Vincent Crouzet | Tandem, Paris

Photo : Alain Barbero | Texte : Vincent Crouzet

 

Pour rencontrer Alain, j’ai choisi Tandem tout simplement parce que je m’y sens bien. Comme en famille. Ce n’est pas l’un de ces bistrots à vins où l’on parle fort, où l’on plastronne. C’est un lieu, dans la petite salle, comme sur la terrasse, où la simplicité s’impose. Celle de Philippe, et de Nicolas, les deux frérots qui tiennent Tandem, est comme la “griffe” de l’endroit, cette bulle de joyeuse tranquillité hédoniste avant de remonter la rue de la Butte aux Cailles, plus bruyante plus loin. On ne vient pas pour boire un coup chez Tandem, mais pour déjeuner, ou dîner, prendre le temps, et profiter d’un décor qui ne varie pas, qui ne bouge pas, à l’heure où les décorateurs fous salopent les plus charmants des bistrots. Ici, de vraies tables en bois, un carrelage éprouvé, un bar lumineux, conçu pour s’accouder sur le zinc un moment avec Nicolas, et se laisser faire… 
Parce que l’on vient aussi chez Tandem pour boire du très bon vin bio, hors modes et tendances. Le vin nature n’y est pas prohibé, mais pas magnifié non plus. Rien n’est imposé. Ici, le critère reste le plaisir, et surtout pas le paraître. Et ce plaisir de déguster s’accorde à la cuisine simple, sincère de Philippe, qui s’appuie sur des recettes familiales, avec des excursions vers l’Asie… 
Je viens chez Tandem souvent, presque toujours, accompagné de la femme de mes pensées. Parce que je n’ai besoin de jouer à aucun jeu, ici. Et que les lumières, l’automne, l’hiver, y sont chaudes, rassurantes. Rien n’est exacerbé. C’est important dans un monde de surenchères. 
Se poser. Écouter. Et lorsque je viens seul, cela m’arrive souvent, Nicolas est comme un convive, présent, attentif, curieux, en partage. C’est un bistrot où jamais je m’égare, parce qu’il représente aussi mon point fixe, mon juste centre. 

 


Interview de l’auteur

Que peut faire la littérature ?
Vincent Crouzet : La question… Franchement : créer la liberté. Celle du créateur, l’écrivain. Celle des lectrices et des lecteurs. Cette part de liberté est inscrite dans celle du voyage, aussi. Lire, écrire, c’est s’en aller. Je crois profondément à la force romanesque, celle qui conduit l’écrivain à s’abstraire de lui-même. Je comprends la curiosité pour l’autofiction, mais notre richesse, en tant que romancier, reste de créer des mondes, et d’y emporter nos lecteurs. Je ne pense pas la littérature, mais les littératures. Les miennes, d’ailleurs restent purement d’évasion…    

Quelle est l’importance des cafés pour toi ? 
VC : Je n’ai pas un rapport d’écrivain avec les cafés. Je n’y écris jamais. Et j’avoue être très dubitatif lorsque j’observe un écrivain, une écrivaine travailler dans un bistrot. Les cafés, évidemment, c’est un poncif, sont mes lieux privilégiés de rencontres, mais j’avoue qu’ils participent surtout à un plaisir personnel. J’adore m’y trouver seul, le matin, à observer s’ébrouer la ville, et ses acteurs. Dans une ville qui m’est étrangère, j’y capte l’énergie d’un monde. Mais aussi, malheureusement, parfois, trop souvent, les détresses.  

Où te sens-tu chez toi ?
VC : C’est une question sensible en ce moment, pour moi, puisque depuis quelques mois, je navigue entre plusieurs lieux. J’oscille entre l’envie d’animation, de bouillonnement, et le besoin de sérénité. Entre les lumières de la ville, et les silences. Je crois que nous sommes tous bousculés de paradoxes : participer à l’énergie collective, ou bien se retrouver soi-même dans un environnement privilégié. J’ai grandi à la montagne, dans une station de sports d’hiver, aux Arcs, en Savoie. Lorsque je retrouve cette altitude, et dans cette atmosphère ludique, dédiée à la nature, et au sport, oui, je me sens bien. Mais je suis vite rattrapé par l’envie de me replonger ailleurs…

 

BIO

Vincent Crouzet a 59 ans, il a passé son adolescence à la montagne, conduit ses études à Grenoble, opté à un moment de sa vie pour le métier du renseignement, et a donc participé à l’action clandestine de son pays, la France, principalement en Afrique Centrale et Australe. Désormais romancier, il a quatorze textes à son actif, principalement des romans d’espionnages, mais aussi des nouvelles pour ados, et un essai. Depuis deux ans, il développe, sous le pseudo de Victor K, une série littéraire sur le Service Action de la DGSE (éditions Robert Laffont).