ébredni, amit itt tesznek elém, mert nem csupán egy kellemes ital: benne van az ízében a barista éppen aktuális hangulata. Márpedig ezen a helyen nincsenek morcos, kedvetlen baristák, kapkodva kiszolgáló pincérek. Mindenkinek jut egy kedves szó, és máris jól indul a nap. Átnézem a teendőimet, megírok néhány e-mailt, aztán újra a madarakat figyelem az utcán.

Délben egészen más a hangulat, ebédre érkeznek az egyetemisták, a közeli hivatalokból is sokan beugranak egy grillszendvicsre vagy valami könnyű zöldséges ételre. Kedvencem a laskagombás curry, de bevallom, hogy nem az étel miatt jövök ide. Szeretem hallgatni ezt a jóleső zsizsgést, szeretem nézni az embereket, ahogy örülnek az ételeknek, és szeretem hallgatni a jókedvű beszélgetéseket és nevetéseket az asztalok között. Nahát, mennyi minden történhet fél nap alatt!

Délután és este megint más arcát mutatja a hely. Szerelmesek, barátok ülnek az asztaloknál, sosincs szabad asztal, várni kell, amíg sorra kerülök – de várok türelmesen, mert eljön az a pillanat, amikor leülhetek kedvenc kis kuckómban, a sarokban. És akkor következik az, amiért a legjobban szeretek idejárni: felnyúlok a könyvespolcra, és leemelek egy könyvet. Igen, ez az! A könyv és a kávé nálam összetartozik. Ha egyedül jövök ide, akkor sem vagyok egyedül, mert beszélgethetek a könyvekkel, amire jó sok lehetőségem van, mert a kávézóban 5-6000 kötet található. Ezek naponta változnak, mert egy cserekönyvért bárki elvihet egy másikat.

Képzeljék, van egy hely Budapesten, a Bartók Béla úton, Kelet Kávézó és Galéria a neve, és ez az én kedvencem.

 


Interview de l’auteure

Que peut la littérature ?
Ildikó Boldizsár : Quand j’étais petite, je n’arrivais pas à décider quelle carrière choisir. Je voulais être tout à la fois : ornithologue, cardiologue, jardinière, exploratrice, globe-trotteuse… Il m’est vite apparu que c’était impossible. C’est pourquoi je suis devenue écrivaine : parce que je peux être n’importe qui et n’importe quoi en écrivant. Je pense que c’est le rôle et le but de la littérature : montrer aux gens les possibilités illimitées et les emmener dans des paysages extérieurs et intérieurs qu’ils n’atteindraient pas sans les livres.

Quelle importance les cafés ont-ils pour toi ?
IB : J’ai beaucoup voyagé ces dernières années et ma première visite est toujours dans un café. Je m’assois et j’écoute. Vous pouvez apprendre beaucoup de choses sur une ville et ses habitants de cette manière. Les cafés sont des lieux où l’on pose des questions, où l’on s’informe, où l’on discute. Dans les cafés (où qu’ils se trouvent dans le monde), il y a de la vie, on échange des informations et il se passe toujours quelque chose d’intéressant.

Où te sens-tu chez toi ?
IB : Quand j’étais plus jeune, je cherchais à trouver la réponse à cette question.
J’ai voyagé à l’autre bout du monde parce que je pensais trouver un endroit où je me sentirais enfin chez moi. J’ai été très déçue de ne pas le trouver. Je suis allée dans tous les endroits que je croyais « faits pour moi » : plages sauvages de l’océan, bosquets méditerranéens, montagnes imposantes et petites maisons au bord du lac. Je me suis alors rendu compte que je cherchais ma « maison » à l’extérieur, mais que je ne pouvais la trouver qu’à l’intérieur de moi-même.
Et c’est ce que j’ai fait. Depuis, je me sens chez moi partout où la vie me mène.

 

BIO

Ildikó Boldizsár est écrivaine, conteuse, thérapeute par le conte et professeure d’université. Elle a publié cinquante-huit livres sur les contes de fées : des recueils, des ouvrages théoriques et ses propres histoires. C’est à elle que l’on doit le développement de la méthode de thérapie par les contes Métamorphoses, qu’elle enseigne en Hongrie et à l’étranger. Elle vit à Budapest lorsqu’elle n’est pas sur la route. Elle est passionnée de voyages à travers le monde.

Selim Özdoğan, Café Soleil

Selim Özdoğan | Café Soleil, Cologne

Photo : Alain Barbero | Texte : Selim Özdoğan | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

Il fut un temps où il s’agissait de ne pas se laisser attendrir. De garder sa colère. De ne pas céder d’un pouce. Si tu cèdes, ce sont eux dehors qui gagnent. Il fut un temps où l’on entendait Cassandra Complex : I want to grow old and cold and lonely / As long as you don’t win / Win / You didn’t win.
Puis vint le temps où il fallait devenir doux. Perméable. Souple. S’exposer à tout ce qu’on pouvait appeler la vie. Être touché par chaque mot et chaque regard, chaque main et chaque cœur. Il n’y avait plus le dehors et il n’y avait plus rien à gagner. Juste quelque chose à goûter. Avec tous nos sens.

 


Interview de l’auteur

Que peut la littérature ?
Selim Özdoğan : La littérature peut ouvrir des espaces et offre la possibilité d’entrer en contact. Le contact naît aux frontières, aux limites de notre propre monde.
La littérature peut aussi être la musique que nous appelons parfois l’amour.

Quelle importance les cafés ont-ils pour toi ?
SÖ : Avec le temps, je cherche des endroits où l’on trouve des gâteaux qui plaisent aux enfants.
Sinon, les cafés offrent la possibilité de boire un bon café, de parler et de flâner. Toutes des choses importantes dans ma vie.

Où te sens-tu chez toi ?
SÖ : Là où la musique est juste. La musique entre les gens, la musique entre moi et les autres.

 

BIO

Né en 1971, Selim Özdogan a publié de nombreux romans, récits et livres audio depuis son premier roman en 1995, Es ist so einsam im Sattel, seit dem Pferd tot ist (Éd. Aufbau Taschenbuch). Cela lui a valu des prix et des bourses. Il boit du café, pratique le yoga, mange du chocolat noir, parle, lit, écoute de la musique et fait des exercices de respiration.

Baya Streiff | Le Murmure fracassant, Paris

Photo : Alain Barbero | Texte : Baya Streiff

 

Tout commence par une fin de nuit en ombres chinoises, avec ses nuages blancs,  pareils à des lanternes en suspension.  Est-ce le parfum capiteux des Sarcococcas qui attrape la narine ou cette joie simple d’entendre le son de cette clarinette qui s’échappe du métro  et qui me pousse à faire résonner mes pas sur les pavés disjoints ? La ville pavoise. L’air distille une odeur entêtante de brioche chaude. Partout, sur l’asphalte, un festival de silhouettes colorées, évoquant un kaléidoscope géant. Au-dessus, des centaines d’oiseaux pépient leur cantate matinale et joyeuse. Aux terrasses, déjà, des hommes gouailleurs fanfaronnent devant leurs belles. Sur la table, oubliés les cocktails tièdes… En face sur le boulevard, des anxieux courent en tous sens, comme des poules sans tête. Croiser un fleuriste, devant lequel  de vieux routiers du bouquet avec leurs mains de marionnettistes, patientent, perdus dans la concurrence de leurs souvenirs. Dehors le ciel, comme une coupole. D’où me vient ce besoin de baguenauder sous la lumière voluptueuse du printemps, avant de m’asseoir, enfin, le cœur flageolant,  pour savourer le premier café du matin au bar « Le Murmure fracassant ».

 


Interview de l’auteure

Que peut faire la littérature ?
Baya Streiff : La littérature m’a toujours accompagnée. Elle donne de l’élégance à la vie, en plus d’être une amie fidèle. Écrire c’est un peu comme revenir sur ses pas pour renverser le temps…  La littérature me fait penser à une faille temporelle qui rend toutes les histoires possibles.

Quelle importance les cafés ont-ils pour toi ?
BS : Les cafés symbolisent les heures heureuses, et souvent celles de l’attente. Parfois, cette attente peut devenir torturante, et se transformer en une  impatience qui m’agite et qui me plait. C’est vertigineux de voir comment une absence peut prendre de place. Dans ces moments-là, mes pensées refusent de m’obéir dans leur résultat !

Où te sens-tu chez toi  ?
BS : Ici dans ce café où toute l’agitation de la ville semble s’être donné rendez-vous. Tous les murmures du monde sont réunis ici. Il agit sur moi telle une porte des possibles. On peut lire des livres ou apporter son vinyle sur la  platine pour ambiancer le café. Il m’est arrivé d’y laisser des livres  ou d’en trouver abandonnés sur la banquette. Son univers onirique me plaît avec ses portes monumentales du paradis, de l’enfer et  des abysses. Tout ici incite à la rêverie et excite l’imaginaire.

 

BIO

Baya Streiff travaille à Paris à la Protection Judiciaire de la Jeunesse. Sa passion pour les voyages, la photographie et la littérature nourrissent son imaginaire et sa vision romanesque de la vie.
Son premier roman « Les hasards exagérés » édité aux Éditions 7e Ciel,  trace l’histoire  de Mona   où s’esquissent les secrets et les remords, nous menant de çà, de là, sur l’échiquier de la vie, pour cheminer sur les cases blanches et noires du passage à la maturité. Ce roman pose  la question  de savoir comment appréhender les désillusions de l’âge adulte.
Son livre a été remarqué par le réalisateur Philippe Faucon qui va l’adapter à l’écran.

Daniela Gerlach | Bodega Casa Benjamín, Dénia

Photo : Alain Barbero | Texte : Daniela Gerlach | Trad. : Daniela Gerlach (avec Sylvie & Alain B.)

 

Peut-être n’était-ce que …

Je suis assise troublée dans le Café Trouble et je sirote des mots dans ma tasse.
Un homme avec une canne s’approche et m’offre le journal. Il date de 1910 et sent le chien mouillé. Je prends et lis le journal dans tous les sens, l’homme à la canne attend en silence.
Tout à coup, les mots dégringolent, de la bouche et du nez, de la page. Nous en ramassons quelques-uns et les mettons dans la poche. La page se vide, le café refroidit, le reste des mots flotte au fond.
Oui, Monsieur, c’est comme autrefois. Il hoche la tête, c’est vrai, le temps passe.
Seuls les trouble-mots restent.

(Peut-être n’était-ce qu’un rêve éveillé à la Casa Benjamín. Peut-être)

 


Interview de l’auteure

Que peut faire la littérature ?
Daniela Gerlach : Elle peut aussi bien nous émouvoir, nous secouer que nous calmer et nous faire réfléchir, nous donner du plaisir. Tout ce dont nous, les humains, sommes capables, la littérature le peut aussi, tant dans le sens positif que négatif.

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
DG : Ce sont des lieux intermédiaires, des espaces particuliers entre ce que je connais, ce qui m’est familier, et ce qui m’est étranger et donc empli d’attentes, où tout peut arriver, même dans mon imagination. Et c’est là où la connexion avec une nouvelle histoire est possible.

Où te sens-tu chez toi ?
DG : Je ne me sens nul part vraiment chez moi, tout au plus je m’y sens bien. C’est là où sont mes amis, mon travail, où certains habitudes me sont devenues chères, où je respire.

 

BIO

Née à Dortmund, elle a pris pied en Espagne, sinon elle est en voyage.
À Dénia elle dirige le Salon culturel la ñ. Elle est membre de l’association LiteraturRaumDortmundRuhr, avec laquelle elle réalise différents projets littéraires.
« Mes histoires et leurs personnages ne sont jamais les mêmes, ils roulent et se rident comme les vagues, ils ont une mélodie qui me vient aux oreilles quand je dois les écrire. Actuellement, je suis en train de travailler à une suite de Im Dorf der Witwen (Dans le village des veuves), ce qui n’était pas prévu. »
www.danielagerlach.com

Elsa Flageul | Bistro Chantefable, Paris

Photo : Alain Barbero | Texte : Elsa Flageul

 

Impossible d’écrire dans les cafés.
D’écrire avec des gens. D’écrire avec de la musique, avec la radio, avec mes enfants. Impossible de mélanger les mots et les personnes, les mots et les conversations, le bruit de la machine à café, les serveurs endimanchés, les maman ad libitum, les petits chagrins à consoler. La vie d’un côté, les mots de l’autre. Et pourtant, il faut bien que les mots sucent la vie, l’aspirent, l’espèrent, qu’ils l’attendent, comme ça, au coin d’une rue, avec cet air de mauvais garçon, avec cette allure de mauvaise fille : donne-moi tout ce que t’as, vas-y raconte-moi tout ce que tu peux, tout ce que tu ne dis à personne, surtout ce que tu ne dis à personne, mais vas-y putain, qu’est-ce que t’attends. Les mots en chien. Qui ont besoin de la nourriture des jours, des matins brumeux et sonnés par la vie, des soirs fiévreux et des corps qui se trouvent, des éblouissements et des orages, des alluvions du temps sur le visage, sur les seins, sur le cœur.
La nourriture des jours.

 


Interview de l’auteure

Que signifie la littérature pour toi ?
Elsa Flageul : La solitude confortable de la lecture, et celle pas toujours confortable mais toujours adorée de l’écriture.

Que représentent pour toi les cafés ?
EF : Des lieux de chaleur, de joie et de temps perdu.

Pourquoi as-tu choisi le Bistro Chantefable  ?
EF : Parce que j’adore les brasseries parisiennes, c’est ce que je préfère, peut-être à cause des films de Claude Sautet, et que Le Chantefable, en plus d’être une brasserie typique et d’être près de chez moi, est pleine de gens tout aussi chaleureux que l’endroit.

Que fais-tu quand tu n’es pas dans les cafés ?
EF : J’écris, je m’occupe de mes enfants, je vis.

 

BIO

Elsa Flageul est écrivaine et vit à Paris, où elle est née. Elle a publié six romans aux éditions Julliard puis aux éditions Mialet-Barrault. Son dernier roman Hôtel du bord des larmes est paru en mars 2021. Elle travaille activement sur le prochain.