Marlene Gölz | Café Vogl, Eferding

Photo : Alain Barbero | Texte :  Marlene Gölz | Trad. : Sylvie Barbero-Vibet

 

Parfois, le banc en bois vermoulu et recouvert de lichen sous le tilleul était occupé par les jeunes du village, mais pas ce jour-là, Karo avait de la chance. Elle plaça le banc en direction du nord-ouest, effleura les lettres gravées sur le dossier, s’assit, ouvrit la canette de bière et eut un bref instant le sentiment de bien faire les choses. “Je n’ai pas besoin de la mer”, dit-elle, en regardant vers la vallée, à Nobody, assis à côté d’elle. À l’horizon, un groupe d’arbres semblait en feu, combat du soleil contre son coucher. Des traînées orangées traversaient la lumière étincelante et se mêlaient à des nuages bleutés qu’elle pensait pouvoir arracher du ciel comme de la barbe à papa. Comme pour vérifier ses pensées, Karo attrapa un nuage et le mit dans sa bouche. Quel goût peuvent bien avoir les nuages ? Dans tous les cas, il fallait attraper ceux qui étaient bleutés, ceux orange et jaunes vous filaient entre les doigts. Karo ferma les yeux, juste pour pouvoir constater l’instant d’après que le ciel du soir avait changé.
Elle se dit qu’il ne serait pas difficile de sombrer dans la folie. Mais aussi que le secret consistait à ne pas se laisser aller à penser ainsi, sous peine de voir ce process terminé avant même d’avoir vraiment commencé.

Extrait de : K.

 


Interview de l’auteure

Que signifie la littérature pour toi ?
Marlene Gölz : Je me souviens d’une sorte de déclic, je savais à peine lire. Christine Nöstlinger : Un enfant marche dans la rue. Il marche en ne posant le pied qu’un pavé sur deux, en essayant de ne pas toucher les joints. Cela m’a impressionnée. Que quelqu’un marche exactement comme moi. Que l’on exprime quelque chose, qui est là, mais dont on ne parle pas habituellement, parce que ce n’est apparemment pas important. Pour moi, c’était important. Je me suis reconnue. Les expériences de lecture d’une telle intensité sont rares. Mais si c’est le cas, un tel livre est un véritable trésor, la littérature signifie alors : se rencontrer, s’oublier, voyager, être compris, être chez soi.

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
MG : Aujourd’hui : prendre le temps, échapper à la vitesse, trouver sa place dans le fait de se déplacer.

Pourquoi as-tu choisi le Café Vogl ?
MG : Parce que je suis écrivain pour cette ville et qu’Eferding ne peut être dissocié du Café Vogl.

Que fais-tu quand tu n’es pas au café ?
MG : Je passe du temps généralement dans des endroits que j’aime aussi beaucoup : les trains, la nature, ma maison et mon lieu de travail, une bibliothèque.

 

BIO

Née en 1978 à Linz, elle travaille comme auteur, lectrice et indépendante à la StifterHaus Linz ; depuis 2017, publications littéraires dans des revues et anthologies, divers prix et bourses, notamment le Marianne.von.Willemer.Frauenliteratur-Preis de la ville de Linz (2017), Literaturpreis Akademie Graz (2018), BMUKK-Startstipendium (2018), Stadtschreib-Stipendium Eferding (2022).
www.marlenegoelz.com