Archive d’étiquettes pour : Alain Barbero

Blog Entropy, Barbara Rieger, Alain Barbero, Claude Ber, Le Cavalier Bleu, Café, Paris

Claude Ber | Le Cavalier Bleu, Paris

Photo : Alain Barbero | Texte : Claude Ber, extrait de Mues, Ed. PUHR 2020

 

(…)
La terrasse du café fermente – queue de rêve instable et finissant.
Le temps s’est arrêté à un filet de lichen
un cadenas sur la tôle d’un garage, jaune elle aussi
un bruit de casier à bouteilles et de sonnailles.

On déchire un bout de serviette en papier, un ticket oublié dans la poche
il y a de l’application dans les gestes
une manière innocente de s’ajuster au maintenant.
Le monde shoote des têtes avec des godasses cloutées
des pieds passent chaussés de couleurs vives et lèvent des moineaux de pas en pas.
L’élan se prend dans l’appui sur le gros orteil, pas dans le mollet ni la cuisse. Dans l’apprivoisement du petit.
Que la beauté sauvera le monde est un rêve d’illuminé poursuit le pape de la tablée. Un pari de joueur plutôt. Y-a-t-il d’ailleurs quelque chose à sauver ?
Si oui, ce bafouillage minime
il nous appartient.

On n’a pas continûment la foi parolière chevillée à l’âme. Des yeux et des oreilles j’en cherche un indice. Une assonance à ma portée dans le rose fluo de la glace à la fraise.
Chercher loin ne sert à rien, chercher non plus. Et comme le monde s’écrase sur les toits terrasses des HLM, je tourne vers leurs couloirs sans porte un regard curieux et désabusé.
Qui va sortir de la caverne taguée ?
Platon et ses studieux disciples sommeillent devant les ombres. Moi devant les affiches ensoleillées et leurs charades de tavelures. La lumière est aussi propice au songe que la nuit.
(…)

Le matin tombe en piqué sur sa fin
des choses entrebâillées – fenêtres, bouches, portails, mains demi ouvertes – s’interrompent
il fait minuit quelque part ailleurs et midi au ras des stores baissés
la politesse voudrait qu’on sache vivre pareillement.

 


Interview de l’auteure

Que signifie la littérature pour toi ?
Claude Ber : Elle est indissociable de la vie. C’est ma manière d’être au monde.

Que représentent pour toi les cafés ?
CB : Un lieu de rencontre et d’observation alliant le familier et l’inconnu. J’y retrouve l’atmosphère des samedis d’enfance dans le café tenu par mon grand-père, où j’observais visages et scènes dans leur mélange d’inattendu et de rituel – celui des habitués, de l’apéritif, du café… -. J’y fais provision d’impressions, d’images.

Pourquoi as-tu choisi « Le Cavalier Bleu » ?
CB : Le Cavalier Bleu est situé dans un quartier central de Paris, où je retrouve régulièrement des amis après un spectacle ou une de mes lectures à la Maison de la Poésie de Paris ou encore après la visite d’une exposition au Centre Pompidou.
J’aime son agitation de brasserie parisienne, où se côtoient gens de toutes sortes, et son nom de Cavalier Bleu, avec ce que ce qu’il incarne pour moi de lien avec la peinture et de souvenirs de l’Allemagne. S’y croisent plusieurs imaginaires. La Serveuse de bocks de Manet rencontre les Kandinsky et les Bacon de Beaubourg, le fantôme du Blaue Reiter le quotidien animé et cosmopolite de la vie parisienne…

Que fais-tu quand tu n’es pas dans les cafés ?
CB : Je vis ! J’aime, j’écris, je lis, parle, écoute, voyage, visite, promène, rêve, rencontre, marche, mange, nage, dors, respire, regarde, contemple etc. etc.

 

BIO

Après un cursus lettres et philosophie, Claude Ber a notamment enseigné dans le secondaire et le supérieur. Elle a publié essentiellement en poésie, mais aussi des textes de théâtre, créés en scène nationale. De multiples articles, études et revues ont été consacrés à ses ouvrages traduits en plusieurs langues. Derniers livres parus:  Il y a des choses que non, La Mort n’est jamais comme (prix international de poésie Ivan Goll) Ed. Bruno Doucey, Mues, Ed. PUHR Site : www.claude-ber.org

Norbert Gstrein | Café Leonar, Hambourg

Photo : Alain Barbero | Texte : Norbert Gstrein | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

Depuis quelque temps déjà, lorsque je suis à Hambourg, je m’installe le matin au café Leonar situé Cour Grindelhof pour lire le journal die Neue Zürcher Zeitung et feuilleter la Süddeutsche, avant de me remettre à mon bureau. Mais en chemin, je me rends juste en face du cinéma Abaton au café Balzac pour y lire la Frankfurter Allgemeine Zeitung. Je m’astreints à ne jamais dépasser une heure. Au café Leonar, je n’ai pas pour habitude d’occuper le canapé que l’on retrouve sur la photographie prise par Alain Barbero ; je lui préfère une petite table ronde d’où je peux regarder par la fenêtre. Le café ouvre à 8h et j’arrive en général entre 8h10 et 8h20, bien conscient de mon côté lunatique et compulsif. Quand j’ai l’impression que les serveuses et serveurs commencent à parler de cet homme bizarre, qui a leurs yeux ne doit plus vraiment paraître tout jeune, je ne reviens plus pendant quelques jours avant de reprendre mon rituel. Je pénètre alors de nouveau dans le café comme si c’était la première fois, comme si j’étais une sorte de sosie ou de représentant de moi-même, et dès le deuxième jour, je suis de nouveau un habitué en ces lieux. Dernièrement, une cliente du café m’a de toute évidence confondu avec un auteur autrichien et m’a vanté les mérites de son dernier roman. Elle m’a dit qu’elle travaillait dans l’édition et qu’elle allait se le procurer par le biais de ses canaux habituels. Je n’ai pas osé lui demander pourquoi elle avait besoin de son réseau, et ne se l’achetait pas tout simplement comme d’autres le font, mais sa façon de parler et ses manières de représentante du monde culturel de Hambourg m’ont profondément démoralisé. C’est à la suite de cette rencontre que j’ai décidé de ne plus fréquenter ce café de tout l’hiver et pris comme résolution d’aller me promener le long de l’Elbe pour regarder les mouettes, de retourner dans le Tyrol pour donner des cours de ski ou d’émigrer en Australie pour y élever des moutons.

 


BIO

Norbert Gstrein, né en 1961 dans le Tyrol, vit aujourd’hui à Hambourg. Il a notamment obtenu le prix Alfred-Döblin, le prix Uwe-Johnson et en 2019 le prix du livre autrichien (Österreichischen Buchpreis).
Il a écrit une quinzaine d’oeuvres, romans, nouvelles et essais, dont 5 traduites en français :
Einer / Un d’ici (récit, 1988), Das Register / Le Registre (roman, 1992), Die englischen Jahre / Les Années d’Angleterre (roman, 1999), Das Handwerk des Tötens / Le Métier de tuer (roman, 2003), Wem gehört eine Geschichte ? / À qui appartient une histoire ? (essai, 2004)

 

Blog Entropy, Barbara Rieger, Alain Barbero, Ditha Brickwell, Feuerbach Café, Café, Berlin

Ditha Brickwell | Feuerbach Café, Berlin

Photo : Alain Barbero | Texte : Ditha Brickwell | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

Le café est mon aimant nostalgique. Autour de moi règne la diversité, et les désirs s’échappent dans toutes les directions. A Berlin, dans mon café Feuerbach, je me languis de Vienne, de mon café préféré dans le quartier de Josefstadt (celui-là même où j’ai fumé mes premières cigarettes du haut de mes 14 ans, bu du chocolat chaud et donné des cours de rattrapage pour financer le tout). Là-bas, au café Hummel, un bruissement de voix heureuses accompagne le bruit des pièces d’échec ou le froissement des journaux du monde. Un ami berlinois disait souvent que lorsque la tristesse le gagnait, il rêvait d’être à Vienne où les sons des cafés lui rendaient sa gaieté… Et quand j’arrive à Vienne, les serveurs m’accueillent avec effusion dans ma maison virtuelle, je m’assois à l’endroit habituel – et je me languis de Berlin, des voix joyeuses des jeunes gens attablés les uns contre les autres sur des chaises inconfortables, du brouhaha exaspérant renvoyé par les murs, des échanges brefs et ironiques avec les serveurs, de la réalité lucide de Berlin. Je rêve des allées, des larges édifices d’époque avec leurs balcons et loggias, des pièces lumineuses et des portes vitrées coulissantes ; j’aime les surfaces vide, les murs mitoyens nus, qui attendent un avenir incertain… et les mystérieux hiéroglyphes sur les murs d’entrée des S-Bahn. J’attends l’automne avec l’odeur des tilleuls et les couleurs dorées des hêtraies autour du Wannsee. On dit de Berlin qu’elle a beaucoup de cultures. De Vienne qu’elle est une ville mondiale de la culture, que l’on exporte partout ; Berlin est humble, Vienne est égoïste, enfin il me semble. Et je me sens chez moi dans les deux villes. Ce sont des métropoles, mes deux préférées, qui dévoilent toutes nos tensions à qui désire les lire, et qui montrent beaucoup de cultures à qui souhaite les voir ; et elles viennent toutes à ta rencontre dans les cafés, pour que tu les comprennes et que je puisse écrire dessus. Le café – mon aimant nostalgique du monde.

 


Interview de l’auteure

Que représente la littérature pour toi ?
Ditha Brickwell : La littérature fixe l’instant présent, le met en exergue – et c’est une possibilité d’approcher la vérité qui se cache derrière les choses.

Quelle signification les cafés ont-ils pour toi ?
DB : Les cafés sont comme une scène de théâtre, tu entends les voix, tu voies les gens et apprends ce qui se passe dans la société.

Pourquoi as-tu choisi le café Feuerbach ?
DT : Je le connais bien depuis que notre fille habite deux étages au-dessus. Les gens du quartier s’y retrouvent, la cuisine est bonne et l’ambiance est simple. Tout ce que j’aime.

Que fais-tu quand tu n’es pas au café ?
DB : Écrire. Dompter le quotidien. Passer du temps avec les enfants – l’été dans le jardin. Voyager de temps à autre en automne et en hiver.

 

BIO

Ditha Brickwell est née en 1941 à Vienne. Elle y a étudié, tout comme à Berlin et New York. Elle s’est engagée pour le développement économique des villes de Berlin, Bruxelles et Paris. Depuis 1987, elle écrit des romans, des essais et des récits. Elle vit depuis 2005 à Berlin et à Vienne et y travaille en tant qu’écrivaine indépendante. A ce jour, onze livres ont été édités.

 

Aiat Fayez | Das Möbel, Vienne [2/2]

Photo : Alain Barbero | Texte : Aiat Fayez

 

C’est sans doute parce qu’il sent son mode d’être préservé que l’écrivain aime tant le café Möbel : à chaque fois, le fait de voir tous ces ordinateurs sur autant de tables le rassure sur l’anonymat dont il peut jouir dans cette salle oblongue qui lui permet de regarder devant soi et de laisser sa vue se perdre dans le vide, comme le pêcheur lance son fil au bout duquel se trouve le hameçon : le poisson, c’est l’idée, l’imaginaire. Et souvent, l’auteur se plaît à penser qu’il doit avoir l’air d’un vieux thésard parmi tous ces étudiants. Les lumières, dans le café, laissent à désirer, il n’y a pas de table réservée pour les habitués, mais au fond, l’écrivain peut se passer de bien d’autres choses encore, en échange de l’invisibilité qu’il gagne. Si le café Jelinek est le café de son cœur, nul doute que le Möbel y a une place privilégiée.

Non, il ne pourrait rester chez lui : le silence le tuerait : le silence d’une bibliothèque ou d’un musée le déconcentre tout de suite. Il a besoin des autres, l’écrivain, celui-ci, du moins : il veut la présence des gens, mais en arrière-fond, afin de pouvoir rester concentré sur lui-même : c’est grâce aux autres qu’il peut se sentir seul. L’isolement n’est pas pour lui, mais la solitude est sa planche de salut.

À force de se rendre au Möbel, il finira par faire partie du mobilier, s’était dit une fois l’écrivain en riant en lui-même. Sur le visage de chaque serveuse, il découvre une toile ou un personnage de livre : il y a là le Self-Portrait de Parmigianino, qui, dès le début, fut une petite lumière dans son cœur, tout comme une autre, qui lui fait penser à la Nadja d’André Breton ; chez une autre encore, l’écrivain voit une alliance de la Mona Lisa et de la Ginevra de’ Benci de Leonard, quand il félicite secrètement la quatrième pour son style vestimentaire, et ainsi de suite des autres.

Invariablement, l’écrivain prend un Capuccino : si on lui bandait les yeux, il pourrait deviner laquelle des serveuses le sert rien qu’en en sirotant une gorgée : les grains de café sont identiques, la machine ne change pas, et pourtant, le Capuccino de l’une est plus fort que celui de l’autre ; celui d’une troisième est plus doux ; la tasse remplie par une autre est toujours un petit peu moins pleine que celle de ses collègues mais la mousse du lait qui s’y trouve est autrement onctueuse. Ainsi en va-t-il de l’écrivain : jamais, sa journée ne débute de la même manière, lui qui, prédisposé à la discipline de travail et aux petites manies, se trouve au même endroit, dans le même quartier, autour des mêmes visages : il est chez lui, sans être chez lui. Et au fond, c’est ce tremblement qui l’émeut : la petite mesure de l’exil.

 


BIO

Né en 1979, Aiat Fayez suit des études de philosophie à Paris. Il quitte la France en 2010, vit à Berlin, Oxford, puis Vienne, où il se consacre à l’écriture. Il a écrit à ce jour trois romans publiés aux éditions P.O.L et dix pièces de théâtre publiées aux éditions de L’Arche. Il a été finaliste du Grand Prix de littérature dramatique en 2016 et a reçu cette même année le Prix Scenic Youth. En 2018, le ministère de la Culture lui a décerné les insignes de chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres.

Romans : 2009 : Cycle des manières de mourir, éditions P.O.L, 2012 : Terre vaine, éditions P.O.L, 2014 : Un autre, éditions P.O.L
Pièces de théâtre : 2011 : Les Corps étrangers, L’Arche Éditeur, 2015 : La Baraque, L’Arche Éditeur, 2016 : De plus belles terres / Angleterre, Angleterre, L’Arche Éditeur, 2018 : Place des Minorités / Le Monologue de l’exil, L’Arche Éditeur. Chez L’Arche Agence : 2013 : Perceptions 2013 : Naissance d’un pays 2015 : L’Éveil du printemps 2016 : La Valise 2019 : Un pays dans le ciel 

Aiat Fayez | Das Möbel, Vienne [1/2]

Photo : Alain Barbero | Texte : Aiat Fayez

 

L’écrivain les aime toutes, ces serveuses du café Möbel, bien qu’il ne soit pas certain que la réciproque soit fondée. C’est un sujet dans lequel il puise sa mélancolie, et bien souvent, il se demande s’il n’y a pas la possibilité d’un autre lieu, d’un ailleurs. Au fond de lui, pourtant, il sait qu’il n’en est rien : qu’il est là, dans ce café, seul, devant des phrases manuscrites ou imprimées, et qu’il le restera toujours, dans tous les cafés qu’il fréquentera, qu’ils soient à Vienne, à Paris, à Budapest, à Zürich, Oxford ou Bâle, parce qu’il n’a pas trouvé d’autre voie pour être qu’un chemin solitaire, brumeux, et à bien des égards, silencieux.

Si l’écrivain cherche au fond de lui, ce qu’il fait de la même manière que d’autres respirent, à tel point que, souvent, il se perd, en lui-même tout autant que dans les rues de cette Vienne dans laquelle il vit pourtant depuis tant d’années, s’il cherche au fond de lui, il réalise qu’il ne peut pas se faire aimer, car l’amour qu’il porte aux autres, il s’applique à le faire échouer dans son accomplissement : il met des bâtons dans ses roues pour qu’il devienne impossible : ainsi prend-il plaisir, un plaisir qui joue avec le désespoir, de se sentir délaissé, esseulé, sans refuge : exilé. C’est plus qu’une condition de travail, car à bien des égards être écrivain est plus qu’un travail : c’est un mode d’être dans lequel rester à l’écart, vagabonder en marge, approcher le vide, est un principe de vie : se vouloir marginalisé, c’est : ne pas accepter la réalité. Non pas la nier, mais s’obliger à la voir par le prisme de l’art ; faire en sorte de la rehausser par l’art. Et entre l’amour pour les gens (imaginés) et la peur de ces gens (réels), il n’y a qu’un fil, sur lequel chancelle l’écrivain. Un jour, peut-être, il tombera. Analogue à tous les écrivains qui sont tombés avant lui et à tous ceux qui tomberont après lui. Aussi solitaires qu’ils demeurent, aussi taciturnes qu’ils soient, aussi étrangers qu’ils restent l’un vis-à-vis de l’autre, ce qui lie malgré eux les écrivains, les vrais, c’est une communauté de destins à travers le temps et l’espace : des amitiés stellaires, créées à travers la lecture des livres.
à suivre

 


BIO

Né en 1979, Aiat Fayez suit des études de philosophie à Paris. Il quitte la France en 2010, vit à Berlin, Oxford, puis Vienne, où il se consacre à l’écriture. Il a écrit à ce jour trois romans publiés aux éditions P.O.L et dix pièces de théâtre publiées aux éditions de L’Arche. Il a été finaliste du Grand Prix de littérature dramatique en 2016 et a reçu cette même année le Prix Scenic Youth. En 2018, le ministère de la Culture lui a décerné les insignes de chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres.

Romans : 2009 : Cycle des manières de mourir, éditions P.O.L, 2012 : Terre vaine, éditions P.O.L, 2014 : Un autre, éditions P.O.L
Pièces de théâtre : 2011 : Les Corps étrangers, L’Arche Éditeur, 2015 : La Baraque, L’Arche Éditeur, 2016 : De plus belles terres / Angleterre, Angleterre, L’Arche Éditeur, 2018 : Place des Minorités / Le Monologue de l’exil, L’Arche Éditeur. Chez L’Arche Agence : 2013 : Perceptions 2013 : Naissance d’un pays 2015 : L’Éveil du printemps 2016 : La Valise 2019 : Un pays dans le ciel 

Maud Bayat-Razagh | Brasserie Lola, Paris

Photo : Alain Barbero | Texte : Maud Bayat-Razagh | Traduction : Ava Bayat

 

L’ âme vagabonde d’une femme.
À ce stade, son nom aura été oublié, non seulement par ses amis et les autres, par elle-même aussi.
Portant dans son coeur une multitude de chagrins, elle se sent vide.
Alors pour voir et sentir Alborz, elle fait voler son âme loin de son corps, en voyage astral.
Où peut-elle se reinstaller, nulle part ? Si, sûrement y a-t-il un autre endroit !
Elle qui n’a pas eu l’occasion de boire le vin promis par Hâfez et Molana dans son pays ; elle découvre le goût délicieux de l’ivresse dans la ville de l’amour. Paris.
Elle se balade dans les ruelles que les amoureux et les poètes ont sillonnées, s’inspire du même parc de Saint-Cloud où Renoir et Cézanne voyaient la nature et les couleurs telles qu’elles étaient, vives.
Peu importe son nom, avant tout, elle est une femme. Une femme qui cherche nuance, force et énergie dans les chevelures et les paroles des autres. Elle mélange les couleurs et le langage trouvés par-ci par-là. Enfin, elle ne choisit qu’une couleur, un mot et un parfum . L’amour.

 

Original



Interview de l’auteure

Que signifie la littérature pour toi ?
Maud Bayat-Razagh : La découverte.

Que représentent les cafés pour toi ?
MB-R : Les cafés sont à la fois les lieux de rencontre et un lieu de refuge nous permettant de nous évader de nos problèmes quotidiens. Les cafés parisiens sont l’essence même du Paris poétique.

Pourquoi as-tu choisi la Brasserie Lola ?
MB-R : Un dimanche après midi je laisse Alain me guider dans le 15ème.

Que fais-tu quand tu n’es pas au café ?
MB-R : Lorsque je ne suis pas au café, je me trouve dans mon salon de coiffure touchant les cheveux de mes clients, mes peintures et mes livres ou au parc de Saint-Cloud touchant des troncs d’arbres.

 

BIO

Maud Bayat, née Azar Razagh en 1973 à Téhéran est une femme qui écrit des poèmes dans sa langue maternelle, le persan. Depuis sa jeunesse elle a un penchant pour l’art, privilégiant le dessin, la peinture et l’écriture. C’est à la suite de ses études universitaires à la Sorbonne qu’elle se mêla aux cercles d’artistes Parisiens. Son métier de coiffeuse l’inspira et elle utilise des cheveux pour créer son art, pour représenter le féminin. Eternelle insatisfaite, elle continue son exploration du domaine artistique en espérant trouver des réponses à ses questions existentielles.

Eva Woska-Nimmervoll | Café Central, Baden

Photo : Alain Barbero | Texte : Eva Woska-Nimmervoll | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

Je rentre dans le café.

Est-ce que je marche droit ? Je titube. Dans les grands miroirs, j’observe mon reflet, et les autres qui m’observent. Voir et être vu, voilà ce qui a toujours été important. On regarde instinctivement quand quelque chose bouge : en ce moment c’est moi, en train d’accrocher mon manteau. Mes cheveux sont en pagaille. J’ai l’air bizarre. Le rouge à lèvres était-il vraiment nécessaire ? Je ne mets jamais de maquillage d’habitude, ne connais pas d’astuce pour rendre ma bouche pulpeuse. Je ne suis pas une blogueuse de mode. J’écris des textes littéraires, et ça va sans porter de rouge à lèvres. Et avec des poils sous les bras. Sans maquillage et non épilée, je peux, et on peut me prendre plus au sérieux. C’est authentique. C’est pour cette raison que les jeunes écrivaines ne s’épilent pas. Les aisselles non rasées crient I don’t give a damn, se contredisent elles-mêmes. Mais c’est la manière dont elles se contredisent qui est cool. Avant, j’étais pareille, au cours des dernières années, plus lâche et épilée.

Je commande un café.

Et finalement, on enverrait au diable l’épilation juste parce que les jeunes le font aussi ? Ca pourrait m’être complètement égal, ce que pensent les autres. Ce n’est pas le cas. D’un autre côté, on n’est pas obligé de prendre position sur tout. Aujourd’hui comme ci, demain comme ça. Parfois du rouge à lèvres, juste parce que j’en ai envie. Dans tous les cas n’en pas faire des tonnes. Pourquoi j’aurais besoin d’applaudissements ? Suis-je coquette ou n’ai-je pas confiance en moi ? De toute évidence, je ne supporte pas d’être regardée avec dégoût voire mépris au lieu de susciter l’admiration. Le café donne un goût amer à mes doutes, l’eau aussi, ainsi que chaque pâtisserie.

Un peu plus tard, je repars en titubant à travers la pièce, avec mes lèvres maquillées de manière dilettante, et je me comporte comme si j’étais cool. Personne ne me regarde. Je transpire tellement je réfléchis. Seul celui qui ne se demande jamais s’il est cool, est vraiment cool.

Je rentre donc chez moi et j’écris.

 


Interview de l’auteure

Que signifie la littérature pour toi ?
Eva Woska-Nimmervoll : Lire et écrire des textes exigeants, qui me touchent et qui me procurent de nouvelles manières de penser. Quand j’écris, je fais connaissance avec des personnages, qui racontent quelque chose sur moi. La littérature et son commerce constituent également un monde parallèle. Empli de miroirs et de petites choses coquettes qui font également partie des aspects sans prétention. Les piles de livres servent d’estrades et de rampes de lancement vers quelque part.

Que représentent les cafés pour toi ?
EW-N : Dans une ville, ils sont synonymes de refuge et de havre de paix. Dans un village, c’est le lieu de rencontre et d’animation. Les cafés sont des lieux cultes avec des rituels mystiques, et pas seulement pour les habitués.

Pourquoi as-tu choisi le Café Central à Baden ?
EW-N : Parce qu’il est calme et intemporel. Il ne joue pas la carte du vieux, ni du moderne. On sait en quelle époque on est uniquement au sèche-mains électrique dans les toilettes et à l’assortiment branché de thés. Sinon on pourrait se croire 30 ans en arrière. A l’époque j’avais déjà l’impression qu’il me faisait penser au passé. La vue sur la colonne de la peste nous rappelle toujours d’être heureux, de vivre aujourd’hui et non à l’époque de la peste.

Que fais-tu quand tu n’es pas au café ?
EW-N : Je m’assoie sur mon balcon et je fais semblant d’être au café.

 

BIO

Née en 1969 à Mödling, Eva Woska-Nimmervoll a grandi à Baden en Basse-Autriche. Elle a fait des études de journalisme et des sciences de la communication à Vienne. Journaliste à son compte, elle enseigne également l’écriture. De temps à autre, elle chante également (compositrice, Folk irlandais). Elle est membre de l’Association des écrivaines de Graz (Grazer Autorinnen Autorenversammlung) et du BÖS (Association des enseignantes en pédagogie de l’écriture). Elle a gagné divers prix et bourses (en particulier le Förderpreis Harder Literaturpreis 2016). Elle a également publié dans des anthologies et revues littéraires. En 2019 est paru son premier roman Heinz und sein Herrl aux Editions Kremayr & Scheriau.

Peter Bosch | Café Steinbock, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Peter Bosch | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

L’homme dans le miroir
ne sait pas encore
que c’est la dernière fois
qu’il est ainsi debout,
adossé
au temps
achevant
parachevant
tournant la page.
Mais sera-t-il
encore à moi ?

 


Interview de l’auteur

Que signifie la littérature pour toi ?
Peter Bosch : Raconter des histoires qui se situent quelque part entre réalité et fiction. J’aime être sur le fil du rasoir où les deux se mélangent.

Que représentent les cafés pour toi ?
PB : Je ne suis pas un poète des cafés, j’écris le plus souvent chez moi. Dans les cafés, je fais souvent des blind dates.

Pourquoi as-tu choisi le café Steinbock ?
PB : Parce que j’ai eu des rendez-vous là-bas avec des femmes qui étaient capricornes (NdT : en allemand, le nom du café signifie notamment capricorne). Le café a cependant fermé il y a peu de temps. Je n’ai pas dû y aller assez souvent pour mes rendez-vous. Et maintenant cela va devenir plus difficile : je ne connais pas d’autres cafés à Vienne qui tirent leur nom d’un signe du zodiaque. Je vais sûrement finir célibataire.

Que fais-tu quand tu ne vas pas dans un café ?
PB : Des films, de la photo, procrastiner.

 

BIO

Né en 1957 à Vienne, c’est aussi là que Peter Bosch vit et travaille. Sédentaire. Enfant du miracle économique.
Travaille comme programmeur, auteur, photographe et réalisateur.
A publié divers romans et récits.
Expositions de photographies et producteur chez Okto.tv.

Jean-Philippe Domecq | La Maison Blanche, Paris

Photo : Alain Barbero |  Texte : Jean-Philippe Domecq

 

« A la table du café notre héros se tenait assis, eh oui ! Très absorbé par le spectacle de ce qui l’entourait – il n’y avait pourtant pas matière à éblouissement, ce n’était là que les petits riens qui constituent l’ordinaire (…). Il n’était plus que murs, clients, verres de bière. Il en était à constater qu’il y avait un verre sous ses yeux, et sa main à côté pareillement posée sur la table. Dans la bière, des bulles. Il leva les yeux : que de gens ! que de présences ! Il eut un beau sourire : c’était le sourire ému du savant à l’aube de la découverte, c’était l’effet de la totale nouveauté. (…) Il considérait la distance séparant les buveurs solitaires – ils étaient rares. Certains étaient saturés d’intentions, d’autres emmurés. Il suffisait d’écouter par en-dessous. (…) les gens qui parlaient entre eux, la conversation sympathique, (…) tout ce cheminement de bouche à oreille avec allers-retours plus ou moins rapides, le cortège des mains autour des paroles, les bustes qui ployaient, et surtout le colportage des regards à travers la salle. Sans vraiment les entendre – et sans doute grâce à cette surdité momentanée -, il percevait les sous-entendus des conversations comme autant de post-scriptums.

Et puis, voilà que son regard balança au gré de l’ampoule électrique qui tremblait légèrement au-dessus du comptoir. Elle lui parut fort belle, cette ampoule ventrue au bout du fil électrique torsadé. Il la voyait pendre, comme jamais ampoule n’avait pendu. (…) Plus tard, bien plus tard, on le retrouva en train de constater que le ciel était sombre : il était sur un trottoir et marchait. »

(extrait d’Une Scrupuleuse aventure, éditions Papyrus, Paris, 1980)

 


Interview de l’auteur

Que signifie la littérature pour vous ?
Jean-Philippe Domecq : L’ouverture, l’ouverture à tous les possibles de la vie.

Que représentent pour vous les cafés ?
JPD : J’y vais le moins possible, j’y vais pour les rendez-vous puisque c’est ainsi qu’on fait, mais je n’aime pas du tout, c’est s’imposer d’être « parmi ». 

Pourquoi avez-vous choisi « La Maison Blanche »  ?
JPD :  Ah, avec ce grand café c’est autre chose, tout autre chose ! Je m’y sens « chez moi », étrangement, alors que j’y ai débarqué une nuit par hasard, fort tard après minuit, et je me suis retrouvé au bar parmi la faune des noctambules qui viennent là par errance ou par habitude ou avant ou après le travail très matinal ou nocturne puisque ce grand café face à la Gare du Nord est ouvert toute la nuit. Des têtes et gens de tous horizons sociaux et continentaux mais, hormis les classiques escarmouches dont le personnel détourne la violence potentielle avec une science impromptue qui m’a fasciné, on se regarde ou se parle comme si on était en affinités dès qu’on passait le seuil d’entrée, avec une politesse tacite spontanée, par-delà toute différence. Pour moi c’est devenu le repère façon Nighthawks, célèbre tableau d’Edward Hopper, si bien que lorsque j’y convie quelqu’un, je dis « allons à Nighthawks !… ». J’aime ce décor resté années soixante, sa lumière acide de tableaux milieu du XXème siècle, le cuir et le bois sur le dallage. Et parmi tous il y a Julien : un des maîtres-serveurs qui m’a fait l’immense et joyeux honneur de venir me serrer la main en me voyant débouler avec des amis alors que je n’étais plus venu depuis deux ans : « Longtemps qu’on ne vous avait vu », me dit-il d’un air malicieux et si sympathique ; immense honneur pour moi car j’avais remarqué comment cet homme d’expérience réglait tous les cas avec un tact psychologique dont je m’étais dit toute la profondeur d’expérience humaine, et qui en fit pour moi le Garçon de Café Absolu, celui qui démentait la méditation philosophique de Sartre sur le garçon de café. Julien est de ces êtres qu’on souhaite à l’humanité ; j’en ai eu ample confirmation puisque, depuis, nous dialoguons régulièrement quand il passe encore en cette fin de sa carrière, et tout va de soi entre nous, chose rarissime entre humains quand on n’a même pas à suggérer le sous-entendu de ce qu’on se dit. Chapeau, Julien, grâce à vous j’ai motif de parier sur l’humain.

Que faîtes-vous quand vous n’êtes pas dans les cafés ?
JPD : Je respire. Sans sortir. Sortir, sortir, toujours sortir… est-ce qu’on a demandé à naître ? Non. Bon alors, qu’on ne nous en demande pas plus.

 

BIO

Jean-Philippe Domecq est romancier, auteur de deux cycles romanesques, « Les Ruses de la vie » et « La Vis et le Sablier » (Métaphysique Fiction), dont Cette Rue (Prix du roman de la Société des Gens de Lettres 2007, et Le Jour où le ciel s’en va, Prix Tortoni 2011) ; et essayiste, auteur de Robespierre, derniers temps (Prix du Salon du Livre 1984), il a composé une Comédie de la Critique sur l’art contemporain (réédition en 2015) et sur la réception littéraire (Qui a peur de la littérature?, réédité en 2002, Prix international de la Critique du Pen-Club). Parmi ses derniers titres parus : Le Livre des jouissances, Qu’est-ce que la Métaphysique Fiction?, La Monnaie du temps. Pour la quarantaine d’ouvrages parus à ce jour, voir: www.leblogdedomecq.blogspot.com

Harald Jöllinger | Café Votiv, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Harald Jöllinger | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

Les cafés, je sais pas trop. En fait, je n’aime pas les cafés. Le café oui, ça j’aime bien. Sans lui, je ne mettrais pas un pied dehors. Mais un seul par jour. Et uniquement le matin. Pas plus. Sinon je n’arrive pas à dormir.
Je n’ai rien contre les maisons non plus. J’habite aussi dans une maison. En fait non, dans un appartement. Qui est dans une maison. Mais les cafés…
Les cafés, je les fréquente … depuis que j’ai commencé à écrire. Je ne sais pas pourquoi. L’écriture, c’est une activité assez fade. Mais peut-être est-ce à cause du mug offert par ma grand-mère. Dessus on pouvait lire : « Mon dieu, que serait la vie sans café ? » C’est ainsi que tout a commencé entre le café et moi. Comme entre la poésie et moi. Je voulais devenir poète et je me suis donc lancé dans l’écriture. Mais peut-être que je n’ai commencé à griffonner que plus tard. Comme m’a dit un jour mon oncle : « Dans ta tête, ça ne tourne pas rond , t’es qu’un gamin, un p’tit con ». Il n’est plus de ce monde, l’oncle. Mais c’est là que j’ai commencé à écrire des poèmes. Avec des rimes et tout ça. Puis des limericks. Puis des nouvelles.
Et que font ces imbéciles de revues littéraires à qui j’ai envoyé mes textes ? Au lieu de dire : « C’est nul, on ne prend pas ça », ils publient. Sans blague. Car depuis, je suis un auteur. Et chaque auteur a son café dans lequel il écrit. Plus personne n’écrit à la maison à son bureau. Non, on écrit dans les cafés. C’est comme ça. C’est un peu cliché et je n’aime pas les clichés. Mais il faut quand même s’y tenir.
Je suis donc souvent dans un café, sans but, et j’écris quelque chose. Mais cela ne me procure aucun plaisir. Ni celui d’écrire, ni celui d’être dans un café.

 


Interview de l’auteur

Que signifie la littérature pour toi ?
Harald Jöllinger : Comme on dit chez nous. La littérature, … la littérature. Elle ne m’est pas indifférente.

Que représentent les cafés pour toi ?
HJ : Peu. Si cela ne tenait qu’à moi, on pourrait transformer tous les cafés en Heuriger ou bistrots. On pourrait éventuellement en laisser un ouvert, par nostalgie. Pour que les Japonais aient quelque chose à visiter. Et le Café Votiv doit rester. C’est le seul qui ne nous ait pas chassé avec nos sessions d’écriture.

Pourquoi as tu choisi le café Votiv ?
HJ : Et bien justement à cause de nos sessions d’écriture. Une fois par mois, on se réunit là-bas. Niveau très élevé. Beaucoup aimeraient en faire partie, mais nous ne prenons pas de nouveaux écrivaillons (ou écrivaillonnes) pour le moment.

Que fais-tu quand tu n’es pas au café ?
HJ : Je m’assieds sur un banc dans un parc et je regarde autour de moi. Ca ne se fait plus. Manger, boire, râler, bougonner, ça les Viennois savent faire. Mais juste rester assis et regarder en l’air… C’est en voie de disparition. Parce que tout le monde ne fait que regarder son portable. Même dans un café. Regarder plus en l’air, ce serait vraiment important.

 

BIO

Né en 1973 à Mödling, Harald Jöllinger vit à Maira Enzersdorf. Il aime l’absurde, la poésie empreinte d’humour noir et la prose courte. Il a suivi les cours de la Celler Schule en 2007 et a remporté le Prix Irseer Pegasus en 2013. En 2016 , il suit le cursus de la Leondinger Akademie für Literatur. Au printemps 2019 est paru aux éditions Kremayr & Scheriau « Marillen und Sauerkraut ».