Kamel Bencheikh | Café de la Gare, Paris [2/2]

Photo : Alain Barbero | Texte : Kamel Bencheikh

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Cette ville qui forme mon environnement prémédité se replie sur ma marche, elle me donne l’occasion de la transpercer comme si elle s’était changée en un chas instable. La passerelle des Arts est désormais allégée des cadenas prometteurs d’amour inépuisable. La rue de Seine la bien nommée me jette dans les bras du boulevard Saint-Germain où les lumières des cafés illuminent les conciliabules des personnes attablées.

La nuit est humide sous le regard fluorescent des porches. Je parle de clarté alors qu’il n’y a que l’éclairage des lampadaires tout au long des trottoirs. Le soleil, même de jour, n’accorde que rarement ses flambeaux à la ville. L’astre vedette a pris l’habitude de se dissimuler sans oser faire admirer ses dards luminescents. Vers le nord, la colline de Montmartre profite pourtant de cette lumière pour anoblir les raisins sur les pentes du clos des Saules. C’est ici, sur les hauteurs de la mégalopole, que la Babel moderne se souvient de ses terres généreuses et prophétiques.

La remontée vers Ménilmontant par la rue Oberkampf, c’est la montée du Golgotha pour l’athée que je suis. La pluie s’est découragée face à ma ténacité mais la nébulosité de la nuit s’est métamorphosée en compagne dévouée et silencieuse. Serait-ce elle qui vient de mettre sa main sur mon épaule à l’instant précis où j’écris ce passage et qui me convainc que ma solitude est un éloge qu’il faut volontiers savoir recevoir ? Ou bien est-ce l’appel du vendredi soir, non pas celui de la prière, mais celui d’un demi de bière chez Akli au Café de la Gare avec mon ami Youcef ?

La ville m’a escorté jusqu’aux buttes Chaumont comme une amie rêveuse et bruyante. Ma mémoire ardente connaît chaque sinuosité de ces rues dans lesquelles mes pas m’ont conduit au pèlerinage des enseignes qui s’éteignent. Il faut monter maintenant un peu plus pour que mon dos puisse se caler enfin sur le sofa gris qui m’attend. Et c’est alors que la vue de la butte Montmartre me sera offerte comme le cadeau radieux que je ne présumais plus.

 


BIO

Né à Sétif, sur les Hauts-plateaux de l’Est algérien, Kamel Bencheikh habite à Paris. 
Poète, nouvelliste et romancier. Ses dernières publications balayent ces différents domaines littéraires : Poètes algériens de langue française (anthologie), La Reddition de l’hiver (recueil de nouvelles), L’Impasse (roman), Là où tu me désaltères (recueil de poésie).
Ses textes ont été publiés par des dizaines de revues dont Promesses, Alif, Artère, Les Refusés, À l’Index, A littérature action, Écriture française dans le monde
Son roman Un si grand brasier et son essai L’Islamisme ou la crucifixion de l’Occident sont à paraître respectivement aux éditions Frantz Fanon (Algérie) et Altava (France).
Il a participé aux ouvrages collectifs La Révolution du sourire (éditions Frantz Fanon) et Les Années Boum (Chihab éditions). Il est également chroniqueur dans divers journaux et revues dont Le Matin d’Algérie, L’Orient-Le Jour, Tribune Juive, Le Vif
Kamel Bencheikh est connu en tant que féministe et militant universaliste. Il a été à l’initiative de l’appel pour l’instauration de la laïcité en Algérie.