Archive d’étiquettes pour : Café

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Ron Winkler | Ocelot, Berlin

Photo : Alain Barbero | Texte : Ron Winkler | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

Erratum

Il faut que je le redise : seul le roman comble, si un poème ne le peut. C’est pour cela que j’ai tant de virgules, ces gouttes de pluie de la grammaire. Un tram s’avance pour l’armée. As-tu besoin d’une confirmation ? Un sac ou un geste qui survit à la survie ? Rempli de phrases qu’il faut chauffer à un peu moins de cent degrés dans le carburateur. Toutes celles qui y entrent font tourner les pages et cherchent leur nom. J’avais aussi un vélo-dynamite comme celui garé devant le magasin, l’épicerie, le café. La fenêtre entre lui et moi ternit les gens toute la journée, tandis que je papillonne dans mon carnet (sur la face de ma vie opposée à la déclaration de revenus). Il faut que ce soit dit. Le monde (la vie) est la couverture de ce lieu (la vie). Et le café moulu est fait de chacune des secondes, où j’étais ici, où je suis devenu ce que je suis. Je figure dans l’ours : en tant que matière, taille de référence pour le vase sur la table mis en valeur par des fleurs. Les faits, qui n’existent pas, je les remplis. A l’instar de champs lexicaux, qui me caractérisent. Avec des lividités cadavériques, je suppose. Peut-être aussi des astres aux extraits de caféine dans le champ de force du vase d’Achille. Des foyers, qui ne forment aucun texte, à aucune vitesse ocelotienne. Une chaleur paît dans la ville, forte d’au moins dix mille pages. Du foin avec plein de lettres : le parc de Weinberg. Une minute ici est composée de vingt arbres, que je ne vais pas redire une nouvelle fois. Des arbres qui semblent être beaucoup plus en stock que moi, plus extérieurs que moi, plus boisés que moi. Mais je suis doué pour défictionnaliser, moi-même. Et il m’en reste tout de même sur les lèvres, de ces nuées d’abeilles que forment tous ces livres. Des ganglions. Des moments inédits emballés dans des mots. Qui sont précurseurs, sortent du cadre, ont des intuitions. Engranger parfois un peu de saletés dans le cœur des papiers fins. Déduis-le des impôts. Efface-le entre les virgules. Souhaite-le à tes pires moments de leucosélophobie.

 


Interview de l’auteur

Que signifie la littérature pour toi ?
Ron Winkler : Oh.

Que représentent les cafés pour toi ?
RW : Ils sont une bouée de sauvetage face à mon propre appartement. Au café, je m’impose quelque chose d’étranger, d’autres énergies, d’autres voix. Et des contraintes du simple fait de la présence des autres. Je peux rencontrer ou pas. Je peux me mettre en mode poésie ou m’en distancier en revenant dans le monde réel. Les reboots sont essentiels.

Pourquoi as-tu choisi le café Ocelot ?
RW : À cause de sa proximité et de son expertise, de son charme et de son atmosphère. Parce que c’est le berceau et le siège du vrai, du beau et du brillant. Parce que la lumière est bonne, que l’équilibre entre le calme du lieu et les nuisances extérieures est donné. En raison de la famille chaleureuse : Maria, Ludwig, Jane, Eva, Magda, Lia, Alex, Hannah, Julia et Cecilia.

Que fais-tu quand tu n’es pas au café ?
RW : Enfant, échecs, faire les courses, livres. Dénicher idées et perturbations. Réfléchir aux raisons de retourner au café.

 

BIO

Ron Winkler est né en 1973 à Jena. Il écrit et traduit principalement des poèmes. Il a publié de nombreuses anthologies lyriques. Ses poèmes ont été traduits dans plus de 25 langues. Au Mexique, en Ukraine et en Slovaquie ont été publiés des recueils de ses poèmes.

www.ronwinkler.de

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Adrian Kasnitz | Traumathek, Cologne

Photo : Alain Barbero | Texte : Adrian Kasnitz | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

« Ils montrent des films au Rabe », dit Freisenberg.
« Quel genre ? »
« Je ne sais pas vraiment. D’étudiants des Beaux Arts. »
« Quand ? »
« Dans une demi-heure. »
Bender entendit un craquement. Freisenberg raccrocha et monta les escaliers en courant. Bender avait à peine raccroché que Freisenberg était déjà dans l’encadrement de la porte et cria :  « t’as fini ? »
Il expédia ses pensées par la fenêtre et laissa toutes ses affaires de la fac, le manuel de français et ses notes du cours, qu’il voulait reprendre ce soir. Ce qui n’aura pas lieu.
Ils allèrent directement vers leur vélo, devant la maison, les enfourchèrent et partirent sans prêter attention à la signalisation ni aux feux. D’abord en direction de l’étang, puis de la Rudolfplatz. Ils descendirent des vélos, les accrochèrent à un lampadaire et ralentirent le rythme. Ils se regardèrent, observèrent la coiffure et l’habillement de l’autre, passèrent une main dans les cheveux, époussetèrent leurs vêtements, s’essuyèrent le front et firent une courte pause. Puis la porte s’ouvrit et ils se retrouvèrent dans le café Rabe. La lumière était faible, la salle enfumée.

Extrait de : Studentenroman (non publié)

 


Interview de l’auteur

Que signifie la littérature pour toi ?
Adrian Kasnitz : La littérature est toujours synonyme d’une plongée dans un monde inconnu, d’une nouvelle perspective. C’est pour moi l’art le plus érotique car tout ce qui se passe dans son univers a lieu dans la tête, dans l’imaginaire. Dans ce texte, ce ne sont pas seulement deux êtres qui éprouvent de l’attirance, mais tous les éléments sont entremêlés, entrent en contact et se repoussent.

Quelle importance les cafés ont-ils pour toi ?
AK : Je vais souvent dans les cafés. Ce sont des lieux de travail pour moi. Je n’écris pas vraiment dans les cafés. Mais j’y rencontre des gens, parfois des amis, et souvent des collègues, des journalistes, des photographes. Les appartements à Cologne sont petits, pas du tout comparables à ceux que j’ai vus dans d’autres endroits. Le salon, pour les habitants de Cologne, est tantôt le pub, tantôt le café. Pour moi, le café est le lieu représentatif qui manque à mon appartement.

Pourquoi as-tu choisi le café Traumathek ?
AK : Pendant longtemps, j’allais et venais dans un café du quartier. Mais il a perdu de son charme ces dernières années. J’aime le café Traumathek, qui était à l’origine un magasin de vidéos et qui est devenu récemment de plus en plus un cinéma d’art et essai et un lieu d’événements. Les affiches évoquent le monde des vieux films français ou italiens que je regardais tard le soir avec ma mère quand elle n’était pas de nuit et ne pouvait pas dormir.

Que fais-tu quand tu n’es pas au café ?
AK : J’aime les longues promenades, les balades en ville dans les autres quartiers, les petits détours par des endroits que je ne connais pas bien et que je surprends parfois.

 


BIO

Adrian Kasnitz est né sur les rives de la Baltique et a été élevé dans les monts de Westphalie. Il vit à Cologne depuis de nombreuses années. Il a récemment publié le sixième volume du cycle de poésies Kalendarium aux éditions parasitenpresse et le roman Bessermann aux éditions Launenweber.

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Johanna Hansen | Petit Rouge, Düsseldorf

Photo : Alain Barbero | Texte : Johanna Hansen | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

Les mouches de beauté ce soir-là
sont une douzaine d’huîtres.

Elle pense ainsi plaire,
ou tenir sous les bras parfumés les rênes
d’assertions, à travers lesquelles ne passe aucun chemin
qui ne soit plus long qu’une simple évocation.

Autour du cou un collier de perles.
L’envie doit au moins lui accorder cela.

Elle a des jambes élancées à sa place
qui plaisent toujours.
Elle fait claquer ses talons, carrés,
à ses bottes, aux pieds de table,
sous les lustres.

En face d’elle, il donne un cours accéléré en haussement d’épaules,
prend d’un rien une longueur d’avance,
veut tout garder sous contrôle, alors qu’elle tente
de respirer avec les yeux,
sans perdre la vue d’ensemble.

Elle aimait bien servir l’été dans de la porcelaine blanche.
L’été entier.

Son souhait, en quelque sorte : ne rien gâcher.
Ni la pochette.
Ni le hochement de tête familier.
Ce sentiment d’être pris en flagrant délit
quand les émotions ne demandent qu’à sortir.

D’un œil exercé, dans le miroir derrière le bar,
elle fait briller sa langue.

Comme une seconde peau.

 


Interview de l’auteure

Que signifie la littérature pour toi?
Johanna Hansen : Un espace de liberté pour laisser les pensées flâner. Dans toutes les situations de la vie. Notamment en cas d’insomnies. De perplexité. Elle apporte aussi consolations et connaissances. Loisirs. Mais avant tout : Espace pour les sentiments, les mots, l’air.

Que représentent les cafés pour toi ?
JH : Ils ne représentent plus autant pour moi, depuis que la culture des cafés avec laquelle j’ai grandi et où on se retrouvait avec des amis pour parler de tout et de rien, a disparu de tant d’endroits et pas seulement de ma ville, au profit de chaînes pour les cafés à emporter.

Pourquoi as-tu choisi le café Petit Rouge ?
JH : Le Petit Rouge est le trait d’union idéal entre café, gâteaux et cuisine de bistrot, chansons et peintures originales. Un bel endroit, intime, au coin de la rue, que j’aime bien fréquenter quand j’ai une soudaine envie de changer de décor ou de rencontrer quelqu’un. Malheureusement ce petit café peu conventionnel n’a pas survécu au lockdown. Je le regrette beaucoup.

Que fais-tu quand tu n’es pas au café ?
JH : Dans la journée, je passe beaucoup de temps dans mon atelier, je peins ou j’écris. Pendant les pauses, je me balade le long du Rhin, je lis, le soir je regarde la télé ou facebook et je m’immerge régulièrement dans Youtube avec mes écouteurs pour regarder des contenus littéraires et musicaux. J’organise mon travail et fais toutes les choses du quotidien. Parfois j’invite des amis à la maison. Petites escapades de temps en temps pour aller à des lectures ou expositions ou autres événements culturels. Elles apportent des touches de couleur dans ma vie.

 


BIO

Johanna Hansen a passé son enfance en Basse-Rhénanie. Elle a étudié l’allemand et la philosophie à Bonn. Diplômée d’état 1er et 2ème niveau. A d’abord été journaliste et enseignante. Elle a commencé en 1991 ses activités artistiques.
Auteure et peintre. Depuis 1993, elle a fait de nombreuses expositions et publié de nombreux ouvrages depuis 2008. Dernière parution. « Zugluft der Stille », aux éditions offenes Feld en 2020. En 2019, elle a remporté le prix littéraire Postpoetry de la région de Rhénanie-Nord-Westphalie.

Depuis 2013, elle publie la revue littéraire WORTSCHAU.
www.wortschau.com

En collaboration avec des musiciens, compositeurs et artistes vidéastes sont nées des performances, films poétiques et projets réunissant littérature, musique et images.

www.johannahansen.de

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Dominique Zay | Ad’hoc Café, Amiens

Photo : Alain Barbero | Texte : Dominique Zay

 

Une photo, ça nous regarde, ça nous interroge, ça nous demande de vivre une émotion, et nous avons le choix. Des paysages aux visages, d’ici ou d’ailleurs, au dehors tôt ou tard dans un bar, une photo respire aussi bien les ambiances que les silences, l’agitation que le calme.
C’est un tour de magie qui arrête le temps pour mieux en célébrer le mouvement et qui transforme une fraction de seconde en éternité.
Les couleurs jalousent le noir et blanc et nous transportent pour un voyage en images. Alors que plus rien ne bouge, tout se transforme. Le monde change quand le regard se pose et sensiblement, nous aussi.

 


Interview de l’auteur

Que signifie la littérature pour toi ?
Dominique Zay : Une fenêtre, une source de lumière, une résilience…

Que représentent pour toi les cafés ?
DZ : Un autre chez moi où je suis l’invité.
Et aussi un formidable spectacle où j’observe les gens, je leur fabrique des scénarios de vies… inépuisable.

Pourquoi as-tu choisi le « Ad’hoc Café » ?
DZ : C’est lui qui m’a choisi : je m’y suis assis et il m’a tout de suite semblé que le monde était bien ordonné, tout simplement. Chaque chose était à sa place et moi aussi, en harmonie.

Que fais-tu quand tu n’es pas dans les cafés ?
DZ : Salons polar, BD, ateliers en prisons, et écriture, écriture…
En fait, j’y suis peu dans les cafés, je suis un sauvage qui se soigne, d’où l’exigence quand je sors de me sentir en complicité avec le lieu qui sera peu commun…une intimité collective.

 

BIO

Dominique Zay n’a pas eu d’enfance, il est né directement à l’âge de 16 ans, dans un cirque. On le retrouve dans les coulisses d’un théâtre et son portrait apparaît sur des couvertures de romans policiers.
On perd sa trace à l’orée d’une forêt.
Son nom ressurgit car il fonde un parti politique qui prône la « fin de tout ». En l’an 2000, il refuse le Prix Nobel de l’Apeuprès. En 2010, il fait ses adieux au patinage artistique.
En 2013, il commence la BD.
On ne l’arrête plus, même Interpol y a renoncé.
Dernier détail : Dominique Zay ne ressemble absolument pas à George Clooney !

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Bastian Schneider | Chante Cocotte, Cologne

Photo : Alain Barbero | Texte : Bastian Schneider | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

La pépite

Dans le café était assis un homme. Un poil fin dépassait de sa narine gauche. L’extrémité étincelait au soleil. Le soleil brillait à travers la fenêtre. À la fenêtre était assise une jeune femme qui mordait dans une tartine à la ciboulette. La ciboulette renvoyait des reflets verts. La femme avait un parapluie ouvert, tatoué sur son poignet droit. L’extrémité du parapluie pointait vers l’homme. L’homme se moucha le nez. Le poil du nez étincelait.

 


Interview de l’auteur

Que signifie la littérature pour toi ?
Bastian Schneider : C’est le plaisir de la langue, un outil puissant pour appréhender le monde et parfois, la littérature est le moyen parfait pour se disperser.

Que représentent les cafés pour toi ?
BS : Cela fait plus de 20 ans que je vais régulièrement dans les cafés, pour rencontrer des amis, observer les gens et travailler. Les cafés sont pour moi une sorte d’extension de mon salon et ma pièce de travail.

Pourquoi avoir choisi Chante Cocotte ?
BS : Le café y est bon, les tables sont parfaites pour écrire, les murs en briques apparentes rayonnent chaleureusement. En plus, il n’est pas très grand et on y savoure la tranquillité. J’aime aussi la petite terrasse dans la cour intérieure.

Que fais-tu quand tu n’es pas au café ?
BS : Je me languis de retourner au café.

 

BIO

Bastian Schneider a étudié la littérature française et allemande à Marbourg et Paris ainsi que l’art de l’écriture à Vienne. Dernièrement sont parus les livres avec de courts textes « Die Schrift, die Mitte, der Trost » (2018) et « Paris im Titel » (2020) aux éditions Viennoises Sonderzahl Verlag. Il vit à Cologne et à Vienne.

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Olivia Kuderewski | Szimpla, Berlin

Photo : Alain Barbero | Texte : Olivia Kuderewski, extrait de Lux, Voland & Quist, 2021 | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

Le néon des enseignes se dissipe en Lux comme l’encre dans l’eau. Elle allume la Camel, prend une bouffée si profonde qu’elle en tousse, et son regard suit avec avidité les contours des caractères d’imprimerie, les messages des écrans. Elle fixe les couleurs pures et pénétrantes, au-dessus le ciel, noir et méconnaissable, les mots qui défilent lui tournent la tête ; elle s’attache à une lettre, la suit jusqu’à ce qu’elle disparaisse, puis à la suivante, jusqu’à ce que les muscles des yeux lui fassent mal. Lux avale le néon, l’engloutit mais n’est toujours pas rassasiée. Corps et visages, vêtements et masques, et l’intrigue des films qu’elle connaît tous, sur écrans géants LCD, acteurs et modèles grands comme Godzilla, mais inoffensifs avec leurs membres disproportionnés à travers les rues. Cette netteté des écrans, jamais elle ne pourra détourner le regard, et ce qui lui a toujours plu, c’est l’action sans le son. Les vidéos tournent sans bruit dans le murmure de la ville, nourri par les taxis jaunes et les courants d’air.

Tu es un point minuscule entre les tours de pierre carrées, dans la vallée archéologique la plus profonde d’Amérique, dans le canyon de New York, tu es si enfouie dans le paradis des néons, qu’il est impossible de deviner la moindre étoile. Tu es au cœur de l’Amérique. Tu es dans le cœur sacré de l’Amérique, se dit-elle, et son propre cœur s’apaise.

Lux devient transparente. Elle devient part de cette ville, en quelques minutes, Lux se transforme en Amérique, comme dans le conte. Tu es au cœur de l’Amérique, se dit-elle de nouveau et hoche la tête, tout son corps approuve, un peu d’eau se forme sous ses paupières et elle doit, juste un instant, fermer ses yeux brûlants.

 


Interview de l’auteure

 

Que signifie la littérature pour toi ?
Olivia Kuderewski : L’oubli de soi-même, la culture et la communication.

Quelle signification les cafés ont-ils pour toi ?
OK : Avant, je n’osais jamais aller seule dans les cafés. J’en avais vraiment envie, mais il n’y avait que des retraités, plongés dans leurs pensées ; j’avais le sentiment d’être trop exposée et ne pas pouvoir me détendre. Peu à peu, j’ai pris confiance en moi-même – c’est pour moi une véritable victoire territoriale ! Maintenant je m’y sens tellement bien qu’il faut même que je fasse attention à ne pas me laisser aller à jouer avec mon nez.

Pourquoi avoir choisi le café Szimpla Berlin ?
OK : Ils faisaient des pogaça au fromage. Il s’agit d’un type de pain rond et salé, qui fait partie de la cuisine du bassin des Carpates, dans les Balkans et la Turquie. J’aimais bien le mélange entre café et bar. Malheureusement, le café a fermé après 10 années d’activité, parce que visiblement, la Place de Boxhagener est trop avide et avait besoin de magasins plus rentables.

Que fais-tu quand tu n’es pas au café ?
OK : J’écris dans l’appartement d’une amie, parce qu’il est plus lumineux que le mien, j’essaie de rester informée et je me balade sur mon longboard.

 

BIO

Olivia Kuderewski est née en 1989, a travaillé bien trop longtemps sur son premier roman Lux qui va enfin sortir au printemps 2021 chez Voland & Quist.

 

 

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Petra Sturm | Velobis, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Petra Sturm | Traduction : Georg Renöckl

 

Je le dis hardiment, écrire et faire du vélo forment un tout. Car les expériences sont intimes, intenses et corporelles, et les synapses s’embrasent au rythme des coups de pédales. Une fois dans le flux, la perception du monde prend de la vitesse. Les roues, les touches, les crayons et les pédales sont des vecteurs de transmission.

Effectivement, beaucoup d’idées me viennent en pédalant. Y aurait-il un endroit plus beau pour les collecter qu’un bar qui abrite également des vélos ? Il faut un vélo-café dans chaque ville, toujours !

Un endroit où randonneuses et randonneurs se rencontrent et se saluent amicalement d’un signe de tête. Où cosmopolitisme et complicité transforment le lieu en un espace cordial.

Peut-être que je suis seulement vieux jeu. Quand je ne râle pas, je trouve poétique que les gens se croisent sur la piste cyclable, leurs regards se rencontrent un court instant, ils gardent quelque chose l’un de l’autre, furtivement, mais intensément, avant de poursuivre leur route. Vienne n’est pas toujours la ville la plus ouverte, mais une fois en selle elle s’ouvre, de temps à autre, au moins entre cyclistes. Même quand je tombe ou manque d’air, d’autres pédaleurs et pédaleuses vont m’aider à me relever, comme autrefois quand je me suis cassé une dent contre les rails du tram et que j’avais les lèvres en sang.

J’ai ramassé Cenzi dans les archives. Elle me dévisageait depuis une page d’un journal illustré de 1897. Avec un regard timide mais sûre d’elle-même, assise sur un vélo de course, elle m’a immédiatement convaincue que je devais tout savoir d’elle. Quand je descends à vélo la rue Bellaria entre l’Opéra populaire et le Théâtre populaire, j’ai des frissons. Cenzi y est décédée en 1900 lors d’une course de triplettes. Elle est morte jeune, cette grande pionnière du cyclisme, mais avant elle pédalait dans Vienne et allait au vélo-café, même en tant que femme. Je trouve cela admirable. Il faut un vélo-café dans chaque ville, toujours !

 


Interview de l’auteure

Que signifie la littérature pour toi ?
Petra Sturm : Pour moi la littérature, c’est un espace libre. La possibilité de documenter ma perception du monde façon freestyle. Raconter des histoires qui ne me lâchent pas, qui exigent une mise en forme verbale, qui vont du ludique à l’impitoyable.

Que représentent pour toi les cafés ?
PS : Concentration et distraction à la fois. Un endroit où je me sens en confiance, où je peux rencontrer quelqu’un d’autre si je veux, quand je veux, mais où je me suffis aussi à moi-même, tant que je peux observer les autres, lire ou écrire…

Pourquoi as-tu choisi le Velobis ?
PS : Il faut au moins un vélo-café dans chaque ville ! À Vienne il y en a quelques-uns. Après la fermeture du Radlager, j’ai été très contente de découvrir le Velobis. Je n’habite pas dans le coin, mais pour tant de cosmopolitisme et de cordialité, j’accepte de faire le trajet sans problème. Et j’adore son côté francophile.

Que fais-tu quand tu n’es pas dans les cafés ?
PS : Apprendre et percevoir la vie de beaucoup d’autres manières… dans tous les cas, faire du vélo vaut toujours le coup.

 

BIO

Petra Sturm est auteure, journaliste et historienne du vélo. Publications journalistiques, scientifiques et littéraires dans la presse écrite, revues spécialisées et recueils. Des travaux artistiques à la croisée de la littérature, de l’histoire et de la sociologie culturelle ; de la poésie visuelle et de l’actionnisme scientifique ; des projets intermédias, participatifs et performatifs.

Philippe Baudry | Aux Sportifs, Vanves

Photo : Alain Barbero | Texte : Philippe Baudry

 

Obsolescence infinie, l’ennui lézarde ses divagations, gré de l’attente à l’exact centre de l’âme. Le carton à bière éponge puis rebave d’excès l’élixir sur le vernis, ronds de cervoise collants dans l’obscurité nacrée.

Envahissant brouillard, poison amer des veines de l’insouciance. Produire du rien, de l’infini ; efficacité masquée de l’indolence. Divin secret de nos âmes, cherchant l’absolu de l’inévitable ailleurs, sourd lentement la sublime mélancolie de l’amer désir.

Fragile équilibre d’âme, sansonnet  muet, cage de vie, j’aspire à l’autre. Ciel bleu frangé de riants nuages, aucun talent pour la certitude, nécessité de vivre. Tant d’idiots autour de nous… devenir quelqu’un. Allons bon : être ne suffit-il pas ?

Le rire éclate, provocateur,  roucoulant de présence. Pièce d’un théâtre, simple, celui de la vie.
Coup d’épaule : souffle de la porte battante, gonds huilés, brouhaha, tintements de vaisselles ; le café se remplit, petites tables. Les perruches humaines surenchérissent d’un existentiel fracas.
Batman, le matou réglisse-menthe dodeline une queue empanachée, de barreau de chaise en pieds.
Je me noie dans la torpeur humaine, engourdi de bonheur…

 


Interview de l’auteur

Que signifie la littérature pour toi ?
Philippe Baudry : Tous stupéfaits, traversons la logique de l’absurde de nos vies; alors écrire sert à :
– résoudre le cercle alchimique.
– jouir de la richesse de notre langue, la malmener aux limites d’une subtile et poétique compréhension ; petite musique intérieure de l’âme. Dévalant nos mots, nous en cherchons le secret enfoui.
– entrer en résonance avec l’universel et, libéré, se retrouver et s’ouvrir aux autres

Que représentent pour toi les cafés ?
PB : Les cafés, lieux collectifs où l’on peut vivre une solitude érémitique, avec les autres ; l’hors de soi. S’oublier, différer de l’ennuyeuse permanence de son être, no man’s land de l’attente.

Pourquoi as-tu choisi « Aux Sportifs » ?
PB : Du Titi parisien de banlieue à gogo… S’encanailler dans un vrai Café-Brasserie populaire, comme il n’y aura bientôt plus :
Deux soeurs y créent une étonnante symphonie banlieusarde ; Martha au piano (… au fourneau), Germaine, cantatrice de salle, Castafiore au rire cristallin. En matière de réplique, un Michel Audiard  ferait figure d’enfant de choeur. Thomas, le neveu y cherche en vain un minuscule espace masculin tandis que Lélé (Eleonora), toute droit sortie d’une lithographie de Toulouse Lautrec, y ajoute avec bonheur une redoutable efficacité.
De cette cuisine bourgeoise aux menus dithyrambiques, un Chirac y aurait tout dévoré, noyé dans le brouhaha crescendo. Le temps passe… la grande scène du trois vire à l’hystérie, surréaliste cacophonie.
Souvent seul à ma petite table, j’arrive à y lire, pour la quinzième fois la même ligne, luttant parfois main à main avec Lélé… pour qu’elle me laisse le menu en bois qui me sert d’ouvre-page… Enfin, quoi : un menu ne sert pas à ça !… Batman, le matou réglisse-menthe a un peu forci. Mondain et désinvolte, il y glane de furtives ébauches de caresse. Encore présente si longtemps après, la paillasse du vieux chien boiteux mort depuis, marque encore la présence-absence du souvenir de l’avant…

Que fais-tu quand tu n’es pas dans les cafés ?
PB : Histoire, écriture, Taï Chi et Daïto Ryu, néo-généalogie, aquarelle, errements de l’âme et autre exégèse spirituelle.

 

BIO

Né le 11 Janvier 1953, Philippe Baudry, maitre ès géographie puis doctorant, s’est orienté vers la création graphique avant de se mettre à écrire, sur le tard. Sa plume cherche à réhabiliter l’idée même de géographie dans son sens le plus vivant, à renouer avec un langage physique de la matière « nature », à retrouver l’esprit universaliste de la République des Lettres.
Publication :  Du côté d’Oléron… , Ed. LOCAL 2020

Blog Entropy, Barbara Rieger, Alain Barbero, Philippe Mari, Café des Auteurs, Bistrot, Café, Paris

Philippe Mari | Le Café des Auteurs, Paris

Photo : Alain Barbero | Texte : Philippe Mari

 

Un café en quête d’auteurs.

J’ai participé, à la fin des années 90, à la création du café de la Maison des Auteurs, rue Ballu dans le 9ème arrondissement de Paris. Scénariste de séries TV et de jeux vidéo interactifs, je faisais à cette époque partie du Conseil d’administration de la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques, cette prestigieuse maison fondée par Beaumarchais en 1770 et présidée plus tard par Victor Hugo en personne. Cependant, c’est au titre de fils de bistrot qu’on m’avait demandé mon avis sur les canons d’organisation d’un café qui soit à la fois un lieu de rencontre chaleureux et un lieu de travail propice à l’éclosion de projets pour le spectacle vivant et l’audiovisuel. Un vrai café, mais seulement pour les auteurs. Je couchais donc sur le papier quelques directives, partant du principe qu’un écrivain est un client comme les autres dès qu’il s’attable face à un bar en attente d’une consommation.

Il faut croire que le pari était risqué : le lendemain de l’inauguration, les premiers arrivants équipés de leur ordinateur portable, véritables pionniers de ce qu’on appelle aujourd’hui le co-working, se sont retrouvés pêle-mêle attablés à taper sur leur clavier, s’épiant du coin de l’oeil avec la désagréable impression de jouer dans cette scène du film de Buñuel, Le Fantôme de la Liberté, où des convives sont réunis dans un salon où chacun a pris place sur un siège de toilette. Ecrire sous le regard d’autres écrivains était encore quasi obscène et il a fallu quelques années pour les voir surmonter leurs pudeurs littéraires.

Aujourd’hui, si vous avez soif d’y écrire quelques lignes à une table, je vous conseille de réserver.

 


Interview de l’auteur

Que signifie la littérature pour vous ?
Philippe Mari : Sans littérature il n’est de partage, ni du regard individuel sur le monde, ni du vécu de chaque conscience, les deux composantes qui scellent notre appartenance à l’humanité. La littérature, comme la plupart des arts majeurs, est le dernier rempart de l’âme contre l’intelligence artificielle.

Que représentent pour vous les cafés ?
PM : Le café est le lieu de vie de mon enfance. J’y ai passé plus de temps en culottes courtes à faire mes devoirs qu’en tenue d’écrivain devant des pages blanches.

Pourquoi le café le la Maison des Auteurs ?
PM : Ce café a été créé il y a 20 ans à l’emplacement d’un commissariat de quartier désaffecté. Je le ressens comme la victoire de la culture sur la police dans la nécessité de passer un jour ou l’autre aux aveux.

Que faites-vous quand vous n’êtes pas dans les cafés ?
PM : J’aligne des heures de marche jusqu’à l’heure de m’asseoir pour que l’éponge gorgée d’impressions prometteuses glanées en cours de route rende un jus littéraire décent à la table qui m’accueille.

 

 BIO

Formé à l’écriture et la dramaturgie interactive à travers de nombreux jeux fictions pour consoles et web, et après un long passage par les séries TV, la tentation de retour au papier a été la plus forte avec la publication de récits tels « Tch tch tchtt » ou « L’homme qui ne pouvait pas mourir » et l’écriture du dernier roman : « La Dame au Taliban ».

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Ally Klein | Einer dieser Tage, Berlin

Photo : Alain Barbero | Texte : Ally Klein, extrait de Carter, Droschl, 2018 | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

Un courant d’air se fit sentir, dégagea les cheveux de son visage, changea de direction et rabattit quelques mèches. Des mèches de cheveux comme de fines lignes, ratures, l’une d’elles se perdit dans sa bouche et prolongea ainsi le mouvement jusqu’à sa tempe, la racine de ses cheveux, noire comme la nuit, ne se détacha plus, seule resta l’obscurité en lieu et place de sa tête.

Carter releva les yeux. « Il va bientôt pleuvoir ».

À la maison, je préparai des œufs. Carter ne mangea rien, dans les coupelles elle versa en riant le whisky qu’elle avait emporté, on trinqua et à l’encontre de toutes les règles, nous l’avons bu cul sec, comme un shot. Les bords acérés me piquèrent légèrement les lèvres. A chaque fois je ricanai, parce que ça me chatouillait, j’avais le cœur léger. Je racontai à Carter une longue histoire, qui n’avait pas de but, elle souriait à travers le texte et la plupart du temps, resta muette.

 


Interview de l’auteure

 

Que signifie la littérature pour toi ?
Ally Klein : La littérature nous permet une certaine approche des choses et une certaine compréhension de son monde, ce que ne permet pas la langue de tous les jours. Il en ressort une immédiateté sans mot, indicible, à laquelle nous sommes exposés, que nous ne pouvons atteindre sans les mots, que nous ne pouvons exprimer autrement. Cela peut paraître paradoxal, que nous puissions élaborer, voir avec la langue littéraire quelque chose, que la langue en fait ne peut cerner.

Quelle signification ont les cafés pour toi ?
AK : Je vois cela de manière plutôt pragmatique : dans le meilleur des cas, on peut y boire un bon café, rencontrer des amis et avoir de bonnes conversations dans un contexte neutre. J’y lis parfois aussi. Mais je n’écris pas dans les cafés. J’ai besoin d’un silence absolu, car je lis à voix haute ce que je crée. Rythme et sonorité sont pour moi essentiels.

Pourquoi as-tu choisi le café « Einer dieser Tage » à Berlin ?
AK : Je l’aime bien parce que c’est un café dans mon quartier, un point de rencontre pour toutes sortes de gens. C’est au coin de ma rue, ils ont du bon café, des glaces extraordinaires et des propriétaires très sympathiques.

Que fais-tu quand tu n’es pas au café ?
AK : Quand je ne suis pas assise au café, je suis sur mon vélo, qui est comme une extension de mon corps. Je ne pensais pas qu’on pouvait aimer un objet à ce point. Je n’utilise jamais les transports en commun, mais suis souvent en chemin. Je rencontre des gens, je lis et je me déplace.

 

BIO

Ally Klein, née en 1984, a étudié la philosophie et la littérature. Elle vit et travaille à Berlin.
« Carter » est sa première publication littéraire.