Archive d’étiquettes pour : Barbara Rieger

Dominika Meindl | Alter Schlachthof, Wels

Photo : Alain Barbero | Texte : Dominika Meindl | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet 

 

La vie après la mort des animaux

Depuis un quart de siècle, je ne mange presque pas de viande et, ces derniers temps, je supporte à peine la vue d’animaux morts sur le bord de la route. Pourtant, je me suis mariée l’année dernière dans un abattoir. C’était magnifique.

Jusqu’à l’année de ma naissance, des centaines de milliers de bovins et de porcs ont été tués à cet endroit, j’ose à peine l’imaginer. Aujourd’hui, l’Alte Schl8hof Wels se dénomme aussi sociocultural center * unestablished since 1985. Jusqu’à il y a 15 ans, Wels ne signifiait absolument rien pour moi – et si cela a changé du tout au tout, ce n’est pas seulement grâce à l’homme que je m’habitue à appeler “mon mari”. J’ai eu le coup de foudre pour le Schl8hof. Il y avait de quoi lancer quelque chose de nouveau, pensais-je.

A Vienne, quand tu veux mettre quelque chose sur pied, les gens te regardent avec pitié et te disent sarcastiquement « super, on allait t’appeler ». A Linz, ils disent « super, lance-toi ». A Wels, ils disent « super ! De quoi as-tu besoin ? ». Et ils le pensent vraiment. Wels n’est pas une ville cool, elle est entourée d’autoroutes et de centres commerciaux, son maire est d’extrême droite. Il déteste le Schl8hof, et c’est à mes yeux synonyme d’une recommandation chaleureuse pour cet endroit.

Le bar du Schl8hof n’est évidemment pas un café, même si de bonnes volontés ont sauvé une banquette de l’ancien café légendaire et honteusement démoli l’Urbann et l’ont installée ici. Pendant la séance photo, tout était calme. Je ne connais pas cet endroit comme ça, je l’associe à la musique, aux rires et aux gens que j’aime. Depuis 2016, j’organise ici avec le centre culturel waschaecht les événements littéraires experiment literatur. J’ai le droit d’inviter des collègues que j’admire. Que peut-on rêver de mieux ?

 


Interview de l’auteure

Que peut la littérature ?
Dominika Meindl : Beaucoup trop peu. Mais peut-être que j’en demande trop à la littérature. Peut-on imaginer un livre qui transforme Vladimir Poutine en une épave repentante ? Comme ce serait beau ! Bien sûr, la littérature représente le monde pour moi. La transmettre aux autres, c’est le sens de mon travail. D’un autre côté, j’aime les excursions dans un monde qui se passe de lettres, dans la région du Massif mort (Totes Gebirge) par exemple. Ce sont des heures dans un monde qui se débrouille très bien sans moi. Quand j’en reviens, je suis à nouveau entièrement disponible pour les lettres.

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
DM : Dans sa forme classique, il n’en ont pas vraiment pour moi, même si j’apprécie beaucoup d’y lire le journal ou d’y discuter de choses professionnelles. Je suis probablement plus une habituée des bistrots. Lorsque je vais au Black Horse, à l’extrazimmer ou au Schl8hof, le thème musical de Cheers me traverse parfois la tête :

Making your way in the world today
Takes everything you’ve got…
Sometimes you wanna go
Where everybody knows your name
And they’re always glad you came

Où te sens-tu chez toi ?
DM : A Wilhering, sur le Danube, à Wels, dans la région du Massif mort (Totes Gebirge).

 

BIO

Dominika Meindl, née en 1978, Présidente fédérale de la République d’Autriche. Se déplace entre la région centrale de la Haute-Autriche et la région du Massif mort (Totes Gebirge), en tant qu’écrivaine, présentatrice, journaliste et organisatrice de manifestations littéraires. Dirige le mouvement Original Linzer Worte, fondé avec Anna Weidenholzer, Klaus Buttinger et René Monet, la plus ancienne scène de lecture d’Autriche. Organise les événements experiment literatur à Wels. Porte-parole régionale de la GAV OÖ, l’Association d’écrivains d’Haute-Autriche.
Blog Une femme avec assez peu de qualités : www.dominikameindl.at

Sophia Lunra Schnack | Kaffee Monarchie, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Sophia Lunra Schnack | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 


Interview de l’auteure

Que peut la littérature ?
Sophia Lunra Schnack : Ouvrir et freiner. Mettre en mouvement des pensées, des émotions, des convictions. Les jeunes en particulier peuvent acquérir, pour ainsi dire, une expérience de la vie, une capacité de réflexion et une disposition sensorielle. La littérature peut freiner le temps, se dresser contre une existence rythmée. Et face à l’automatisation et anonymisation croissantes, je dirais que la littérature peut préserver l’homme, son humanité.

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
SLS : Quand le silence devient trop fort à la maison pour travailler, je me rends dans un café. Mais il faut qu’il y ait le bon mélange entre le doux murmure des voix et le retrait. Il y a quelques-uns de mes cafés habituels dont je sais qu’ils me conviennent, où j’ai un coin, mon cocon, mais d’où je peux sortir à tout moment pour prendre contact. J’aime cette manière libre d’engager la conversation avec des personnes inconnues, mais sans y être obligé.

Où te sens-tu chez toi ?
SLS : Pour moi, être chez soi a toujours été lié à la langue. Pendant longtemps, je me suis sentie chez moi dans la langue française, j’avais des problèmes avec ma langue maternelle. Il était donc aussi très naturel pour moi de vivre en France. Entre-temps, j’ai surmonté ma fuite devant ma langue maternelle, j’ai maintenant une résidence linguistique principale et secondaire. En tout cas, je ne pourrais pas m’imaginer vivre dans un pays dont je ne pourrais pas intégrer les sons

 

BIO

Sophia Lunra Schnack (*1990) vit et écrit actuellement principalement à Vienne, de la poésie et de la prose (lyrique) dans diverses revues littéraires de renom, notamment dans manuskripten, Poesiegalerie ou Das Gedicht.
En 2022, elle reçoit le prix rotahorn et depuis 2023, anime un blog de poésie pour Das Gedicht. En août 2023 est publié son premier roman feuchtes holz (Otto Müller).
Actuellement, elle travaille sur son recueil de prose cursive Fliederkuss ainsi que sur un recueil de poésie bilingue wimpern piniengrün – cils vert de pins.

Marcus Fischer | Café Weidinger, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Marcus Fischer | Trad. : Sylvie Barbero-Vibet

 

Le café Weidinger

Tu es comme un vieux monsieur vêtu d’un habit usé, déchiré, porté depuis des décennies, et qui n’a rien perdu de sa dignité. Les jeunes admirent ton style. Moi aussi, tout comme le calme qui émane de toi. Et les personnages loufoques et attachants qui t’entourent.

 


Interview de l’auteur

Que peut la littérature ?
Marcus Fischer : La littérature peut nous montrer les gens de l’intérieur. Nous ressentons les personnages avec leurs peurs, leur honte, leur envie, leur amour, leur colère, leur désespoir. Cette vision intérieure, c’est la littérature qui la rend mieux que tout autre média.

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
MF : Il m’est souvent plus facile de m’isoler et de me concentrer lorsqu’il règne autour de moi une agitation régulière et houleuse. Les cafés sont l’endroit idéal pour cela. Je mets alors des écouteurs, j’écoute souvent la même chanson pendant des heures et je me plonge dans mon histoire.

Où te sens-tu chez toi ?
MF : Réponse simple : dans mes textes, quel que soit l’endroit où je les écris. Et dans la nature, entouré de personnes familières et dans des lieux chers et inspirants – comme le café.

 

BIO

Né en 1965 à Vienne, il étudie la germanistique à Berlin, écrit de la prose et de la poésie. Après ses études, il travaille comme professeur d’allemand langue étrangère et comme rédacteur dans des agences de publicité à Berlin et à Vienne. Publications dans des anthologies, des revues littéraires et à la radio. Son roman Die Rotte (Leykam Verlag), paru en 2022, a été récompensé par le prix littéraire Rauriser Literaturpreis 2023 pour le meilleur premier roman en langue allemande.

Jade Samson-Kermarrec | Nathanja & Heinrich, Berlin

Photo : Alain Barbero | Texte : Jade Samson-Kermarrec

 

Jule se demande bien à quoi ressemblent Nathanja et Heinrich. Existent-iels seulement ? La question l’effleure sans pour autant la préoccuper tout à fait. Depuis le temps qu’elle vient ici, elle aurait pu interroger l’un des barmans. Pour être honnête, Jule l’a certainement déjà fait, une fois encore qu’elle était raide à chier et que sa mémoire baignant dans l’alcool avait abdiqué, arrêtant d’enregistrer de nouvelles informations jusqu’à nouvel ordre.

Impossible de se souvenir quand il n’y a pas de souvenirs.

Assise sur une banquette adossée aux baies vitrées, Jule tripote nerveusement l’élastique de son carnet en observant les mouvements experts derrière le comptoir.

Jule buvait et ne boit plus.

Et depuis, toute la gravité de son addiction et de ses conséquences ne cessent de la heurter, sans crier gare. Pourtant, elle ne peut s’empêcher d’avoir envie de boire le cocktail que la barmaid est en train de préparer. Jule ferme les yeux. Elle exhume dans sa mémoire sensorielle le goût du Gin Basil, la feuille de basilic qui chatouille le nez, l’odeur franche et acidulée du gin et du citron, le froid vif du caillou glacé qui trône au milieu du verre à whisky. La promesse du goût, de la fraîcheur et de l’ivresse, l’équilibre si parfait qu’elle sent à peine l’alcool, le premier verre si bon et si traître qu’il en appelle un autre puis encore un et finit par rameuter tous ses potes. Jule réprime une moue, le goût du trop lui revient, l’élocution qui se fait la malle en même temps que les neurones, la décence et la pudeur. Elle rouvre les yeux. La convocation a fait effet, l’envie est passée.

 


Interview de l’auteure

Que peut faire la littérature ?
Jade Samson-Kermarrec : Beaucoup de choses, elle est plurielle. Elle peut tout autant servir d’échappatoire que d’exutoire. Plus qu’une fenêtre sur un univers ou une incursion dans un autre endroit, je crois que la littérature peut opérer de profonds bouleversements à l’intérieur de soi comme à l’extérieur. J’aime l’idée de la littérature comme un mouvement, une onde qui naît à l’intérieur pour ensuite se propager. J’aime qu’elle puisse convoquer tous les paradoxes, c’est ce qui, à mes yeux, la rend complexe, totale et surtout infinie.

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
JSK : Parisienne, j’ai connu la culture du café en tant que lieu de sociabilisation dès mon adolescence. “Prendre un café” faisait partie du quotidien. A Berlin, les cafés sont différents, plus hybrides, moins calibrés. Quoi qu’il en soit, j’ai toujours associé les cafés à l’expérience humaine, l’observation des client.e.s ou des passant.e.s, la gestuelle des barmans.maids et des serveur.euses. J’aime l’anonymat pas tout à fait anonyme qui y règne, j’aime cet entre-deux, la possibilité d’être spectatrice du manège humain sans pour autant s’en retirer complètement. Un café (dans le sens du lieu et toutes les déclinaisons qui en existent), c’est une mine d’or.

Où te sens-tu chez toi ?
JSK : Ça, c’est une question qui peut occuper toute une vie. J’ai posé les pieds à Berlin pour la première fois en 2003, j’avais 16 ans et je me suis immédiatement sentie à la maison alors que je comprenais vraiment pas grand chose à ce qu’on me racontait. Ça a été comme une évidence et depuis, je ne me suis jamais départie de ce sentiment d’être ici “aussi” à la maison. Je me suis donc retrouvée avec plusieurs “chez moi”, un luxe qui peut quand même avoir l’inconvénient de ne se sentir vraiment complète nulle part. Ceci dit, Berlin, c’est chez moi, c’est la maison, c’est là où je peux être moi.

 

BIO

Jade Samson-Kermarrec est née à Paris en 1987 et vit à Berlin depuis 2013. En 2018, elle fonde la compagnie de théâtre franco-allemande Theater im Nu et en 2022 le festival de théâtre Le Lampenfieber. Elle rejoint le réseau des autrices de Berlin en 2021 et contribue activement aux différentes initiatives du réseau (Hôtel des Autrices, Calendrier de l’Avent, La CoLec…).

Maud Ruget | Café Butter, Berlin

Photo : Alain Barbero | Texte : Maud Ruget

 

Écrire dans un café. Regarder par la fenêtre les vélos, le tram, les promeneurs à poussette ou à chien. Entendre les crachats du percolateur et la musique douce de l’après-midi. Sentir dans l’air la vapeur agrume d’un thé Oolong. N’être pourtant qu’à moitié là, l’esprit buissonnant à l’intersection de la sensation et du verbe. S’accouder à la table du souvenir, puis observer au fond d’une tasse l’avenir frétillant à la lisière des possibles. Arpenter d’autres mondes pas encore tout à fait nés qu’un Wissen Sie schon ? peut engloutir à tout moment.

 


Interview de l’auteure

Que peut faire la littérature ? 
Maud Ruget : Je me suis longtemps méfiée des pouvoirs prêtés à la littérature. J’ai envie de croire qu’un livre peut changer le monde. Parfois, je doute. Et je pense que c’est très bien comme ça. Il faut se sentir un peu impuissante, sinon à quoi bon écrire ?

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
MR : Aller travailler dans les cafés me force à sortir de mon antre. Je fais trente minutes de métro pour aller dans mes cafés favoris, des endroits gemütlich, et surtout lumineux, où j’ai pris mes marques à mon arrivée à Berlin. J’aime y observer les gens, retrouver les visages des quelques habitué.es et des serveur.euses. Ça me donne l’illusion d’une stabilité dans un quotidien en chantier permanent. Je n’y écris peut-être pas si bien que ça, mais les cafés ont le mérite de m’aérer l’esprit (et de servir des gâteaux, soyons honnête).

Où te sens-tu chez toi ?
MR : Berlin, wo sonst ? Parfois, la ville me fatigue, mais j’y reviens toujours en ayant la sensation d’être à la maison.

 

BIO

Née en 1990 à Dijon, Maud Ruget a bourlingué sur plusieurs continents avant de poser ses valises à Berlin en 2016. Son travail d’écriture est transdisciplinaire. Ses centres d’intérêt sont la poétique de la relation, l’éco-poétique, et l’écriture post-traumatique. Elle est la candidate de la France dans la catégorie littérature aux Jeux de la Francophonie 2023 avec sa nouvelle Maelstrom.

Maria Seisenbacher | Café Ritter Ottakring, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Maria Seisenbacher | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

je témoigne […]

Neige ne nous atteint que
loin dans des lieux ramifiés
dans l’accordement conflictuel
aussi longtemps que
si longtemps

Sommeil trouve
puis s’attarde
sans avoir plongé le regard l’un dans l’autre
de la probabilité
aussi longtemps que
si longtemps

Cristaux protègent petites cicatrices
Une seule fois la gorge est tombée
Toux, excès d’air dans
le néant
aussi longtemps que
si longtemps

je sais :
doigts forment un foie –
mollusque isolé sans bras
je sais : rien
de l’image d’histoires ciblées
aussi longtemps que
si longtemps

déclenche au hasard des contours, des vagues
des surfaces ou des galets
ensuite je témoigne
devant ma peau :
jenem’étaispasregardéedepuislongtemps

aussi longtemps que
le monde ne dévie pas
si longtemps


Interview de l’auteure

Que signifie la littérature pour toi ?
Maria Seisenbacher : Un lieu de refuge, d’apprentissage, d’expérience et de travail que l’on s’est choisi, rempli de passion physique et spirituelle.

Que représentent les cafés pour toi ?
MS : Un refuge pour échapper au fait de devoir travailler seule. Au café, j’écoute, je vois, je lis et j’observe les autres et moi-même.

Pourquoi as-tu choisi le Café Ritter Ottakring ?
MS : En raison de son architecture, du silence, de l’emplacement, des banquettes recouvertes de velours avec des pâtisseries dans le café.

Que fais-tu quand tu n’es pas au café ?
MS : Beaucoup de choses et rien, puis rien du tout et beaucoup de rien.

 

BIO

Maria Seisenbacher vit et travaille à Vienne comme poétesse et traductrice en langue facile à comprendre (Leichte Sprache). Maîtrise de littérature comparée, diplômée en pédagogie sociale. Participation à des festivals internationaux de poésie, titulaire de bourses et prix. Parution dernièrement du recueil de poèmes Hecken sitzen aux éditions Limbus avec des illustrations d’Isabel Peterhans.
www.mariaseisenbacher.com

Andrea Grill | Mediamatic, Amsterdam

Photo : Alain Barbero | Texte : Andrea Grill | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

Questionnaire

  1. Êtes-vous nostalgique ?
  2. Cette nostalgie concerne-t-elle une personne ou un lieu ?
  3. Si oui, qui ?
  4. Ou bien, où ?
  5. Que feriez-vous pour assouvir votre nostalgie ?
  6. Souhaitez-vous vraiment l’assouvir ?
  7. Quitteriez-vous pour cela l’endroit où vous vivez ? Pour toujours ?
  8. Renonceriez-vous à votre être cher / compagnon de vie pour cela ?
  9. Votre amour est-il / elle l’objet de cette nostalgie ?
  10. Votre nostalgie vous ramène-t-elle encore et toujours à une époque où vous étiez plus jeune ?
  11. Etes-vous nostalgique de votre mère ?
  12. Si non, de votre père ?
  13. Qui aimeriez-vous le plus avoir à vos côtés en ce moment-même ?
  14. Est-ce un être humain ?
  15. Voudriez-vous passer la nuit avec cette personne ?
  16. Selon vous, combien y a-t-il de raisons d’être nostalgique ?
  17. Vous est-il déjà arrivé d’être dans un endroit où toutes les nostalgies se sont envolées ?

 


Interview de l’auteure

Que peut faire la littérature ?
Andrea Grill : Tout. (Et rien).

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
AG : J’aime depuis toujours les bars italiens.
On les appelle bars, mais ils sont déjà ouverts à sept heures du matin.
Tu peux toujours y aller seule.
Ou à plusieurs.
Tu n’as pas besoin de t’asseoir.
Le café n’est pas cher, il est délicieux.
Tu paies debout à la caisse.
Tout le monde jacasse sans arrêt.
Les fenêtres sont hautes.
Le comptoir brille.
En été, il y a de la glace.

Autrefois, à Vienne, je corrigeais toujours mes textes dans les cafés. J’aimais pouvoir commander et être servie ; mais aussi pouvoir rester assise pendant des heures sans commander quelque chose d’autre.

Le café est ma boisson préférée.

À Amsterdam, ce qui est le plus important dans les cafés, ce sont les terrasses, le fait de s’asseoir sous l’immensité du ciel.

Où te sens-tu chez toi ?
AG : Là où se trouvent mes pieds. C’est ce que j’aurais dit autrefois. Depuis, je dirais plutôt : les langues que je parle et que je comprends sont mon chez-moi. Là où je peux commander au café ; et plaisanter. Et que les gens rient avec moi.

 

BIO

Andrea Grill vit comme poétesse et écrivaine à Vienne et Amsterdam, réalise des courts-métrages et traduit plusieurs langues européennes. Elle a reçu de nombreux prix, notamment le Prix de soutien pour le Prix littéraire de Brême (2011) et le prix Anton Wildgans (2021). Son roman Cherubino a été nominé pour le Prix du livre allemand (Deutscher Buchpreis) en 2019. Son recueil de poèmes Happy Bastards figure sur la liste des recueils recommandés par l’Académie allemande de langue et de poésie. www.andreagrill.org

Andras Foldvari | Café Gerbeaud, Budapest

Photo : Alain Barbero | Texte : Andras Foldvari | Traduction (du hongrois) : Christian Szabo

 

Je n’avais pas encore 21 ans lorsque j’ai trouvé un emploi dans le département tourisme d’une compagnie aérienne hongroise, qui avait à l’époque son siège dans un bâtiment situé au cœur de ma ville, dans un immeuble de la place Vörösmarty.
Il n’y avait pas de salle de réunion, donc si nous devions avoir un meeting, nous allions au merveilleux café sur la place, célèbre pour sa machine à café en porcelaine Herend.
Si quelqu’un appelait pour moi, on lui disait qu’Andras était dans la salle de réunion.
Les rencontres ici ont eu beaucoup plus de succès que si nous les avions tenues dans les salles grises du bâtiment.

 

Original (hongrois)

Még 21 éves sem voltam amikor a magyar légitársaság idegenforgalmi osztályán kaptam állást, melynek akkori központja városom szívében egy lakóházból kialakított épületben volt a Vörösmarty téren.
Nem volt kialakított tárgyaló terem, így ha megbeszélést kellett tartani inkább a téren levő csodálatos – herendi porcelán kávéfőző gépéről híres – kávézóba mentünk. 
Ha bárki keresett csak azt mondták András a tárgyalóban van.
Sokkal sikeresebbek is voltak az itt folytatott tárgyalások mintha azokat az épület szürke szobáiban tartottuk volna.

 


Interview de l’auteur

Pourquoi les voyages ?
Andras Foldvari : Le voyage est une mission pour moi !
Aller dans des pays aux cultures étrangères, connaître le quotidien des gens qui y vivent est pour moi une expérience rafraîchissante, regarder derrière les rideaux, se rapprocher des trésors cachés, qu’ils soient dans un musée ou sur l’étagère d’un appartement.
Je suis un citadin. J’accorde plus d’importance à l’environnement créé par les hommes, aux beaux bâtiments ou aux lieux de culte qu’à la beauté de la nature. Qu’il s’agisse d’un monticule de pierre tibétain ou d’une cathédrale africaine monstrueuse.
Voyager, c’est toujours découvrir quelque chose de nouveau, ce qui donne plus d’énergie pour de nouvelles expériences.

Que représentent pour toi les cafés ?
AF : Les cafés et les maisons de thé sont des sanctuaires de la culture urbaine. De nombreux événements de l’histoire hongroise sont liés aux cafés et de nombreux artistes ont créé des chefs-d’œuvre dans des cafés.
Selon la légende, les clés du New York Café de Pest ont été jetées dans le Danube par des habitués, afin qu’il soit toujours ouvert pour la création de chefs-d’œuvre.

Où te sens-tu chez toi ?
AF : Je suis un peu cosmopolite, peut-être pas aussi attaché à ma maison que la plupart des gens.
J’ai commencé à écrire mon premier livre sur la terrasse d’un petit bungalow dans les îles Salomon.
Le fabuleux décor de bord de mer a inspiré mes histoires urbaines de l’époque.
J’ai ensuite poursuivi dans un studio en Malaisie et terminé à l’ombre de la cathédrale de Malaga.

 

BIO

Andràs Foldvari est né en 1952. Il commence à voyager dès l’adolescence. Amoureux des langues il étudie le tourisme et le marketing, puis travaille dans quatre compagnies aériennes et un tour-opérateur, ce qui le conduit à visiter près de 900 aéroports dans 205 pays du monde.
Il écrit son premier livre autour des 80 meilleurs récits de ses voyages, livre qui connaît un énorme succès en Hongrie. L’éditeur devra le réimprimer cinq fois. Son deuxième livre a moins de succès, mais reste populaire.
Bien qu’en retraite depuis 2018, il continue de découvrir de nouveaux endroits, comme récemment Sainte-Hélène. Il rassemble ainsi de la matière, pour peut-être un nouveau volume de la trilogie.

Philippe Lafitte | Grand Central, Bruxelles

Photo : Alain Barbero | Texte : Philippe Lafitte

 

J’ai choisi ce café pour sa taille incongrue, une belle hauteur sous plafond que j’avais aperçu en passant devant en voiture. Et puis mon café habituel est bien trop miteux pour faire l’objet d’un reportage-photo. Retour à ce troquet de carrefour, délimitant deux lieux différents, comme sait si bien le faire Bruxelles : le vieux parc Léopold et le quartier d’affaires européen. L’aventure du regard sur un espace nouveau, c’est déjà les prémisses de l’écriture.
Je suis arrivé à pied, priant intérieurement pour un lieu à la musique douce, ce qui tient lieu d’utopie, en ville : je rêve d’un café où la musique serait classique et les clients silencieux. Ici c’est plutôt l’immersion dans une ère post-industrielle, savant mélange de poutres de béton, de lampes en métal et de tabourets de récupération. Pas grand monde à cette heure. Quelques cadres sirotent quand même avec mélancolie une bière entre deux réunions. Dans le fond, trois-quatre clients éméchés rient bruyamment en renversant un verre : des lobbyistes fêtant leur victoire ?
Je ne vois pas tout de suite le photographe mais j’apprendrais à découvrir Alain, à le détailler même, concentré derrière l’obturateur de son Leica. Une fébrilité souriante, des photos en rafale, quelques indications, quel sera le résultat final ?
Peut-être ce moment magique qu’il a évoqué juste avant, quand le modèle se fatigue puis se relâche enfin. Quand il donne le plus vrai de lui-même, au moment où les barrières de la pose s’affaissent. Alain m’attend et me sourit et, avant d’entamer les choses sérieuses, nous commandons un espresso qu’il faudra scanner sur un code-barre qui transmet ses ordres directement au comptoir. O tempora, o mores.  La prochaine fois, nous irons prendre un verre au vieux café de la place Jourdan où j’ai mes habitudes. Aujourd’hui c’est l’occasion, peut-être plus romanesque, de faire l’expérience de la nouveauté mais en double : la rencontre du lieu et du photographe.

 


Interview de l’auteur

Que peut faire la littérature ?
Philippe Lafitte : Continuer d’être un mystère et une révélation. Une source infinie d’interrogations, de curiosité et d’univers singuliers : je parle ici de mes sœurs et frères en écriture. Chacun m’ouvre à sa manière son monde, et renforce ma sensation d’exister. Écrire et lire, c’est vivre mille vies.

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
PL : C’est l’importance de l’inconnu avant de pousser la porte. De plonger dans une atmosphère, qu’elle soit cool, énergique ou même ennuyeuse. Des endroits où se réfugier quand il est impossible d’écrire, qu’on veut transcender sa solitude : être seul au milieu de la foule. Mais les cafés sont avant tout des plages d’observation, de prises de notes, rarement d’écriture au long cours.

Où te sens-tu chez toi ?
PL : Dans mon bureau, bien sûr, le lieu le plus important pour cette activité d’écriture qui continue de m’impressionner après 20 ans de pratique. Mais passer de café en café au hasard de mes pas, découvrir un quartier nouveau, une rue inconnue, est un rituel que j’observe avec un plaisir renouvelé depuis que je vis à Bruxelles. Les cafés bruxellois étant aussi nombreux que les bières belges, j’ai encore de la marge !

 

BIO

Philippe Lafitte est l’auteur de plusieurs romans notamment Étranger au paradis (Buchet/Chastel), Celle qui s’enfuyait (Grasset) et Vies d’Andy (Le Serpent à Plumes) dont il prépare l’adaptation avec le réalisateur Laurent Herbiet. Paru au Mercure de France, Périphéries est son septième roman, qui traite du prix à payer pour son émancipation sociale. L’auteur vit désormais à Bruxelles où il prépare son huitième ouvrage.

Marlene Gölz | Café Vogl, Eferding

Photo : Alain Barbero | Texte :  Marlene Gölz | Trad. : Sylvie Barbero-Vibet

 

Parfois, le banc en bois vermoulu et recouvert de lichen sous le tilleul était occupé par les jeunes du village, mais pas ce jour-là, Karo avait de la chance. Elle plaça le banc en direction du nord-ouest, effleura les lettres gravées sur le dossier, s’assit, ouvrit la canette de bière et eut un bref instant le sentiment de bien faire les choses. “Je n’ai pas besoin de la mer”, dit-elle, en regardant vers la vallée, à Nobody, assis à côté d’elle. À l’horizon, un groupe d’arbres semblait en feu, combat du soleil contre son coucher. Des traînées orangées traversaient la lumière étincelante et se mêlaient à des nuages bleutés qu’elle pensait pouvoir arracher du ciel comme de la barbe à papa. Comme pour vérifier ses pensées, Karo attrapa un nuage et le mit dans sa bouche. Quel goût peuvent bien avoir les nuages ? Dans tous les cas, il fallait attraper ceux qui étaient bleutés, ceux orange et jaunes vous filaient entre les doigts. Karo ferma les yeux, juste pour pouvoir constater l’instant d’après que le ciel du soir avait changé.
Elle se dit qu’il ne serait pas difficile de sombrer dans la folie. Mais aussi que le secret consistait à ne pas se laisser aller à penser ainsi, sous peine de voir ce process terminé avant même d’avoir vraiment commencé.

Extrait de : K.

 


Interview de l’auteure

Que signifie la littérature pour toi ?
Marlene Gölz : Je me souviens d’une sorte de déclic, je savais à peine lire. Christine Nöstlinger : Un enfant marche dans la rue. Il marche en ne posant le pied qu’un pavé sur deux, en essayant de ne pas toucher les joints. Cela m’a impressionnée. Que quelqu’un marche exactement comme moi. Que l’on exprime quelque chose, qui est là, mais dont on ne parle pas habituellement, parce que ce n’est apparemment pas important. Pour moi, c’était important. Je me suis reconnue. Les expériences de lecture d’une telle intensité sont rares. Mais si c’est le cas, un tel livre est un véritable trésor, la littérature signifie alors : se rencontrer, s’oublier, voyager, être compris, être chez soi.

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
MG : Aujourd’hui : prendre le temps, échapper à la vitesse, trouver sa place dans le fait de se déplacer.

Pourquoi as-tu choisi le Café Vogl ?
MG : Parce que je suis écrivain pour cette ville et qu’Eferding ne peut être dissocié du Café Vogl.

Que fais-tu quand tu n’es pas au café ?
MG : Je passe du temps généralement dans des endroits que j’aime aussi beaucoup : les trains, la nature, ma maison et mon lieu de travail, une bibliothèque.

 

BIO

Née en 1978 à Linz, elle travaille comme auteur, lectrice et indépendante à la StifterHaus Linz ; depuis 2017, publications littéraires dans des revues et anthologies, divers prix et bourses, notamment le Marianne.von.Willemer.Frauenliteratur-Preis de la ville de Linz (2017), Literaturpreis Akademie Graz (2018), BMUKK-Startstipendium (2018), Stadtschreib-Stipendium Eferding (2022).
www.marlenegoelz.com