Eva | Café Westend, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Barbara Rieger | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

Les zones de transit regorgent de tout
Elle choisit des figures étranges
Seuls les ornements s’attardent
Une gare aspire
Les habitués
Depuis longtemps les horloges
n’avancent plus
Il reste dix ans pour prendre un train
À bord un homme en charentaises fait signe
A. regarde le foot avec le patron
Et demande : « Pourquoi ne choisis-tu pas toi-même ? »

Barbara Rieger | Café Drechsler, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Barbara Rieger | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

Il demande : ce sont des vrais cils ? Et elle se dit : pourquoi pas ? Il s’ensuit une histoire, qui ne commence jamais, sans véritable raison, si ce n’est qu’il est marié et qu’elle passe ses derniers instants au bar.
Déjà elle laisse l’Amour derrière elle et se tourne vers la lumière, même si elle y voit combien le nez et chacun des pores grossissent à vue d’oeil. Elle brûle encore un peu de désir, tandis qu’il hurle d’effort, fait les comptes et finalement estime que la supercherie est réelle, ou tout comme.
Il cherche sa prochaine réplique tandis qu’elle rêve depuis longtemps d’autre chose, et avant même qu’il ne puisse dire un mot, elle quitte le bar pour laisser place à la première venue.

Eva & Barbara Rieger | Café Korb, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Barbara Rieger | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

« Madame », dit le serveur dans le 1er arrondissement à celle qui a des airs d’Ally Mc Beal et qui tient compagnie au peintre Attersee. Non loin, quelqu’un ressemble à un architecte, mais n’est en réalité qu’un agent immobilier. Comme décoration, une corbeille remplie de petits pains et dehors, la pluie transforme en caniches trempés celles qui portent des colliers de perles. Un premier orage, qui gronde que le monde change. Pourtant, inéluctablement, un scorpion pique la grenouille qui tente de le sauver des eaux. Et nous saupoudrons du sel sur les pommes du verger du voisin et du sucre sur les plaies, juste pour nous amuser. A. est fort comme un lion et ne dit mot, alors que ses yeux hurlent « Non ! ».

Michael Giongo | Café Schopenhauer, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Michael Giongo | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

Blanche-Neige a dressé les tables,
tapis verts entourés de solides cadres noirs,
le hall de départ s’adosse aux murs moelleusement rayés,
et au-dessus à l’infini se reflète la liberté.

Jette ton visage dans le futur,
dit l’homme derrière le miroir,
tandis que Beate Uhse prévoit 36 degrés,
et que le boxeur sympathique
retire son gant de cellophane.

Le soleil couchant brille de mille feux dans l’écume,
la pluie se retire des chaises comme de l’estran ;
le ciel dans les flaques d’eau
nous descendons le versant.

Anna | Café Sperl, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Barbara Rieger | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

C’est au café des stars qu’elle travaille toute la nuit comme figurante, dans un film qui ne répond pas à ses exigences. Le matin au petit-déjeuner, elle apparait inaltérée comme un don trop précieux pour être livré aux rayons ardents du soleil. Avec précaution, A. la contemple et devine que dans un autre film, elle a le premier rôle.

Marianne Jungmaier | Café Westend, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Marianne Jungmaier | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

tu dis dein Französisch ist tadellos
mais la journée n’est pas encore terminée
et les hirondelles
vont regarder passer l’été
et on dira aux enfants
le mois de mai a été pluvieux
où étais tu
lorsque la pleine lune a disparu

lorsqu’on t’a appelé
mais sans imaginer
que les ombres ont besoin d’être soutenues
le temps
que ton nom
tu ne saches plus

Jürgen | Café Jelinek, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Barbara Rieger | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

Elle demande pourquoi
aveuglée,
troublée par le déclic.
La vérité
est sans intérêt.
Tout commencement
sans apprêt.
Chaque cache
une digue, qui un jour ou l’autre lâche.
La vie
un fleuve, sortant de son lit.
Elle sourit
démunie.

Martin | Café Stadtbahn, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Barbara Rieger | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

Il pense à sa vie, aux amours, au monde, à cet homme qui boit assis dans un coin. Il boit 21 bières, sans verre, sans amis, sans joie. Il boit à en être gris, il broie du noir, et seul le serveur sait qui il est et comment il s’appelle. Une fois, il s’est levé sans prévenir, a décroché la guitare du mur et s’est mis à jouer une chanson sur les nuages et la vie sans soucis. Tous ont repris en chœur, cette chanson qu’ils connaissaient si bien. Et il continue de le suivre du regard, bien qu’il sache qu’il est perdu.

Stephanie & Ramin | Café Tirolerhof, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Barbara Rieger | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

Ceux qui nous sont proches
nous sont si éloignés,
tel un enfant, un serveur, du caviar
attirés, pourtant si éloignés
cadavres au Sud et au Nord
rire, pardonner et assassiner,
aimer à l’Est et à l’Ouest
pleurer, oublier et dîner,
aimer le meilleur
aimer à l’Est et à l’Ouest
ceux qui nous sont proches.

Barbara Rieger | Café Kafka, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Barbara Rieger | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

Si je connais le café Kafka ? Voilà ce que me demande A. Bien sur que je connais ce lieu, dans lequel tu cours à perdre haleine pour finalement revenir à la case départ, tel un cafard trop grand, gisant impuissant sur le dos et condamné à perpétuité sans en connaître la raison. Une bière, un café et une cigarette avec toi, et je tourne le dos au coté kafkaïen de la vie. Mes meilleurs amis planifient leur bonheur familial mais je ne regarde pas en arrière, mais autour de moi : l’une s’est fait réduire l’estomac, même si on ne peut pas dire qu’elle soit grosse. Un autre demande aux filles de la table voisine de l’aider à programmer son mobile. Un troisième, qui semble être là depuis toujours, me regarde le regard vide. Je sais que le désordre ne diminuera jamais.