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Selim Özdoğan, Café Soleil

Selim Özdoğan | Café Soleil, Cologne

Photo : Alain Barbero | Texte : Selim Özdoğan | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

Il fut un temps où il s’agissait de ne pas se laisser attendrir. De garder sa colère. De ne pas céder d’un pouce. Si tu cèdes, ce sont eux dehors qui gagnent. Il fut un temps où l’on entendait Cassandra Complex : I want to grow old and cold and lonely / As long as you don’t win / Win / You didn’t win.
Puis vint le temps où il fallait devenir doux. Perméable. Souple. S’exposer à tout ce qu’on pouvait appeler la vie. Être touché par chaque mot et chaque regard, chaque main et chaque cœur. Il n’y avait plus le dehors et il n’y avait plus rien à gagner. Juste quelque chose à goûter. Avec tous nos sens.

 


Interview de l’auteur

Que peut la littérature ?
Selim Özdoğan : La littérature peut ouvrir des espaces et offre la possibilité d’entrer en contact. Le contact naît aux frontières, aux limites de notre propre monde.
La littérature peut aussi être la musique que nous appelons parfois l’amour.

Quelle importance les cafés ont-ils pour toi ?
SÖ : Avec le temps, je cherche des endroits où l’on trouve des gâteaux qui plaisent aux enfants.
Sinon, les cafés offrent la possibilité de boire un bon café, de parler et de flâner. Toutes des choses importantes dans ma vie.

Où te sens-tu chez toi ?
SÖ : Là où la musique est juste. La musique entre les gens, la musique entre moi et les autres.

 

BIO

Né en 1971, Selim Özdogan a publié de nombreux romans, récits et livres audio depuis son premier roman en 1995, Es ist so einsam im Sattel, seit dem Pferd tot ist (Éd. Aufbau Taschenbuch). Cela lui a valu des prix et des bourses. Il boit du café, pratique le yoga, mange du chocolat noir, parle, lit, écoute de la musique et fait des exercices de respiration.

Baya Streiff | Le Murmure fracassant, Paris

Photo : Alain Barbero | Texte : Baya Streiff

 

Tout commence par une fin de nuit en ombres chinoises, avec ses nuages blancs,  pareils à des lanternes en suspension.  Est-ce le parfum capiteux des Sarcococcas qui attrape la narine ou cette joie simple d’entendre le son de cette clarinette qui s’échappe du métro  et qui me pousse à faire résonner mes pas sur les pavés disjoints ? La ville pavoise. L’air distille une odeur entêtante de brioche chaude. Partout, sur l’asphalte, un festival de silhouettes colorées, évoquant un kaléidoscope géant. Au-dessus, des centaines d’oiseaux pépient leur cantate matinale et joyeuse. Aux terrasses, déjà, des hommes gouailleurs fanfaronnent devant leurs belles. Sur la table, oubliés les cocktails tièdes… En face sur le boulevard, des anxieux courent en tous sens, comme des poules sans tête. Croiser un fleuriste, devant lequel  de vieux routiers du bouquet avec leurs mains de marionnettistes, patientent, perdus dans la concurrence de leurs souvenirs. Dehors le ciel, comme une coupole. D’où me vient ce besoin de baguenauder sous la lumière voluptueuse du printemps, avant de m’asseoir, enfin, le cœur flageolant,  pour savourer le premier café du matin au bar « Le Murmure fracassant ».

 


Interview de l’auteure

Que peut faire la littérature ?
Baya Streiff : La littérature m’a toujours accompagnée. Elle donne de l’élégance à la vie, en plus d’être une amie fidèle. Écrire c’est un peu comme revenir sur ses pas pour renverser le temps…  La littérature me fait penser à une faille temporelle qui rend toutes les histoires possibles.

Quelle importance les cafés ont-ils pour toi ?
BS : Les cafés symbolisent les heures heureuses, et souvent celles de l’attente. Parfois, cette attente peut devenir torturante, et se transformer en une  impatience qui m’agite et qui me plait. C’est vertigineux de voir comment une absence peut prendre de place. Dans ces moments-là, mes pensées refusent de m’obéir dans leur résultat !

Où te sens-tu chez toi  ?
BS : Ici dans ce café où toute l’agitation de la ville semble s’être donné rendez-vous. Tous les murmures du monde sont réunis ici. Il agit sur moi telle une porte des possibles. On peut lire des livres ou apporter son vinyle sur la  platine pour ambiancer le café. Il m’est arrivé d’y laisser des livres  ou d’en trouver abandonnés sur la banquette. Son univers onirique me plaît avec ses portes monumentales du paradis, de l’enfer et  des abysses. Tout ici incite à la rêverie et excite l’imaginaire.

 

BIO

Baya Streiff travaille à Paris à la Protection Judiciaire de la Jeunesse. Sa passion pour les voyages, la photographie et la littérature nourrissent son imaginaire et sa vision romanesque de la vie.
Son premier roman « Les hasards exagérés » édité aux Éditions 7e Ciel,  trace l’histoire  de Mona   où s’esquissent les secrets et les remords, nous menant de çà, de là, sur l’échiquier de la vie, pour cheminer sur les cases blanches et noires du passage à la maturité. Ce roman pose  la question  de savoir comment appréhender les désillusions de l’âge adulte.
Son livre a été remarqué par le réalisateur Philippe Faucon qui va l’adapter à l’écran.

Daniela Gerlach | Bodega Casa Benjamín, Dénia

Photo : Alain Barbero | Texte : Daniela Gerlach | Trad. : Daniela Gerlach (avec Sylvie & Alain B.)

 

Peut-être n’était-ce que …

Je suis assise troublée dans le Café Trouble et je sirote des mots dans ma tasse.
Un homme avec une canne s’approche et m’offre le journal. Il date de 1910 et sent le chien mouillé. Je prends et lis le journal dans tous les sens, l’homme à la canne attend en silence.
Tout à coup, les mots dégringolent, de la bouche et du nez, de la page. Nous en ramassons quelques-uns et les mettons dans la poche. La page se vide, le café refroidit, le reste des mots flotte au fond.
Oui, Monsieur, c’est comme autrefois. Il hoche la tête, c’est vrai, le temps passe.
Seuls les trouble-mots restent.

(Peut-être n’était-ce qu’un rêve éveillé à la Casa Benjamín. Peut-être)

 


Interview de l’auteure

Que peut faire la littérature ?
Daniela Gerlach : Elle peut aussi bien nous émouvoir, nous secouer que nous calmer et nous faire réfléchir, nous donner du plaisir. Tout ce dont nous, les humains, sommes capables, la littérature le peut aussi, tant dans le sens positif que négatif.

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
DG : Ce sont des lieux intermédiaires, des espaces particuliers entre ce que je connais, ce qui m’est familier, et ce qui m’est étranger et donc empli d’attentes, où tout peut arriver, même dans mon imagination. Et c’est là où la connexion avec une nouvelle histoire est possible.

Où te sens-tu chez toi ?
DG : Je ne me sens nul part vraiment chez moi, tout au plus je m’y sens bien. C’est là où sont mes amis, mon travail, où certains habitudes me sont devenues chères, où je respire.

 

BIO

Née à Dortmund, elle a pris pied en Espagne, sinon elle est en voyage.
À Dénia elle dirige le Salon culturel la ñ. Elle est membre de l’association LiteraturRaumDortmundRuhr, avec laquelle elle réalise différents projets littéraires.
« Mes histoires et leurs personnages ne sont jamais les mêmes, ils roulent et se rident comme les vagues, ils ont une mélodie qui me vient aux oreilles quand je dois les écrire. Actuellement, je suis en train de travailler à une suite de Im Dorf der Witwen (Dans le village des veuves), ce qui n’était pas prévu. »
www.danielagerlach.com

Elsa Flageul | Bistro Chantefable, Paris

Photo : Alain Barbero | Texte : Elsa Flageul

 

Impossible d’écrire dans les cafés.
D’écrire avec des gens. D’écrire avec de la musique, avec la radio, avec mes enfants. Impossible de mélanger les mots et les personnes, les mots et les conversations, le bruit de la machine à café, les serveurs endimanchés, les maman ad libitum, les petits chagrins à consoler. La vie d’un côté, les mots de l’autre. Et pourtant, il faut bien que les mots sucent la vie, l’aspirent, l’espèrent, qu’ils l’attendent, comme ça, au coin d’une rue, avec cet air de mauvais garçon, avec cette allure de mauvaise fille : donne-moi tout ce que t’as, vas-y raconte-moi tout ce que tu peux, tout ce que tu ne dis à personne, surtout ce que tu ne dis à personne, mais vas-y putain, qu’est-ce que t’attends. Les mots en chien. Qui ont besoin de la nourriture des jours, des matins brumeux et sonnés par la vie, des soirs fiévreux et des corps qui se trouvent, des éblouissements et des orages, des alluvions du temps sur le visage, sur les seins, sur le cœur.
La nourriture des jours.

 


Interview de l’auteure

Que signifie la littérature pour toi ?
Elsa Flageul : La solitude confortable de la lecture, et celle pas toujours confortable mais toujours adorée de l’écriture.

Que représentent pour toi les cafés ?
EF : Des lieux de chaleur, de joie et de temps perdu.

Pourquoi as-tu choisi le Bistro Chantefable  ?
EF : Parce que j’adore les brasseries parisiennes, c’est ce que je préfère, peut-être à cause des films de Claude Sautet, et que Le Chantefable, en plus d’être une brasserie typique et d’être près de chez moi, est pleine de gens tout aussi chaleureux que l’endroit.

Que fais-tu quand tu n’es pas dans les cafés ?
EF : J’écris, je m’occupe de mes enfants, je vis.

 

BIO

Elsa Flageul est écrivaine et vit à Paris, où elle est née. Elle a publié six romans aux éditions Julliard puis aux éditions Mialet-Barrault. Son dernier roman Hôtel du bord des larmes est paru en mars 2021. Elle travaille activement sur le prochain.

Éric Genetet | Aedaen Place, Strasbourg

Photo : Alain Barbero | Texte : Éric Genetet

 

L’éveil

Il attend, solo dans le fond du café, chaque matin à l’ouverture il attend. Comment sera-t-elle habillée, très chaudement couverte ou dévêtue, si légère ? Et sa façon de marcher, par à-coups ou avec grâce, boiteuse ou aérienne ? Sa manière de le regarder, de travers ou avec envie, fantaisie ou méfiance ? Il commande un troisième expresso, il observe les gens qui sortent et qui entrent, il ne voit personne, il est pâle comme une statue, nonchalant comme un mécano sans énergie. Il pose ses yeux sur l’écran de son ordinateur, ses doigts sur le clavier et il attend qu’elle arrive enfin sa fiancée fugitive, sa lune de papier, sa divine, son bonheur sans pitié, sa source, celle qui n’attend personne, celle qui lui arrache des larmes il pourrait le croire. Et puis, d’abord hésitante elle apparaît, elle s’installe et il s’éveille, il réapprend à penser, à imaginer, à marcher dans la lumière du jour. Il ne la lâche pas, il la retient, il lui commande un univers, un autre expresso. Elle reste plusieurs minutes, de temps à autre des heures, puis elle repart, toujours libre, jamais soumise. Il lève les yeux, elle n’est déjà plus là.

 


Interview de l’auteur

Que signifie la littérature pour toi ?
Éric Genetet : Elle définit ma vie, elle fait de moi un homme libre parfois.

Que représentent pour toi les cafés ?
EG : C’est l’endroit où j’ai grandi, l’endroit des premiers rendez-vous, des pages blanches. J’aime y écrire, entrer dans mon monde quand tout s’agite alentour.

Pourquoi as-tu choisi l’Aedaen Place  ?
EG : Pour sa chaleur, pour son mur de livres, pour son côté salon d’une époque lointaine. Mais j’aurais pu choisir dix autres endroits, je suis très volage côté café.

Que fais-tu quand tu n’es pas dans les cafés ?
EG : Je peux aussi écrire chez moi, en marchant dans les rues de café en café, dans les trains de ville en ville.

 

BIO

Né en 1967 à Rueil-Malmaison, Éric Genetet a commencé sa carrière comme chroniqueur radio et télé avant de rejoindre la presse écrite. Comme romancier, il a publié Le fiancé de la lune (2008, prix Talent Cultura), Et n’attendre personne et Solo (2013), Tomber (2016, Prix Folire et le Prix de la ville de Belfort), Un bonheur sans pitié (2019) et On pourrait croire que ce sont des larmes en 2022, toujours aux éditions Héloïse d’Ormesson.

Blog Entropy, Barbara Rieger, Alain Barbero, Pascal Dessaint, L'Évasion Bar, Toulouse

Pascal Dessaint | L’Évasion Bar, Toulouse

Photo : Alain Barbero | Texte : Pascal Dessaint

 

Si on est bien sage
Jamais on ne traverse la rue pour dire
à l’inconnue qu’elle vous trouble

Si on est bien sage
Jamais on ne prend le chemin
qui va vers la beauté ignorée

Si on est bien sage
Jamais on ne se penche au risque
de tomber et pourtant le plaisir

Si on est bien sage
Jamais on n’a de rêves qui puissent
se réaliser et c’est dommage

Si on est bien sage
Jamais on ne voit la vérité sous ses yeux
un sentiment magique une robe rouge

 


Interview de l’auteur

Que peut faire la littérature ?
Pascal Dessaint : Elle doit procurer avant tout du plaisir. Si elle témoigne du monde, il me semble aussi qu’elle remplit une fonction essentielle. Témoigner, et peut-être aussi parfois s’indigner, alerter !

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
PD : Les cafés sont le cadre de beaucoup de scènes dans mes romans. J’y traîne parfois pour prendre le pouls de l’époque, dans l’espoir d’une rencontre qui m’inspire. C’est arrivé souvent que je croise un de mes futurs personnages dans un bar…

Où te sens-tu chez toi ?
PD : Aujourd’hui, souvent loin des humains ! J’essaie d’échapper dès que possible aux vilains bruits de la civilisation, et c’est de plus en plus difficile. Une montagne, une forêt, une lande… Là où je ressens ma fragilité, ma relative importance.

 

BIO

Pascal Dessaint est né à Dunkerque. Il vit à Toulouse. Ses romans ont été récompensés par le Grand Prix de la littérature policière, le Grand Prix du roman noir français, le Prix Mystère de la Critique et le Prix Jean-Amila Meckert. En 1999, il publie Du bruit sous le silence, premier polar dont l’action se déroule dans le monde du rugby. Depuis Mourir n’est peut-être pas la pire des choses (2003), beaucoup de ses livres sont sous le signe de la nature malmenée. Il évoque la catastrophe AZF de Toulouse dans Loin des humains (2005) et le scandale Metaleurop dans Les derniers jours d’un homme (2010). Il propose aussi régulièrement des écrits plus intimes, chroniques et balades vertes et vagabondes.
Ses livres en allemand : Schlangenbrut (DistelLiteratur Verlag 2005) et Verlorener horizont (Polar Verlag 2021)
www.pascaldessaint.fr
Facebook Page Officielle

 

Blog Entropy, Barbara Rieger, Alain Barbero, Patrizia Murari, Les Formigues, Dénia

Pepü Sulé | La Sacristía Café, Dénia

Photo : Alain Barbero  | Texte : Pepü Sulé | Traduction (de l’espagnol) : Sabine Keromnes

 

Le parapluie libertin

Oh il fait froid.
Et il pleut.
Et me voilà, ici, avec mon parapluie.

Oh le vent.
Tant d’air en mouvement.

Le parapluie bouge
Est-ce le vent qui fait bouger le parapluie
ou le parapluie lui-même
qui bouge pour tenter de s’envoler
et s’échapper de ma fichue main ?

 

Original (espagnol)

El paraguas libertino

Oh hace frio.
Y llueve.
Y yo aquí con mi paraguas.

Oh el viento.
Cuanto aire en movimiento.

El paraguas se mueve
¿Es el viento quien mueve el paraguas
o es el propio paraguas
quien se mueve intentando volar
y escaparse de mi puta mano?

 


Interview de l’auteur

Que signifie la poésie pour toi ?
Pepü Sulé : Du point de vue de l’écriture, c’est un outil qui me permet de narrer, exprimer mes idées, combiner les mots…
C’est un moyen qui m’ouvre les portes pour imaginer ou divaguer et raconter des histoires d’une façon qui m’intéresse, m’attire ou me plaît.
Du point de vue du lecteur cela pourrait être l’entrée à des milliers de mondes.

Que représentent les cafés pour toi ?
PS : Ce sont des endroits où la vie palpite, où se déroulent une multitude d’histoires, où les gens se rencontrent et se racontent leur vie ou bien s’isolent pour se libérer de leur routine quotidienne.
Dans mon cas, cela dépend du moment. Cela peut être un endroit où voir des gens et dialoguer ou bien un endroit où être seul et trouver de nouveaux croquis, ébauches, divagations… 

Pourquoi as-tu choisi La Sacristía Café ?
PS : Comme il s’agissait d’une session photographique, pour la décoration du bar, j’ai pensé que ce serait un endroit attractif pour Alain, le photographe. Et pour moi, ce serait un endroit intéressant où pouvoir imaginer pendant la session quel en serait le résultat.

Que fais-tu quand tu n’es pas dans un café ?
PS : Je parle avec les gens, j’écris, je dessine, je peins, je joue de la musique, j’observe, je cuisine, je lis, je suis curieux, je me promène, je suis avec les gens qui me font sentir vivant…
Mais la plupart du temps, et comme la majorité des humains de cette époque, j’occupe beaucoup de mes heures dans cet endroit qu’on appelle «le travail».

 

BIO

Pepü Sulé est né et vit au bord de la Méditerranée. Il rentre dans le monde de l’écriture en créant et narrant des textes à la radio, récitant, fredonnant ou en participant à des événements musicaux, des performances, des monologues, des œuvres de théâtre, des contes, des scénarios, des films d’animation…
De plus il dessine, peint et anime des images ou joue de la musique et mélange toutes ses ébauches à différentes sauces.
D’un point de vue textuel, ses lettres sont écrites par une personne humaine, de fait il ne connaît aucune personne qui ne soit pas humaine. Et il ne connaît aucun humain qui ne soit pas une personne. Bien que rien de tel ne puisse être affirmé, évidemment. Peut-être qu’un jour il errait par là et boum ! Il a percuté une personne non humaine sans s’en rendre compte, car bien sûr, il n’en avait jamais vu une avant.

Blog Café Entropy, Barbara Rieger, Alain Barbero, Simone Scharbert, Café Dorfladen Koettingen, Erftstadt

David Blum | Backstein, Leipzig

Photo : Alain Barbero | Texte : David Blum, Extrait du roman jeunesse Kollektorgang, Éd. Beltz & Gelberg, 2023. Parution le 08.03.2023 !| Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

Beaucoup d’histoires commencent avec une maison, qui se transmet de génération en génération, je sais. On ne trouve rien de tel chez moi. J’ai grandi dans l’un de ces quartiers qui ont été collés au cœur des villes. Hoffmann appelle cela un complexe immobilier, beaucoup le qualifieraient sans doute de lotissement ou tout simplement de dalle. Mais pour moi, il n’y a jamais eu que des barres. Ma vie, c’était ces barres. Ou plutôt : la cour qui en était entourée. Dix marches en pierre menaient aux entrées des immeubles, et lorsque nous parlions de quelqu’un, nous ajoutions toujours son numéro, Rajko du quatre descend tout à l’heure, Stefan du trois est en vacances, et ainsi de suite. Le soleil se levait tard dans la cour derrière ces barres et se couchait tôt. Il n’y avait rien d’autre que des cordes à linge, une balançoire et le bac à sable le plus ennuyeux que l’on puisse imaginer. Et pourtant, nous étions toujours là, toujours et seulement là.

 


Interview de l’auteur

Que signifie la littérature pour toi ?
David Blum : La connaissance. Le divertissement. De la confusion. Peu importe l’ordre, dans le meilleur des cas, tout en même temps.

Quelle importance ont les cafés pour toi ?
DB : En tant qu’auteur de guides de voyage, j’ai beaucoup réfléchi à l’importance sociale des cafés. En fait, ils sont les bénéficiaires de l’inhospitalité notoire des grandes villes. C’est d’ailleurs souvent la seule possibilité de s’asseoir quelque part dans un centre-ville.

Pourquoi as-tu choisi le Backstein ?
DB : Parce que ce n’est pas un café, mais une sorte de boulangerie en plein air. On peut y aller avec les enfants sans que cela n’ait d’importance qu’ils soient présents.

Que fais-tu quand tu n’es pas au café ?
DB : Travailler. Lire. Ecrire. Passer du temps avec les enfants. Idéalement, pas tout en même temps.

 

BIO

Né en 1983 à Potsdam, David Blum fait des études en germanistique, de sciences des médias et un master au Deutsches Literaturinstitut Leipzig. Outre des textes littéraires, il écrit également des guides de voyage (Reise Know-How, E. A. Seemann) et des textes fonctionnels (Zweitausendeins). Co-éditeur de www.other-writers.de, un blog sur le statut d’auteur et la parentalité. En 2023 paraît le roman jeunesse Kollektorgang, qui a reçu le prix Peter Härtling.

 

Blog Café Entropy, Barbara Rieger, Alain Barbero, Marcus Klugmann, Café Das Kapital, Leipzig

Simone Scharbert | Café Dorfladen Koettingen, Erftstadt

Photo : Alain Barbero | Texte : Simone Scharbert | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

Quoi qu’il en soit, « toutes les images disparaîtront », écrit Annie Ernaux dans Les années, et je commence presque tous mes textes par un « quoi qu’il en soit », comme pour me persuader qu’il y a toujours quelque chose qui « est », toujours inclus dans « l’être », pas encore disparu, que tout continue toujours d’une certaine manière, et pourtant il est rare que je commence un texte par  un « quoi qu’il en soit », que je m’adresse à moi-même ou à une image ou à l’idée d’une image, d’un portrait, une photographie, comme maintenant, quand je vois l’image en noir et blanc de moi-même, la bouteille vide au premier plan, « exister, c’est boire sans soif », dit aussi le texte d’Annie Ernaux, dans lequel on trouve aussi la question de savoir comment nous savons dès notre plus jeune âge que c’est nous sur la photo, et en lien avec les essais de Susan Sontag sur la photographie, peut-être en correspondance, l’objectivation de l’homme par la caméra, ou bien : « qui peut prétendre connaître son propre moi ? », comme je l’écrirai ultérieurement, et je regarde donc vers moi-même, en cet « instant », je regarde la photo, je vois aussi et ne vois pas Alain prendre des photos, je vois combien de personnes sont en fait dans la pièce et ne sont pourtant pas visibles, je vois le silence sur la photo, pour cet instant précis, « d’où parles-tu ? », et à quel point les présences peuvent être différentes, une autre de mes réflexions, comme elle peut donc être, comme nous sommes, « quoi qu’il en soit ».

 


Interview de l’auteure

Que signifie la littérature pour toi ?
Simone Scharbert : La littérature est toujours un point d’ancrage, un lieu de retraite. Et souvent aussi un merveilleux point pour commencer quelque chose de nouveau, une conversation, une unique ligne de vers, un silence. Seul. Ensemble. Ou pour reprendre les mots de Wislawa Szymborska : « La poésie est quelque chose dont on a besoin pour vivre, sans savoir exactement pourquoi ».

Quelle signification les cafés ont-ils pour toi ?
SS : Comme la littérature, les cafés (et les bars) ont toujours été des ancrages, des lieux de retraite dans ma vie. J’ai passé des heures, des semaines, des mois, bref des années derrière de nombreux comptoirs parmi encore plus de gens, à servir des petits déjeuners, du café ou un petit verre de vin, à discuter, parfois simplement à écouter, à lire en tant qu’invitée et toujours à écrire. J’ai surtout écrit. Et : ce dernier point est toujours d’actualité.

Pourquoi as-tu choisi le Café Dorfladen Koettingen ?
SS : Cet endroit est l’un de mes préférés. Un rayon de soleil bénévole. Le retour derrière le comptoir, la possibilité de débuter quelque chose avec d’autres personnes. Un lieu pour la poésie aussi. Juste comme ça. Des lectures sans grand tapage, mais attentionnées, avec un petit buffet et la possibilité d’échanger ensemble. Comme cela peut être, quoi qu’il en soit.

 

BIO

Simone Scharbert est née en 1974 à Aichach. Elle a étudié les sciences politiques, la philosophie & la littérature à Munich, Augsbourg et Vienne, puis a obtenu un doctorat en sciences politiques. Elle vit et travaille comme auteure indépendante et enseigne à Erftstadt. Depuis 2017, elle est chargée de cours à l’Institut de langue allemande de l’Université de Cologne ; depuis mai 2022, elle est responsable de l’éducation culturelle à l’Université populaire de Erftstadt. En 2017, elle a publié son recueil de poésie Erzähl mir vom Atmen Ed. Raniser Debüt, en 2019 du, alice. eine anrufung Ed. AZUR et en 2022 Rosa in Grau. Eine Heimsuchung Ed. AZUR/Voland & Quist.

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Marcus Klugmann | Café Das Kapital, Leipzig

Photo : Alain Barbero | Texte : Marcus Klugmann | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

Comme les parents de ma petite amie de l’époque préféraient les cafés au mobilier et à la musique uniformes, je me suis senti un peu comme un hôte (qui fait payer ses clients à la fin). Même si je n’étais pas du genre à faire la conversation, j’ai tout de même essayé de briser la glace. J’ai donc raconté que ces derniers temps, je m’asseyais tous les jours à cette table du fond, que j’y écrivais et lisais, je décrivais à quel point c’était joli à la lueur de la bougie, quand elle vacille un peu sur la page devant soi, dans quelle bulle confortable on se trouve protégé par le hâlo de lumière, à l’abri de tous les maux passés, présents et futurs du monde et des autres convives, tout en étant nourri par le placenta cotonneux et prometteur de leurs murmures …
Je me suis peut-être un peu emporté, excusez-moi, ce n’était certainement pas la formulation exacte. Mais j’ai conclu mon petit exposé de la manière suivante : parfois, je m’imagine être Peter Altenberg à Vienne, il y a cent ans. C’était un écrivain qui vivait quasiment au café. Aujourd’hui encore, il y est assis sous forme de statue à sa place habituelle. Peut-être qu’ils mettront aussi un jour une statue de moi ici, penché sur mes manuscrits, à la table du coin. Héhé.
On ne devrait pas essayer de briser la glace sur laquelle on doit encore évoluer toute une soirée. De toute façon, j’ai toujours eu l’impression que les parents de mon amie de l’époque souhaitaient un homme plus pragmatique que moi pour leur fille. C’est d’autant plus incompréhensible que j’ai cru avec la phrase suivante, regagner le rivage plus modeste et donc prétendument plus sûr : Eh bien, il n’a pas gagné grand chose avec son art, il devait sans arrêt se faire payer son Einspänner (c’est un espresso avec de la crème fouettée – très populaire dans les cafés viennois). (En fait, j’ai appris, en retravaillant ce texte, qu’il n’y avait pas de statue à la table d’Altenberg. Seulement une poupée de cire, juste à l’entrée, tout sauf flatteuse).

 


Interview de l’auteur

Que signifie la littérature pour toi ?
Marcus Klugmann : Heureusement et malheureusement, à peu près tout. Pas une seconde dans la journée où je ne pense pas à elle.
Heureusement, parce que pendant longtemps, je n’ai pas su ce que je voulais faire de ma vie, parce que j’ai toujours regretté de ne pas être passionné par quelque chose et que j’ai toujours admiré ceux qui ont une passion.
Et puis malheureusement, parce que je ne veux et ne peux plus rien faire d’autre, je ne sers à rien/ne suis pas utile à grand chose, je le dis sans coquetterie, et c’est assez handicapant au quotidien (je corrige : très, pas assez). Je veux dire : je pourrais, maintenant que nous avons un jardin, m’intéresser à la culture et à l’entretien des plantes ou au moins vouloir réparer la petite maisonnette qui se trouve là, dans le jardin ouvrier. Mais j’ai du mal.
Exception faite de mes enfants et de ma femme, qui sont toujours présents en moi et autour de moi, et qui doivent le rester pour toujours, qu’il en soit ainsi.

Quelle importance ont les cafés pour toi ?
MK: Avant, beaucoup, maintenant peu ou aucune. Avant, je pouvais y rester longtemps seul, être en même temps parmi les gens, mais sans risque d’être abordé. Au fond, dès le début, je trouvais cela un peu gênant d’écrire dans un café, environ cent ans en retard pour la fête, ridicule. Regardez, un homme de lettres ! Mais c’est justement ce qui m’a forcé à vraiment écrire. Si je n’écrivais pas aujourd’hui, je serais irrémédiablement gêné. À la maison, j’étais trop distrait par Internet et le calme, la fatigue, le lit qui m’attire. Depuis le Covid, c’est-à-dire la fermeture des cafés, puis des heures d’ouverture réduites, je me suis habitué à m’asseoir à la table de la salle à manger, enfin, presque, presque (Internet est toujours trop important : PROCRASTINATION !). Et puis, pour des raisons financières.

Pourquoi as-tu choisi le Café Das Kapital ?
MK : La musique n’y est pas agaçante, les serveurs ne me sont pas antipathiques, je n’ai pas besoin de commander sans cesse quelque chose… et puis je voulais montrer le café où j’étais régulièrement, où j’ai aussi écrit la majeure partie de mon roman qui, je l’espère, sera bientôt publié. Il est aussi photogénique, le café Kapital.

Que fais-tu quand tu n’es pas au café ?
MK : Écrire, relire, amener les enfants à la crèche et les chercher, manger, boire, changer les couches, lire, regarder Youtube, faire des lectures, caresser le chat – ce genre de choses.

 

BIO

Né en 1981 à Halle, Markus Klugmann a fait des études de langue et de littérature allemandes à Halle, puis à l’Institut de littérature allemand (DLL) de Leipzig. Il s’est marié et a deux enfants, toujours indépendant en tant que lecteur et écrivain. Son premier livre va bientôt être publié.