Blog Entropy, Barbara Rieger, Alain Barbero, Christa Nebenführ, Café Raimann, Café, Kaffeehaus, Wien

Jana Volkmann | Bateau Ivre, Berlin

Photo : Alain Barbero | Texte : Jana Volkmann
Extrait du recueil Investitionsruinen, Limbus, 2021 | Trad. : Sylvie Barbero-Vibet

 

Tu es assis à côté de moi si près
que ma jambe ne peut que
toucher la tienne
c’est la plus petite table
qu’un café viennois
n’ait jamais proposée
elle se blottit pudique
dans l’angle entre
la pièce et la porte
et s’excuse
pour sa taille
et pour le fait que nous
ne puissions pas manger
du gâteau dessus
seulement prendre un expresso
ou un schnaps
avec ton coude
tu touches la fenêtre
et moi avec le mien
le serveur
Tu ne remarques pas
comme ta cigarette
crée une brèche
dans la tapisserie
comme je replie mes bras
dans mon dos
tout en me tortillant
le nez en avant
je m’y faufile et disparais

 


Interview de l’auteure

Que signifie la littérature pour toi ?
Jana Volkmann : Pour moi, la littérature est une forme de philosophie avec des moyens artistiques, l’interface entre le langage, l’esthétique et l’idée. L’écriture et la lecture sont pour moi des outils de connaissance essentiels.

Que signifient les cafés pour toi ?
JV : Les cafés sont une grande découverte ; j’envie vraiment les cultures où ils ont un statut encore plus élevé et sont l’épicentre de toutes sortes d’événements culturels et politiques. J’aime particulièrement l’imprévu auquel on est exposé dans le café : ne pas savoir qui va passer la porte et quel journal va être laissé à la table voisine. Et les codes de comportement spécifiques et subtils qui permettent de contrer ces impondérables avec fiabilité.

Pourquoi as-tu choisi le Bateau Ivre ?
JV : J’ai rencontré une amie très chère au Bateau Ivre. C’était notre premier rendez-vous, elle était assise là avec un livre de Nabokov. Elle vit maintenant à Leipzig et moi à Vienne, beaucoup de choses se sont passées depuis lors. J’associe ce lieu à elle et, d’une manière générale, à cette période marquante. J’aime aussi particulièrement la lumière ici.

Que fais-tu lorsque tu n’es pas au café ?
JV : En ce moment, je fais des recherches pour mon prochain roman sur les animaux et le travail ; c’est mieux de le faire chez moi, à mon bureau, j’ai aussi vraiment hâte que les bibliothèques ouvrent. Parfois, je fais des bêtises ou rien du tout. Récemment, ma petite amie m’a offert un kendama que j’adore. C’est un jouet d’adresse japonais qui, selon la légende, a également été utilisé comme arme par les geishas.

 

BIO

Née en 1983 à Kassel, Jana Volkmann vit comme auteure et journaliste à Vienne. Elle est rédactrice en chef de la revue Tagebuch et écrit des essais et des critiques littéraires notamment pour Freitag, neues deutschland et Der Standard. Pour son roman Auwald, paru en 2020 aux éditions Verbrecher Verlag, elle a reçu le Förderpreis dans le cadre du festival de littérature de Brême 2021 et a été retenue dans la sélection mensuelle du jury de la radio ORF.

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Christa Nebenführ | Café Raimann, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Christa Nebenführ | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

Premier éloge funèbre

Je ne me trouve pas ici sur scène, mais à une heure amère de ma vie, où il s’agit de trouver les mots justes pour dire adieu à jamais à ses parents.
Mais comment dire au revoir à des personnes qui, à un moment donné, ont pris le mauvais chemin et n’ont pu jamais être convaincues de faire demi-tour ? Qui se trouvaient dans une impasse parce que la haie le long du passage dans lequel ils s’étaient nichés pendant des décennies était devenue impénétrable. Mission que nous avons laissé inachevée, de peur de nous retrouver nous-mêmes pris comme de malheureux princes dans les ronces dont on ne peut ni revenir en arrière ni aller de l’avant ?

J’ai regardé les visages des parents âgés dans l’assemblée et je devais faire un effort pour reconnaitre ceux que j’avais connus plus jeunes lorsque je jouais avec eux, enfant. Nous avions choisi une cérémonie sans prêtre. Et même si ma grand-mère sanglotait sans retenue dans son fauteuil roulant, je ne craignais aucun reproche. Aucune main n’est sortie du cercueil, aucun souffle d’air n’est passé. Rarement l’assemblée aura été si petite et la profusion de gerbes si grande. Les iris et les roses, tissés par centaines en couronnes, et parce qu’ils ne pouvaient avoir d’autres prétentions, embaumaient impassiblement.

Si le téléphone sonne, je ne décrocherai pas.
Ce sera ma mère.
Que fais-tu en ce moment ?
J’étais aux toilettes. Je regarde la télévision. Je suis occupée.
A quoi ?
J’écris.
Quoi ?
Ton éloge funèbre, Mère.

A l’heure amère qui sera, qui a été, qui n’a ni début ni fin, je me trouve face au choix entre le deuil de tout ce que j’aurais dû faire et le soulagement que personne ne me reproche de ne pas l’avoir fait.

 


Interview de l’auteure

Que signifie la littérature pour toi ?
Christa Nebenführ : Le contraire de l’évasion. La tentative d’exprimer et/ou d’entrevoir l’inexprimable. La tentative de refléter et/ou d’attraper des éclats de la contingence et la complexité du perceptible. La tentative d’être impliqué dans la création et l’élucidation d’un mystère. La tentative d’établir des liens. La tentative de comprendre.

Que signifient les cafés pour toi ?
CN : La signification était d’ordre social, ce qui est apparu brusquement au début des années 1970, et qui a décliné depuis. 

Pourquoi as-tu choisi le Café Raimann ?
CN : Parce que pendant mes années de lycée, j’y traînais avec mes camarades de classe, je jouais au billard, je bavardais, je flirtais, je pestais contre le serveur et les toasts brûlés, et je prenais des cours de rattrapage en mathématiques avec un copain d’école.

Que fais-tu lorsque tu n’es pas au café ?
CN : Ohhh … Je passe beaucoup de temps à rêvasser et à réfléchir. Je crée des émissions de radio qui répondent à mon besoin d’éclairer et me permettent de gagner ma vie. Et depuis 2008, j’écris un roman tentaculaire que j’ai annoncé dans mon journal intime en 1973 et sur Radio U8, l’émission des étudiants, en 1986. Je lutte courageusement (enfin, pas toujours) pour faire les courses, cuisiner, ranger, calculer au quotidien. J’essaie d’éviter toute intrusion. De temps en temps, je m’impose. Imposer inspire, repousser épuise. Parfois, je suis amoureuse.

 

BIO

Christa Nebenführ est née à Vienne. Actrice notamment dans les théâtres des Länder allemands, elle a étudié la philosophie à Vienne et à Stony Brook (États-Unis). Diplômée en 1996. Poésie (notamment Podium Portrait 2020, Inzwischen der Zeit, Deuticke 1997, Erst bin ich laut, Grasl 1995), roman (Blutsbrüderinnen, Milena 2006), publications scientifiques (notamment Sexualität zwischen Liebe und Gewalt, Milena 1997), émissions radio pour Ö1, essais, éditrice d’anthologies (notamment Länderheft Kroatien des Podium), direction d’ateliers d’écriture, organisation de la série de lectures d’été au Café Prückel de 2003 à 2018. 

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Fabian Lenthe | Café Dampfnudelbäck, Nuremberg

Photo : Alain Barbero | Texte : Fabian Lenthe, extrait du recueil de poésie acedia, Rodneys Undergroundpress, 2021 | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

Quand je compris
Pourquoi je fus encouragé
À lacer mes propres chaussures

Il était déjà trop tard

 


Interview de l’auteur

Que signifie la littérature pour toi ?
Fabian Lenthe : La littérature est une part de liberté. En particulier comme écrivain et poète, c’est la seule chose que je fais de mon plein gré dans ma vie. Tout le reste, vous êtes plus ou moins contraint de le faire, par exemple si vous vous soumettez aux idées de la société sur ce qu’est une vie désirable, ou peut-être même si c’est ce dont vous avez envie. Je parle de fonder une famille et des conditions nécessaires à cela, ou de vivre sa vie comme on le souhaite sans être exposé à des peurs existentielles. Le revenu universel me semble être une très bonne approche. Je voudrais citer une poète que je tiens en haute estime, Lütfiye Güzel, qui a écrit dans un de ses volumes de poésie :

« ce n’est pas facile

d’être fou
& si cela ne rapporte pas d’argent,
c’est d’autant plus difficile »

(Lütfiye Güzel / bonus ?)

C’est tellement vrai !

 

Quelle signification les cafés ont-ils pour toi ?
FL : Je dois être honnête et dire qu’en raison de ma situation financière actuelle, je vais rarement dans les cafés, à moins qu’un photographe très sympathique vienne prendre une belle photo de moi et me donne l’occasion, avec une fantastique écrivaine, de me présenter au public. Merci beaucoup à Barbara et Alain !

Pourquoi as-tu choisi le Café Dampfnudelbäck ?
FL : Parce qu’il se trouve qu’il n’est pas loin de chez moi, que l’ambiance y était parfaitement adaptée et surtout, à ma connaissance, c’est le seul café qui sert de la bière Stauder. Une recommandation incontournable d’un ami poète, Urs Böke.

Que fais-tu lorsque tu n’es pas au café ?
FL : J’écris, je lis, je regarde des films ou je dors. J’ai appris jusqu’à présent à m’en sortir avec très peu de moyens et je suis un minimaliste absolu. Cela s’applique aussi à ma littérature. J’essaie d’aller droit au but avec peu de mots, mais en choisissant les bons. Personne n’a besoin de bla bla.

 

BIO

Né en 1985, Fabian Lenthe a grandi à Nuremberg, où il vit et écrit. Publications dans divers magazines littéraires (MAULhURE, PressWurst, mosaik, ápostrophe etc. …). Son quatrième recueil de poésie acedia sera publié chez Rodneys Undergroundpress au printemps 2021.
Il travaille actuellement à son roman.

Références citées :
Lütfiye Güzel : https://luetfiye-guezel.tumblr.com/
Urs Böke : www.ratriot.de

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Raoul Eisele | Café Weingartner, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Raoul Eisele | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

dans le café, tu décris ton idée de l’amour, dis ne m’oublie pas*

tu parles du rythme du cadran, de la
tonalité et de cet écouteur qu’encore et encore
tu raccroches alors que tu tentais de trouver le courage
d’appeler ; tu as laissé sonner une fois, deux fois,
et tu as raccroché, tu as posé encore et
encore tes doigts sur les chiffres, sur
ce petit cadran, que tu as tourné jusqu’à la butée
et relâché, léger grésillement dans la ligne puis tonalité
et tu raccrochais encore, puis tu as saisi de nouveau l’écouteur
et nous lisions sur le mur du café Telefon, nous
ouvrions la porte vers un autre temps, vers un autre
monde, mettions le récepteur contre notre oreille,
tenions le récepteur qui ne nous ne raconte plus
d’histoires, il reste muet, pas de son, pas de connexion
au bout du fil, pas de voix, pas
de mot de sa beauté, que l’on souhaiterait
certains jours, que l’on souhaiterait certaines fois ;
comme on aimerait l’entendre, ce
premier amour, cette première fois où l’on est amoureux et
ce picotement dans le ventre, tu parles de bruissement des
papillons, tu parles de papillons*, tu parles de
coup de foudre* et je pense à
mon premier amour, celui qui reste à jamais dans ton cœur
qui y laisse pour toujours comme un nœud, ou
ce premier baiser, ce contact presque enfantin de lèvres à
lèvres, sans y avoir jamais réfléchi,
et plus tard, après avoir pris un café ensemble,
une bière, on demande, lorsque l’inhibition
est surmontée, que la nervosité est passée
au second plan et qu’après avoir regardé droit dans les yeux
tu ne détournes pas immédiatement le regard
vers les murs, les sols du café,
lorsque les pieds se frôlent sous la table
et qu’on retrouve ce sentiment,
ce sourire, ce tressaillement des doigts sur le cadran
lorsqu’on tentait de trouver le courage de lui dire
qu’on l’aimait, qu’on aimerait bien la rencontrer,
et qu’on raccrochait une nouvelle fois, qu’on reprenait bien trop souvent
l’écouteur dans la main, sans jamais rien dire, sans dire : je suis amoureux.

 

*en français dans le texte


Interview de l’auteur

Que signifie la littérature pour toi ?
Raoul Eisele : La littérature est une langue et la langue est tout ce que l’homme a toujours connu et expérimenté. Ainsi, tout ce qui est écrit est un élément nécessaire de la (sur)vie humaine – sans cela, nous n’aurions rien pour nous orienter, rien pour savoir, qu’est-ce qui s’est passé, où et quand, nous ne saurions rien de notre passé, de nous-mêmes. Ce sont des histoires, des poèmes et des écrits que nous utilisons pour recréer un monde passé, pour exprimer des sentiments, pour les revivre et en tirer des leçons. La littérature est donc une mise en scène et un essai, une mise en évidence et une manière d’attirer l’attention sur les griefs, ainsi qu’une exploration de son espace intérieur pour mieux se comprendre soi-même et son environnement.

Quelle importance les cafés ont-ils pour toi ?
RE : Pendant longtemps, les cafés ont été pour moi un espace de développement, de tranquillité et en même temps d’activité, comme une balade, où l’on voit les gens aller et venir, où l’on peut échanger des idées. Depuis, les cafés ont perdu une partie de leur importance pour moi – aujourd’hui, ils sont beaucoup moins un lieu de travail ou d’inspiration pour moi.

Pourquoi as-tu choisi le café Weingartner ?
RE : C’est l’un des premiers cafés que j’ai connu avant ma période viennoise – c’est donc quelque part le début de mon amour pour les cafés.

Que fais-tu lorsque tu n’es pas au café ?
RE : Toutes sortes d’activités avec des gens qui me sont chers, mais aussi beaucoup de choses pour moi comme lire, écrire, travailler au théâtre, dans la mesure du possible en cette période.

 

BIO

Raoul Eisele est né en 1991 et vit à Vienne. Il a étudié la littérature allemande et comparative. En 2017, il a débuté avec son recueil de poésie « morgen glätten wir träume » (Graz : Edition Yara). En 2021, son recueil de poésie « einmal hatte wir schwarze Löcher gezählt » sera publié (Berlin : Schiler&Mücke).
En 2019, il a reçu plusieurs prix et en 2020 la bourse « Startstipendium für Literatur » de la ville de Vienne. Il a également été admis dans la résidence d’artistes de Salzbourg (Salzburger Künstlerhaus). À l’automne 2021, il sera Stadtschreiber à Stuttgart (chroniqueur de la ville de Stuttgart). Depuis 2020, il est, avec Martin Peichl, co-fondateur de la série de lectures « Mondmeer & Marguérite ».

 

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Sophia Fritz | Café Schwesterherz, Cologne

Photo : Alain Barbero | Texte : Sophia Fritz, extrait de Neue Männer, alte Löcher | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

Ivre, elle m’a énuméré les cinq principales pensées qu’elle a lorsqu’il entre en elle, et en tout premier se trouve le bouquet de fleurs sur le bureau et la manière dont elle essaie de ne pas perdre le vase de vue. Nous lui avons imaginé de nouveaux mots.
On dit boite à saucisses, on dit boisson gratuite, on dit repère, on dit finger food, on dit cendrier, on dit zone de confort, on dit dépression estivale, on dit cave à vin.
Quand elle parle de son petit ami, elle dit juste qu’ils ne communiquent pas vraiment, qu’ils se contentent de gouttes, qu’ils basculent parfois l’un dans l’autre, qu’ils se mélangent de temps en temps et appellent ça l’unité.
Elle dit qu’elle lui a reproché toutes ses décisions au cours des sept dernières années, qu’elle a fait de lui l’agresseur et d’elle-même la victime, et qu’il est si difficile de sortir de rôles qui ne sont plus des jeux de rôle et qu’on devrait peut-être mettre fin à une relation lorsqu’on ne se parle plus d’égal à égal.
Elle dit qu’elle n’accorde pas grande valeur aux résolutions, mais que l’année prochaine, elle sera assez courageuse pour créer une liste de choses à faire pour ses moments de faiblesse et l’accrocher à la porte du réfrigérateur, et je veux peindre ces points autour de son nombril, je veux lui demander si elle te prend parfois pour un panneau EXIT ou une salle d’attente, si elle se tient parfois devant les boissons fraiches et pense à toi, si tu as exactement une playlist ou si tu en crées toujours plusieurs, si tu as une chanson que tu passes quand tu pénètres, si on t’écrit parfois en même temps, si je peux aussi mettre mes doigts à l’intérieur de ses cuisses, si je peux aussi remonter sa robe.

 

Interview de l’auteure

Que signifie la littérature pour toi ?
Sophia Fritz : La littérature, pour moi, ce sont des sentiments et des calculs, et le meilleur moyen que j’aie trouvé pour mettre de l’ordre dans le monde. Grâce à la littérature, on peut transformer son monde émotionnel intérieur en un musée en plein air.

Quelle signification les cafés ont-ils pour toi ?
SF : Pour moi, les cafés sont comme des messages d’amis qui n’attendent pas de réponse. Des endroits qui peuvent vous supporter, dans le meilleur des cas, des endroits où l’on peut venir sans intention.

Pourquoi as-tu choisi le Café Schwesterherz ?
SF : Parce que j’aime beaucoup ce nom et sa signification. Parce que j’aime la fraternité et l’amour.

Que fais-tu lorsque tu n’es pas au café ?
SF : Je continue à écrire à la table de ma cuisine. Je fais une bonne bolognaise et je regarde par les fenêtres des trains les chemins de campagne. Je profite de la pesanteur de la piscine après avoir nagé.

 

BIO

Sophia Fritz est née en 1997 à Tübingen, elle étudie à la HFF (École supérieure de télévision et de cinéma) de Munich, département écriture de scénario. Avant ses études, elle a travaillé pendant un an dans un orphelinat en Bolivie et a suivi une formation pour accompagner les personnes mourantes. Son troisième roman a été publié aux Éditions Herder en mars 2019. Elle est sous contrat avec l’agence littéraire Röll depuis juin 2019. Actuellement, elle travaille à deux formats de divertissement en série.

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Manuela Bibrach | Café Enjoy, Bischofswerda

Photo : Alain Barbero | Texte : Manuela Bibrach | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

Je me suis entraînée à lâcher prise
sur de jeunes oiseaux et sur des chats
dans des salles blanches à l’odeur piquante
de désinfection
un jour, j’ai écrasé une souris mourante
des jours après, je sentais encore
son corps sous ma chaussure
un léger renflement
sur lequel j’ai roulé en marchant
et le serpent blessé
dont j’ai écrasé la tête
est sûrement encore dans le champ
où je l’ai déposé
un squelette délicat
ce n’est pas comme si
je m’y étais habituée
je ne l’ai jamais appris
comme tous ces autres vocables muets
de la vie une débutante sanglante
c’est ce que je serai
au dernier moment
qui aurait le courage de me porter de l’autre côté
et qui aurait la légitimité de le faire

 


Interview de l’auteure

Que signifie pour toi la littérature ?
Manuela Bibrach : Je t’aime comme le sel dans la soupe, dit la princesse, et elle fut chassée du château par le roi parce que le sel n’était pas assez signifiant pour lui. Je connais la valeur du sel et peux dire que la littérature est aussi importante pour moi que cela.

Que représentent les cafés pour toi ?
MB : Les cafés m’attirent parce que le bruit de fond des conversations des autres clients m’ouvre l’esprit et m’inspire. Je vais dans les cafés pour travailler en solitaire mes textes et échanger avec d’autres écrivain(e)s. Pendant mon séjour à Wroclaw pour ma bourse littéraire en 2018, le “Literatka” était mon endroit préféré où j’aimais travailler à mon manuscrit. Cependant, on ne peut pas faire l’expérience de la vraie culture des cafés (viennois) ici, cela reste donc un rêve nostalgique pour moi.

Pourquoi as-tu choisi le Café Enjoy ?
MB : Le Enjoy à Bischofswerda est l’un des cafés où je rencontre souvent d’autres auteur(e)s. Je choisis mes cafés selon plusieurs critères : excellent espresso, ni trop bruyant, ni trop calme, absence de napperons sur les tables. Au fond du Enjoy, c’est sombre et mystérieux et on peut y déguster de fantastiques cocktails.

Que fais-tu quand tu n’es pas au café ?
MB : Quand je ne suis pas au café, on peut me trouver chez moi derrière l’ordinateur en train d’écrire et de lire, en train de parler à l’un de mes chats, ou dans mon camping-car en train d’explorer de nouvelles contrées avec mon chéri.


BIO

Manuela Bibrach est originaire de Dresde et ingénieure diplômée en aménagement du territoire et protection de la nature, spécialisée dans l’éducation et la psychologie environnementale. Elle écrit depuis qu’elle sait écrire, principalement de la poésie et des textes courts. Il y a environ treize ans, elle a rendu pour la première fois ses textes publics. Depuis, elle a remporté quatre prix littéraires et reçu une bourse littéraire à Wrocław de la Fondation culturelle de Saxe. Jusqu’à ce jour, elle a déménagé treize fois et et vit actuellement en Haute-Lusace. Pour gagner sa vie, elle travaille comme rédactrice.

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Juliane Sophie Kayser | Café Rossi, Heidelberg

Photo : Alain Barbero | Texte : Juliane Sophie Kayser | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

Nostalgie des pays lointains

J’écris ton nom en l’air
En lettres cyrilliques, bien sûr.
Puis je plie
la carte du monde
en un origami
et
je laisse les trois pays
qui nous séparent
disparaître d’un simple pliage.
Ainsi je couds
ta frontière
à la mienne.
Puis je te subtilise
quelques Carpates
et les dépose
au milieu
devant la Porte de Brandebourg.
Pour me consoler de
tout ce qui n’est pas possible.

 


Interview de l’auteure

Que représente la littérature pour toi ?
Juliane Sophie Kayser : Écrire est pour moi en quelque sorte comme voler. La gravité n’a plus autant d’impact sur moi. Tout ce qui est extérieur, étranger à moi se détache de moi et seul ce qui reste en moi prend les commandes. Lire : avoir le droit d’oublier le monde pour un moment.

Que représentent les cafés pour toi ?
JSK : Ensemble, on est moins seul, en fait on est seul différemment. Dans une ambiance sonore et visuelle stimulante, je peux entendre mes pensées grandir.
Et j’aime observer implacablement les gens. Les vibrations entre eux comme les blocages, comme par exemples le staccato de leurs échanges : tout est matière.

Pourquoi as-tu choisi le café Rossi ?
JSK : J’aime l’ambiance grande ville que dégage le café Rossi.
Et je l’ai aussi choisi parce qu’il y a beaucoup d’espace. J’ai toujours besoin d’espace. Espace dans la pièce. Espace dans la tête. Quand je pense à mes cafés préférés à Vienne, Varsovie, Berlin, Venise, le café Rossi est le lieu de nostalgie des pays lointains.

 


BIO

Rêveur en plein jour germano-américain, noctambule, poète, artiste-ambassadeur chez IJM*, écrivain, découvreur d’univers de mots, conjoint, mère de trois enfants et quatre livres. (Si Else Lasker-Schüler peut se définir comme le Prince de Thèbes, alors je peux aussi me désigner comme écrivain, quand mon côté masculin prend les commandes).
www.julianekayser.de    * www.ijm-deutschland.de

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Daniela Gerlach | Café Strickmann, Dortmund

Photo : Alain Barbero | Texte : Daniela Gerlach | Traduction : Iris Harlammert

 

Feuille blanche sur la table en verre, encore et toujours sur fond vert. Vert profond comme l’odeur du passé, fondamentalement. Mme W. y pose une tasse de café. Un coup d’œil rapide, qui reflète toute l’histoire de cet endroit des 30 dernières années. Me reconnaît-elle ?
Elle sait quelque chose sur moi que j’ignore.
Feuille blanche. Je n’écris pas. Elle le voit aussi.
Le gâteau dans ce café console au-delà des épreuves vécues et survécues, des mauvaises comme des bonnes expériences, des pertes, des moments gardés en mémoire. Ici tout est nostalgie. Je demande inutilement : nostalgie de quoi ? Enfoui en moi, disponible à tout moment dans le fond vert des tables.
Un instant. Un endroit où je. Suis.

 


Interview de l’auteure

Que signifie pour toi la littérature ?
Daniela Gerlach : Elle est d’une importance existentielle, une nécessité. Sans littérature, l’homme n’est pas entier. Cela vaut pour moi aussi, évidemment.

Que signifient pour toi les cafés ?
DG : Ils reflètent la spécificité d’un lieu, par exemple d’une ville. J’aime bien m’y plonger. C’est comme passer à travers un mur pour regarder derrière. Je peux soudain me retrouver entourée, tirer mes propres conclusions ou réfléchir à mes sentiments.

Pourquoi as-tu choisi le Café Strickmann ?
DG : Parce que j’ai tendance à être mélancolique et sentimentale. Le café Strickmann me rappelle la culture des cafés du passé, quelque chose qui d’après moi est en train de se perdre, et c’est très triste. Ici on préserve un peu le passé en le transmettant au présent. Un cadeau. De plus, les gâteaux sont bons et le service est très convivial.
Je viens ici depuis que je suis enfant. Cette connexion entre la petite Daniela et la femme que je suis aujourd’hui – ça me rend sentimentale.

Que fais-tu quand tu n’es pas au café ?
DG : J’observe dehors et parfois je me précipite dans la vie.

 

BIO

Daniela Gerlach est née à Dortmund. Depuis 1997 elle vit en Espagne où elle dirige la ñ, un salon de la culture. Elle fait la navette entre l’Espagne et la région de la Ruhr. Elle est liée à la LiteraturRaumDortmundRuhr.
Publications (romans) : Revierkönige ; Was das Meer nicht will, Stories&Friends

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Klaus Berndl | Café Steinecke, Berlin

Photo : Alain Barbero | Texte : Klaus Berndl | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

Cela pourrait tout aussi bien être différent. Si on était en 1312, de l’herbe épineuse et broussailleuse pousserait à cet endroit, une boulaie claire ferait office de décoration boisée, et les trois ouvriers là-bas en pantalon de travail seraient des paysans, et ils parleraient la langue du pays de Havel et non le polonais. Nous serions très certainement assis ensemble ; car en 1312, on se retrouverait ainsi, on mangerait ensemble pour ne pas s’entretuer, car on ne tue pas ceux avec qui on partage le repas. Les trois ouvriers s’en vont, laissent un sac derrière eux – cela n’arriverait pas en 1312 ; je les interpelle.

Je pourrais tout aussi bien être la femme là-bas, milieu de quarantaine : je porterais alors un épais maquillage – presque comme un masque – je pèserais probablement le double et tendrais le bras vers la tasse de manière plus pesante qu’aujourd’hui, je prendrais une gorgée, me rincerait la bouche avec le café, reposerait la tasse et continuerait de lire : introduction à la microéconomie. Quelques phrases et mon rendez-vous arrive. Ma fille ? Non. Nous nous embrassons, elle s’assoie, nous causons et je lui tends quelques boites de médicaments. Je pointe mon doigt vers la première et j’explique – comme mon ongle violet est long ! – puis je passe à la suivante et elle acquiesce. Je sais pertinemment qu’elle ne va pas s’en rappeler. Pourtant il n’y a pas de notice à l’intérieur, dans les boîtes se trouve autre chose que l’intitulé indiqué.

Si on était en 2312, on retrouverait ici de la prairie, du silence – pas d’oiseaux ni de mouches – et je serais assis sur un banc rond en pierre, qui ferait partie d’un mémorial de l’attentat de 2020, oublié depuis longtemps – il ne resterait qu’un petit parc, un endroit avec vue panoramique au-dessus duquel les nuages de la taille d’un vaisseau passeraient, virevolteraient – les palmes bruisseraient au-dessus de moi et un homme maigre, au visage pale pénètrerait sur la pelouse. Il viendrait dans ma direction, à grands pas. Me dévisagerait.

Cela pourrait tout aussi bien se dérouler autrement, ailleurs ou dans un autre temps. Il pourrait aussi ne rien se passer. Je pourrais rester silencieux.

 


Interview de l’auteur

Que signifie la littérature pour toi ?
Klaus Berndl : La littérature est la seule forme de communication qui fasse vraiment sens. C’est le seul moyen de dire les choses exactement de la manière souhaitée, et de pouvoir exprimer tout ce que l’on veut dire. Seule cette communication est vraiment complète ; seule cette communication est vraiment une jouissance.

Que signifient les cafés pour toi ?
KB : Chaleur. Calme. Café, odeur de café. Et plein de gens qui nous laissent tranquilles : des espaces de calme dans le jeu de dés de la vie. Lieux où l’on peut être. Lieux.

Être.

Pourquoi as-tu choisi le Café Steinecke ?
KB : Pour la plupart des gens, ce n’est pas un endroit pour rester, mais un lieu de rendez-vous entre la station de S-Bahn et le magasin de bricolage. Ici, on se retrouve, on vient se chercher, on fait des plans. Personne ne reste longtemps. Personne ne lève la tête et voit la beauté de cette pièce : cette hauteur, cette liberté d’esprit, cette sensation de l’infini. D’ici, on voit le soleil se coucher au Nord.

Ici, je n’attire pas l’attention. Ici, je suis en sécurité.

Que fais-tu quand tu n’es pas au café ?
KB : Je pense, et par conséquent je suis.

 

BIO

Né en 1966 à Mayen, Klaus Berndl a grandi en Bavière et vit à Berlin. Antiquité tardive, haut Moyen Âge, Moyen Âge central et bas Moyen Âge. Époque moderne (18ème siècle). 20ème siècle (époque contemporaine).
www.klausberndl.de  www.wortrandale.de  www.889fmkultur.de

Feindberührung: Hamburg, 2004. (Hg.) Wenn im Norden das Licht schmilzt: Tübingen, 2020. Der Brand: Berlin, 2022.
Prix Martha Saalfeld, Prix Agatha Christie , … Écrivain pour la ville de Beeskow en 2016.

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Christian Szabo | Verse Toujours, Paris

Photo : Alain Barbero | Texte : Christian Szabo (Christone), tiré de la chanson It’s up to you

 

They just go to work endless hours a day
Without givin’ a damn, it’s not their way.
Bein’ indifferent, they won’t even try,
Watchin’ life is just passing by.

But you, you had a dream once.
So make it come true.

 


Interview de l’auteur

Que signifie pour toi la littérature ?
Christian Szabo : Ma mère est professeure de littérature, l’écriture a donc toujours été très présente pour moi, du plus jeune âge jusqu’à aujourd’hui. Comme musicien je pratique une certaine forme d’écriture au travers des textes de mes chansons, écrits en anglais.

Que signifient pour toi les cafés ?
CS : Ils sont indissociables des livres. Je cherche volontiers le cadre d’un café pour me plonger dans un livre. Je voyage beaucoup, et la première chose que je fais en arrivant dans une ville est de chercher mon café, comme une oasis. Pouvoir ensuite y revenir, retrouver mes repères, me faire connaître comme un habitué. Un ” A home away from home”. Les premiers souvenirs d’une ville sont souvent les souvenirs d’un café. A l’évocation de Salzbourg par exemple me revient ce que j’ai écouté dans un de ses cafés.

Pourquoi as-tu choisi le ” Verse Toujours ” ?
CS : C’est mon café, l’endroit où je vais chaque jour. J’aime sa décoration, typique des cafés français avec ses références au cinéma et à la littérature. Un véritable café de quartier à l’angle de ma rue, dans un des coins les plus charmants de Paris, près du Jardin des Plantes. Les serveurs me connaissent bien, je fais très “local patriot” dans le 5ème arrondissement.

Que fais-tu quand tu n’es pas au café ?
CS : Je fais des concerts, et entre les concerts, je voyage et trouve d’autres cafés.

 

BIO

Christian Szabo a toujours rêvé de faire de la musique, dès son plus jeune âge. Sa passion ne l’a jamais quitté, son diplôme en économie en poche, il s’installe à Monaco, puis à Paris où il commence à donner des concerts, sous le nom de Christone. Amoureux des voyages, il emmène sa musique à travers le Monde : Brésil, Espagne et Indonésie, toujours en train de jouer, toujours en train d’écrire. Son morceau “Another chance” le fait remarquer auprès des critiques et de ses pairs. Il enregistre depuis à New-York, et la sortie de son dernier clip est imminente.

https://www.christonemusic.com/