Kamel Bencheikh | Café de la Gare, Paris [1/2]

Photo : Alain Barbero | Texte : Kamel Bencheikh

 

En flânant dans les rues de Paris, je me demandais comment qualifier l’hospitalité de cette cité si vulnérable ? Rien ne me permet de la soupeser lorsqu’aucun visage connu ne se reflète dans mes yeux. La ville est comme une prétention à se serrer sur les tréteaux d’un même théâtre, c’est l’apparence de gens occupés qui courent sans motif, c’est un couple qui se tient par la main dans la douceur apaisante du soir, les terrasses des cafés sur le quai de Valmy, le charivari quotidien. La ville fait semblant de te recevoir avec les ovations que tu mérites, tu essaies de lui murmurer des douceurs à l’oreille et tu ne reçois aucun écho. Le silence tumultueux est sa façon de te répondre. La ville te fuit. Tu n’as pas d’autre choix que de lui courir après. Son ciel, pluvieux ou assailli de torchères, est sempiternellement au même endroit — il a définitivement choisi d’être à l’étage le plus élevé !

Le ciel se cale sur ses stratus ou sur les étincelles de son glorieux luminaire alors que les pavés que tu foules se dérobent à tes pieds. On ne se pose jamais la question de savoir pourquoi le ciel est suspendu alors que la terre, quand on marche longtemps dessus, a l’air d’un tapis mécanique qui fuit vers l’arrière. Les immeubles se transforment en montagnes urbaines, les rues en canyons. La mélancolie creuse son sillon dans ta poitrine que tu tentes de soustraire au vent. Le sourire sur le visage des passants ne fait pas contrepoids à l’austérité du temps. Ce sourire reflète l’accord tacite des citadins en mal de palabres. Le regard des inconnus est un délateur de l’état d’âme de la ville, aussi précis que le clapotis des canaux. Les vrais poètes ne demandent pas à être accompagnés. Je ne suis peut-être pas un vrai poète. J’écris des sentiments que me rapporte la nuit dont l’obscurité tamisée encercle les escaliers brillants de la rue de Crimée. Je traverse seul la ville du haut de Belleville à règle droite jusqu’à toucher, de la prunelle, l’énorme fleuve qui sépare les berges jumelles. D’un bout à l’autre de mon parcours, le même éclat de lumière qui se multiplie à mesure que j’avance. Des monceaux d’obscurité venus d’un ciel comateux envahissent les recoins des parcs. Il se pourrait que ce soit ma solitude qui me réprimande et me donne des leçons.

à suivre

 


Interview de l’auteur

Que peut faire la littérature ?
Kamel Bencheikh : On entre en littérature comme on entre dans un combat. Les mots constituent pour moi comme une combinaison de survie. J’écris pour  ne pas m’agenouiller, pour ne pas accepter l’inacceptable. Les mots sont un coup de poing dans le ventre de la bête. La littérature peut libérer la femme et l’homme de l’inéluctable qui se profile. La littérature, c’est assurément la victoire de la lumière sur les ténèbres.

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
KB : Les cafés sont les patries de celles et ceux qui ne peuvent que socialiser avec leurs semblables, c’est un endroit où l’on peut être seul tout en étant entouré. Et c’est aussi le lieu où l’on retrouve ses semblables, ses autres moi pour échanger nouvelles, tapes dans le dos, embrassades fraternelles et émotions.

Où te sens-tu chez toi ?
KB : Je me sens chez moi là où je respire un air non vicié, où la liberté n’est marchandée, où le droit de dire ce qui nous passe par la tête est garanti. Je suis partout chez moi où la laïcité est la règle absolue, où les valeurs républicaines ne sont pas que des mots lancés en l’air mais une réalité palpable que l’on mesure tous les jours.

 

BIO

Né à Sétif, sur les Hauts-plateaux de l’Est algérien, Kamel Bencheikh habite à Paris. 
Poète, nouvelliste et romancier. Ses dernières publications balayent ces différents domaines littéraires : Poètes algériens de langue française (anthologie), La Reddition de l’hiver (recueil de nouvelles), L’Impasse (roman), Là où tu me désaltères (recueil de poésie).
Ses textes ont été publiés par des dizaines de revues dont Promesses, Alif, Artère, Les Refusés, À l’Index, A littérature action, Écriture française dans le monde
Son roman Un si grand brasier et son essai L’Islamisme ou la crucifixion de l’Occident sont à paraître respectivement aux éditions Frantz Fanon (Algérie) et Altava (France).
Il a participé aux ouvrages collectifs La Révolution du sourire (éditions Frantz Fanon) et Les Années Boum (Chihab éditions). Il est également chroniqueur dans divers journaux et revues dont Le Matin d’Algérie, L’Orient-Le Jour, Tribune Juive, Le Vif
Kamel Bencheikh est connu en tant que féministe et militant universaliste. Il a été à l’initiative de l’appel pour l’instauration de la laïcité en Algérie.