Blog Entropy, Barbara Rieger, Alain Barbero, Linn Penelope Micklitz, Café Kater, Leipzig

Ángel Rebollar | Hotel Chamarel, Dénia

Photo : Alain Barbero  | Texte : Ángel Rebollar | Traduction (de l’espagnol) : Sabine Keromnes

 

COMME UN FUNAMBULE AVEUGLE

La Liberté est plus difficile à vivre que la soumission

Comme un funambule aveugle,
sur un fil de fer tendu
pendant une triste nuit obscure,
cherchant l’essence de l’instinct
que la vue engourdit.
Ainsi, se redresse la liberté,
sans le carcan de la raison
qui la réduit en esclave,
comme le fait la pensée pure,
s’échappant des filtres qui la castrent.

Nous sommes libres, sans le vouloir,
d’une manière inconsciente,
par la force persistante
qui nous oblige et nous enrichit,
nous le sommes par le simple fait de vivre, de naître.

Ensuite, nous commençons à cheminer
à travers les règles et les principes
de la société timorée,
avec la corde au cou qui, petit à petit étouffe
l’instinct qui, éteint, nous domine
et ainsi, nous abandonnons notre état d’être,
pour nous convertir 
en automates éduqués.

Alors, progressivement, nous allons cultivant, 
comme disent ceux qui classent les vies,
ceux qui mettent les règles du monde,
les seigneurs qui te volent les jours
et te prennent ton argent,
sans que tu t’en rendes compte, 
pour la montagne russe des vertiges 
impénitents d’hormonales structures, 
où l’intelligence sensorielle  
nous amène à ne pas déboucher 
les émotions, de manière appropriée contenues.

Pour rompre les peurs inculquées,
nous devons couper les liens de l’aberration,
le confort du chemin connu, 
refaire en sens inverse les routes qu’on nous avait marquées,
désobéissant la direction programmée
et de nouveau cheminer, sur le fil de fer obscur
comme un funambule, avec les yeux bandés
pour, de nouveau, nous retrouver
avec le vide de la sensuelle sexualité réveillée, 
de ces nuits où nous tombons
sur ces, tellement désirés,
déserts de liberté.

 

Original (espagnol)

 

 


Interview de l’auteur

Qu’est-ce pour toi la poésie ?
Ángel Rebollar : La poésie est une nécessité urgente, c’est un endroit d’accueil dans lequel je me réfugie, dans lequel je partage mes amours et désamours, mes inquiétudes et mes moments de paix, un endroit où vaincre les injustices et trouver la paix, où vomir la bile et embrasser la consolation, où je meurs et je ressuscite, l’habitat dans lequel je trouve les réponses à mes questions. En définitive, où mettre de la lumière sur mes ténèbres. 

Que représente le café pour toi ?
ÁR : C’est un foyer pour socialiser, une agora familiale où se retrouvent les gens pour échanger énergie, loisirs, idées, rires, conspirations et préoccupations. Dans cet espace, hommes et femmes se connaissent, ouvrant la porte à la fraternité et même à l’amour, parfois se manifeste le désaccord, un espace vital. C’est également une rencontre intime avec toutes les disciplines de l’art, le temple du Sabbat.

Pourquoi as-tu choisi l’Hotel Chamarel ?
ÁR : Je ne suis pas un habitué des cafés, mais cet endroit est accueillant avec une décoration romantique, un havre d’harmonie qui favorise la syntonie des émotions. Dans cet espace j’ai participé, durant plusieurs années, à des réunions de poètes, certaines pleines de magie. Dans ces meubles fonctionnels qui servent aussi à décorer, les pores du bois sont également imprégnés de mes sensations poétiques, comme de celles des autres poètes. De même le patio fleuri, décor d’été, sous le clair de lune et les étoiles, a recueilli nos proclamations rimées.

Que fais-tu quand tu n’es pas au café ?
ÁR : Vivre la Vie, cela peut paraître simple, mais ce n’est pas ainsi. J’ai 67 ans et cela me permet d’avoir une vision du présent plus vital. Je fais de l’exercice, je lis, j’écoute tout type de musique, je réfléchis sur la société que laissera ma génération à ceux qui viennent et j’écris sans prétentions, seulement pour le plaisir. 

 

BIO

Je suis enfant du quartier des fourmis, une communauté de bidonvilles, dans les années d’après-guerre.  J’ai grandi conscient de ma place sociale. J’ai commencé à travailler à l’âge de 14 ans et cela réveilla ma conscience et depuis la clandestinité, à m’affronter à la cruelle dictature. Je suis père, ce qui a ouvert ma vision de la vie, explorant les sentiments et l’amour, au-delà du physique. 

Blog Entropy, Barbara Rieger, Alain Barbero, Isabella Feimer, Café Cinema, Berlin

Linn Penelope Micklitz | Café Kater, Leipzig

Photo : Alain Barbero | Texte : Linn Penelope Micklitz, Extrait du livre Abraum, schilfern | Trad. : Sylvie Barbero-Vibet

 

1740 : Sidonia von Hedwig Zäunemann vient de se réveiller et a déjà le sentiment de se trouver hors de son corps, comme si ce dernier n’avait plus rien à voir avec elle. Une fatigue, s’apparentant au deuil, s’accumule derrière son visage, de sorte que sa peau se bombe, se soulève et s’éloigne d’elle. Elle n’arrive à rien, seul l’acte d’écrire lui semble réconfortant. Elle erre le long de la table et saisit le papier à lettres.
Il est vrai que le simple fait de dire ou d’écrire ce sentiment de “ne pas pouvoir ressentir” le rend supportable. Il glisse pour ainsi dire des épaules vers le ventre, ce qui n’est certes pas plus agréable, bien au contraire, mais permet de moins s’affaisser et de limiter au visage le décollement de la peau.
Sidonia taille son crayon. À la vue des copeaux, elle manque de perdre brièvement son sang-froid. Que faire de ces restes ? Il lui semble que ces questions et bien d’autres, qui sont souvent venues la posséder ces derniers mois, ne viennent pas d’elle. Peu importe la manière dont elle considère les choses, elle ne trouve rien, rien qui l’émeuve, rien qui la touche. À l’exception des copeaux du crayon, qui la travaillent, sans qu’elle en comprenne la raison.

 


Interview de l’auteure

Que signifie la littérature pour toi ?
Linn Penelope Micklitz : Le travail, la simplicité, la vivacité.

Quelle signification les cafés ont-ils pour toi ?
LPM : Passer du temps seule avec des gens, manger sans devoir débarrasser après.

Pourquoi as-tu choisi le Café Kater ?
LPM : J’y ai toujours aimé la décoration, la nourriture et le café. Il y a un an, j’ai emménagé tout près et j’essaie maintenant d’y passer à l’occasion du temps.

Que fais-tu lorsque tu n’es pas au café ?
LPM : Je fais mon propre café

 

BIO

Née en 1992 dans la forêt de Thuringe, Linn Penelope Micklitz a étudié la philosophie et l’écriture littéraire à l’Institut littéraire allemand. Elle travaille comme critique littéraire et auteure à Leipzig.

Blog Entropy, Barbara Rieger, Alain Barbero, Katharina Bendixen, Museumscafé Goetz, Leipzig

Isabella Feimer | Café Cinema, Berlin

Photo : Alain Barbero | Texte : Isabella Feimer | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

Ciel, ici / ici, Delphine a pensée à Thomas

 

              Sombre, sombre est le ciel, tandis que le regard cherche la lumière, dehors, comme il avait trouvé, quelques minutes auparavant, les fleurs du printemps, les cupules de mars, les roses d’hiver, les crocus / passage furtif entrecoupe la lumière
Les affiches appartiennent pour moi à un temps révolu, couleur sépia, rouille, onduleux, les histoires, que j’aimerais voir dans ma réalité, la douleur évoquée que j’aimerais retrouver dans mon cœur, où il fait de plus en plus froid / le cœur a subi trop de fissures, mon cœur écrit en ces jours le mot nostalgie en lettres capitales
              Ces jours, gris foncé comme la poussière recouvrant les projecteurs au plafond, ils ne donnent presque plus de lumière, décrochés, comme la façade de la rue d’en face, telle qu’elle était avant, lors de la chute du mur / j’ai lu, seuls les tramways donnaient de la lumière, incarnaient un peu du soleil
Décroché le voile du temps, le temps est devenu autre, pas pour un monde meilleur, il s’effondre face au moment présent, comme à chaque rencontre / j’ai été parmi ceux qui fuyaient, ceux qui cherchaient des réponses – quand part le train, lequel et quelle voie -, et leur valise, celle qu’ils pouvaient porter.
En buvant mon café, ma conscience me fait avaler de travers, je tousse, me racle la gorge, crache le temps présent hors de moi, je m’embrouille dans des mots que je n’ose pas prononcer / j’ose imaginer comment c’était à l’époque où l’Est et l’Ouest se rencontraient ici, dans le canapé pelucheux, je lisais, embrassée, se rapprochait ce qu’un mur séparait jusqu’alors
             Gris, gris et sale est le temps, je m’en extirpe, du ciel, celui qui ici manque de bleu et d’espoir, je fais quelques pas, je lis sur le mur / ici, Delphine a pensée à Thomas
qui étaient ces gens qui, par amour, et si ce n’était pas par amour, par désir commun, qui étaient tous ces gens qui pensaient les uns aux autres, les uns avec les autres, ici, dans ces pièces sombres et obscures, ce que leur réservait l’avenir ?
Le mot avenir me glace jusqu’au plus profond de moi, je pense, qu’à force de voir du faux ciel, je ne vois plus cet avenir, ni pour d’autres dans la lumière / le regard continue toujours à chercher la lumière, à l’intérieur, à l’extérieur, comme auparavant il n’a juste rien trouvé.
Le néant décroché s’écrit de nos jours toujours plus en lettres capitales, s’écrit en lettres sombres, sombres, colore les roses d’hiver en noir

 

                


Interview de l’auteure

Que signifie la littérature pour toi ?
Isabella Feimer : La littérature est pour moi un lâcher-prise et un lien, un état de suspension ancré dans la terre ; une forme d’art qui, en tant que représentation du monde, peut le dessiner plus clairement qu’il ne l’est.

Que signifient les cafés pour toi ?
IF : Des lieux intermédiaires, de nombreuses voix, actuelles ou passées, qui peuvent s’associer à ma voix intérieure. Le présent et l’histoire se retrouvent dans les cafés, ainsi qu’un soupçon de quelque chose qui adviendra.

Pourquoi as-tu choisi le Café Cinema ?
IF : Dans l’atmosphère sombre et historique du Café Cinema, on retrouve ma passion pour le cinéma ; c’est un lieu magique qui ne s’intègre pas du tout dans son environnement et qui lui donne ainsi une certaine forme. Le Café Cinema est le théâtre de nombreuses histoires.

Que fais-tu lorsque tu n’es pas au café ?
IF : Me promener, bouger, respirer les fleurs du printemps, supporter le froid de l’hiver, etc. je suis souvent au cinéma, le cinéma est un lieu en opposition avec le café.

 

BIO

J’ai grandi dans une ville industrielle, ni tout à fait à la campagne, ni tout à fait en ville, j’ai eu très tôt envie de prendre le large, c’est comme ça quand on se trouve entre deux ; Escapisme artistique, d’abord le théâtre, puis la littérature, qui me voulait du bien (qu’elle soit ici remerciée).
Je suis une voyageuse, je voyage dans les textes, les actions et le fantastique, dans le monde ; je m’illustre moi-même, je laisse les images grandir par mes actes, et ma voix trouve sa place dans les images.

Blog Entropy, Barbara Rieger, Alain Barbero, Elisabeth R. Hager, Fräulein Wild, Berlin

Katharina Bendixen | Museumscafé Goetz, Leipzig

Photo : Alain Barbero | Texte : Katharina Bendixen | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet 

 

Café de rue

Autrefois, quand je ne voulais pas manger le rôti ou les légumes, mes parents transportaient notre table à manger dans la rue. C’était une grande table, en bois massif, avec une rallonge supplémentaire pour l’agrandir. Ensemble, mes parents portaient la table jusqu’en bas, tandis que je suivais avec mon assiette remplie et une chaise. Telle une serveuse, ma mère mettait la nappe sur le bois. Je devais prendre place et mes parents disparaissaient à l’étage dans l’appartement. Par les fenêtres ouvertes, j’entendais alors la voix du présentateur du journal télévisé, puis la douce musique du film. De temps en temps, ma mère ou mon père passait la tête par la fenêtre au-dessus de moi. Je serrais alors un peu plus fort la cuillère, mais ne mangeais toujours pas.
Parfois, des chiens passaient et, s’il faisait assez sombre, je leur lançais des croûtes de pain ou de la couenne de lard. Une chance. Mais le plus grand bonheur, c’était quand un autre enfant de la rue avait reçu la même punition que moi. Souvent, son assiette était remplie d’un plat que j’appréciais, et il en était de même avec mon repas. Avec un peu d’habileté, nous parvenions à échanger nos assiettes à travers la rue. Ces soirs-là, aucun de nous deux ne devait aller se coucher le ventre vide.

 


Interview de l’auteure

Que signifie la littérature pour toi ?
Katharina Bendixen : Beaucoup de choses – en quelques mots, peut-être un fort sentiment de communion que je ressens dans les moments de lecture ou (plus rarement) d’écriture.

Que signifient les cafés pour toi ?
KB :  Des lieux de rencontre où je peux également ressentir un lien fort avec la bonne personne au bon moment.

Pourquoi as-tu choisi le Museumscafé Goetz ?
KB : Parce qu’à Leipzig, c’est l’un des très rares lieux publics où la présence d’enfants ne fait pas lever les yeux au ciel. Parce qu’il se trouve à la distance parfaite de notre appartement pour un tour de vélo le dimanche après-midi. Parce qu’il y a des livres pour enfants, des jouets et plein de jeux. Parce que le café, les gâteaux et les biscuits sont délicieux. Et parce que personne ne trouve problématique que le jus de fruit se renverse.

Que fais-tu lorsque tu n’es pas au café ?
KB : Écrire, lire. Cuisiner, faire du pain, des gâteaux. Écouter des podcasts. Déposer les enfants quelque part ou aller les chercher. Aller en vélo avec les enfants jusqu’au lac et espérer qu’ils jouent à deux dans l’eau peu profonde quelques minutes et sans se disputer. Si ça ne marche pas (c’est-à-dire presque toujours), m’asseoir dans l’eau et jouer avec eux jusqu’à ce qu’on n’en puisse plus de rire.

 

BIO

Née en 1981 à Leipzig, Katharina Bendixen écrit des livres pour enfants (Loewe), adolescents (Mixtvision) et adultes (poetenladen). Ses textes ont reçu de nombreux prix et bourses, notamment le prix Kranichsteiner Literaturförderpreis (2014), la bourse Heinrich-Heine-Stipendium (2017) et une bourse de travail du Deutscher Literaturfonds (2020/21). Son dernier roman pour la jeunesse, Taras Augen (2022), a reçu le prix Lesekompass de la Foire du livre de Leipzig et le Klima-Buchtipp de l’Académie allemande de littérature pour l’enfance et la jeunesse. Sur le blog Other Writers Need to Concentrate (www.other-writers.de) elle s’engage pour une meilleure conciliation de l’écriture et du travail du care et pour une activité littéraire favorable aux familles. Elle est membre du conseil d’administration du Sächsischer Literaturrat e.V. et membre du PEN-Zentrum Deutschland.

 

Blog Entropy, Barbara Rieger, Alain Barbero, Petra Piuk, Café Europa, Wien, Vienne

Elisabeth R. Hager | Fräulein Wild, Berlin

Photo : Alain Barbero | Texte : Elisabeth R. Hager | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

Café Rainer ou

La naissance de l’auteur dans l’esprit du Melange

Depuis que j’ai de l’argent à dépenser, je suis attirée par les cafés. Mon premier, et toujours mon préféré, est le Café Rainer à St. Johann in Tirol. Un café sombre aux allures presque viennoises qui s’est miraculeusement égaré dans une station de ski du Tyrol. Tout comme je suis miraculeusement née moi – un être intellectuel aux longues antennes – dans une famille tyrolienne de paysans montagnards travailleurs. J’ai passé de nombreuses heures au Café Rainer lorsque j’étais lycéenne. Quand j’avais une heure de libre ou que j’en avais besoin d’une, je m’asseyais dans le coin le plus sombre. Je soufflais des ronds de fumée en direction des boiseries sombres, je buvais mon Melange et je rêvais du futur. Les après-midis, j’étais là avec des amis, je discutais, je riais ou je me disputais. Mais comme souvent dans la vie, le plus important se passait le soir. C’est à ce moment-là qu’il y avait une lecture, tous les mois plus ou moins régulièrement. De ma douzième à ma dix-huitième année, je n’ai pratiquement jamais manqué un événement. À l’époque, j’ai vu H. C. Artmann, Robert Schindel, Sabine Gruber, Robert Menasse, Evelyn Schlag. Ils m’apparaissaient comme des êtres sortis d’un rêve, des prémonitions de mon propre avenir, aux vagues contours. Aujourd’hui, à chaque fois que je suis à St. Johann avec ma famille, je vais au Café Rainer. Comme un saumon, je reviens sur le lieu de ma naissance spirituelle. Mon mari commande volontiers une omelette. Notre grande fille, la glace surprise. Et moi, je bois mon Melange et je me réjouis de voir à quel point le profane et le sacré s’entremêlent ici. Même s’il n’y a plus de lectures depuis longtemps, même si H. C. Artmann est mort depuis de nombreuses années et que presque personne ne fume plus sérieusement : le Café Rainer est toujours là. Et il est toujours plein d’avenir jusque sous les plafonds lambrissés.

 


Interview de l’auteure

Que signifie la littérature pour toi ?
Elisabeth R. Hager : C’est en écrivant et en lisant de la littérature que je me rapproche le plus de moi-même et du monde. La littérature est mon moyen de contact préféré, un lieu de consolation et de rencontre avec des amis encore inconnus…

Quelle importance les cafés ont-ils pour toi ?
ERH : Ils sont des îlots de repos, des lieux de camping, des lieux de travail, des plateaux de présentation et des zones de flirt. A chaque table, d’autres lois s’appliquent. Le privé et le public s’y côtoient. Le café est leur zone d’immersion, un lieu de rencontre. 

Pourquoi as-tu choisi le Fräulein Wild ?
ERH : Il y a l’endroit où je me trouve physiquement et – lorsque je suis seule – presque toujours un second lieu. Ce dernier, mon headspace, est habité par mes émotions. Fräulein Wild est un lieu où j’écris souvent. Les raisons sont profanes. Il se trouve à mi-chemin entre le jardin d’enfants de ma petite fille et notre maison. De plus, les fauteuils sont confortables, le café est bon et – I must admit – le nom me parle…

Que fais-tu lorsque tu n’es pas au café ?
ERH : Je respire, je danse, je lis 
joue avec les mots
avec les enfants 
ailleurs. 

 

BIO

Elisabeth R. Hager est écrivaine, artiste sonore et collaboratrice du département de pièces radiophoniques de Deutschlandfunk Kultur. Elle a reçu de nombreuses distinctions pour son roman Fünf Tage im Mai, notamment la bourse littéraire Hilde Zach de la ville d’Innsbruck en 2018. Elle vit avec sa famille entre Berlin, le Tyrol et la Nouvelle-Zélande. Son troisième roman Der tanzende Berg paraîtra en août 2022 aux éditions Klett-Cotta.

 

Blog Entropy, Barbara Rieger, Alain Barbero, Petra Piuk, Café Europa, Wien, Vienne

Petra Piuk | Café Europa, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Petra Piuk | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

et tu danses 

et tu danses de l’impro et du ballet et ta professeure de ballet rit encore et tu danses dans des halls d’usine abandonnés et sur les trams sur le Ring de Vienne tu danses le flamenco sur les tables tu crois que tu danses le flamenco tu danses avec les gens de Broadway sur la ligne 6 et le hip hop sur le podium et dans le film tu danses ivre sur la balustrade avant de basculer dans le vide tu danses sept étages sous terre tu danses avec des personnages de bd à la feria baila ! et tes pieds s’enfoncent dans le sable baila ! baila ! et tu danses dans des forêts éclairées au néon et des policiers vous encerclent parce que vous dansez le sirtaki devant l’opéra et sur la piste de danse tu te fais tabasser et sur la pelouse entre les studios de l’arsenal une amie te montre comment tourner sur la pointe des pieds sans perdre l’équilibre alors qu’elle le perd et tu essaies encore de ne pas perdre l’équilibre tu te zoomes du salon au studio de danse à new york tu te zoomes la nuit dans les clubs les corps en sueur serrés les uns contre les autres tu danses seule dans le café 

 


Interview de l’auteure

Que signifie la littérature pour toi ?
Petra Piuk : Un jeu avec la langue et la forme. Une expérience. Une confrontation avec la réalité. Un rire étouffé. Le doigt dans la plaie. En tout cas : pas un lieu paisible. 

Quelle importance les cafés ont-ils pour toi ?
PP : J’ai travaillé pendant des années dans des cafés, des bars ou des bars de cinémas. Et même s’il s’agissait toujours de petits boulots, j’adorais travailler derrière le bar. C’est peut-être pour cela que je préfère encore être assise au comptoir. J’y rencontre des gens, lis des journaux, j’écris, fais des projets.

Pourquoi as-tu choisi le Café Europa ?
PP : Autrefois, c’était mon deuxième salon. Je travaillais dans un club tout près et avant d’y aller j’allais à l’Europa, parfois aussi après pour le petit-déjeuner. Et j’y étais aussi les jours de repos. J’y ai écrit, appris, fait la fête. Aujourd’hui je suis bien moins souvent à l’Europa, mais il reste un de mes cafés préférés.

Que fais-tu lorsque tu n’es pas au café ?
PP : Écrire à la maison ou dans les trains. Ou danser.

 

BIO

Née en 1975 à Güssing (Autriche), Petra Piuk vit à Vienne. Elle écrit des romans, des textes courts, des livres pour enfants, des scénarios et du théâtre. Elle a reçu de nombreuses récompenses, dont le prix littéraire Wortmeldungen de la fondation Crespo en 2018. Elle a obtenu la bourse Gisela-Scherer en 2020. petrapiuk.at

 

 

Blog Entropy, Barbara Rieger, Alain Barbero, Cécile Calla, Lass uns Freunde bleiben, Berlin

Cécile Calla | Lass uns Freunde bleiben, Berlin

Photo : Alain Barbero | Texte : Cécile Calla

 

L’année zéro du langage

Les sirènes des bombardements retentissent en permanence. Dans mon sommeil, au réveil, au travail, pendant les pauses cafés, dans les transports et à toutes mes heures perdues. La fin de la guerre, la capitulation et l’immense mer de culpabilité me collent à la peau. Je ne suis jamais seule, il y a toujours ces fantômes, ce poids qui appuie sur mes poumons, qui me serre la gorge, qui me coupe l’appétit, qui retourne mes boyaux, qui me fait frissonner. J’essaye de décrypter l’alphabet originel, déconstruire une parole si familière, en détecter les non-dits, les messages codés ; j’apprends une langue étrangère particulièrement difficile et ça sans aucune aide. Ce bruit assourdissant d’explosions n’est rien d’autre que la destruction de cette logorrhée infernale, de ces mots anesthésiants, de ces formulations creuses, de ces blagues qui n’ont que le nom. Je jette tout dans le broyeur pour ne récupérer que de tout petits bouts, des atomes que je peux ensuite assembler à ma guise et en toute liberté sans suivre le mode d’emploi familial. C’est l’année zéro de mon langage. Je vais réapprendre à parler, lire et écrire. Je me laisserai guider par mon ventre, ma bouche et mon sexe. La trinité corporelle pour seule boussole. Les nerfs comme chemin. Les pulsations du coeur comme moteur.

 

 


Interview de l’auteure

Que signifie la littérature pour toi ?
Cécile Calla : Un espace pour penser et comprendre le monde présent et passé, un lieu de liberté, de découverte et de grande discipline. 

Que représentent pour toi les cafés ?
CC : Ce sont des lieux où je peux profiter de la solitude, des refuges pour écrire depuis que je suis mère. Là-bas je peux laisser mes pensées naviguer à leur guise. C’est souvent dans un café que j’arrive à débloquer un texte ou à trouver une bonne introduction.

Pourquoi as-tu choisi le « Lass uns Freunde Bleiben » ?
CC : Parce qu’il est sans prétention, si typiquement berlinois avec son mobilier qui semble troqué dans une brocante, qu’il est situé à un croisement de rue. J’aime y aller tôt le matin quand il y a beaucoup de passage, des gens d’horizons et d’origines différentes: les gens du quartier bien sûr, des amis et des connaissances que je croise, mais aussi quelques touristes ou des ouvriers des chantiers voisins qui viennent se chercher un grand café. 

Que fais-tu quand tu nes pas dans les cafés ?
CC : Je travaille dans mon bureau situé dans une maison d’artistes.

 

BIO

Née en 1977 à Paris, Cécile Calla vit à Berlin en tant que journaliste indépendante et autrice. Elle écrit pour des médias francophones et germanophones et a publié sa première nouvelle dans le magazine littéraire Stadtsprachen en septembre 2020. Elle a créé le blog féministe Medusablätter, qui apporte un nouveau regard sur les débats féministes, et produit avec Barbara Peveling le podcast franco-allemand Meduse parle (Medusa spricht). Elle est membre du Réseau des Autrices francophones de Berlin. Elle a également été correspondante du quotidien Le Monde (2007 – 2010) et rédactrice en chef du magazine franco-allemand ParisBerlin (2012 – 2015).






 

 

Blog Entropy, Barbara Rieger, Alain Barbero, Tanja Raich, Cafemima, Wien

Heinrich Steinfest | Eiscafé Fragola, Stuttgart

Photo : Alain Barbero | Texte : Heinrich Steinfest | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

Talleyrand disait du café qu’il devait être « chaud comme l’enfer, noir comme le diable, pur comme un ange, doux comme l’amour ». En effet, il fait toujours incroyablement chaud dans la plupart des cafés (même si ce n’est plus aussi infernal qu’à l’époque où des volutes de fumée de cigarette remplissaient les salles et où tous avaient un peu l’air d’avoir été peints par Renoir). Pour échapper à la chaleur, j’aime m’asseoir dans les « Schanigärten » des cafés –  rendant ainsi hommage à la peinture en plein air – où certains cafés sont encore noirs comme le diable et, je l’espère, purs comme un ange. Mais celui qui renonce au sucre… eh bien, l’amour peut aussi être amer et mélancolique, peut-être est-il alors encore un peu plus intense et profond, comme le fond d’un espresso bien serré.

 


Interview de l’auteur

Que signifie la littérature pour toi?
Heinrich Steinfest : inspirer la vie et expirer une histoire.

Quelle importance ont les cafés pour toi?
HS : Eh bien, cela a commencé à l’adolescence, car le café était clairement plus passionnant que l’école. Avant, c’étaient les grands cafés viennois qui m’attiraient, parce qu’on s’y sentait tellement important, mais entre-temps, je préfère de loin m’asseoir dans l’arrière-boutique d’une petite boulangerie ou d’un grand supermarché, dans un café de plage ou dans un glacier.

Pourquoi as-tu choisi l’ Eiscafé Fragola?
HS : Parce que je peux m’y asseoir en plein air. Une sorte de prolongement d’une pièce avec vue sur la place, l’église, le marché, les passants, les mangeurs de glace, les flâneurs, les gens pressés et ceux plus lents. J’y suis seul, mais parmi les gens.

Que fais-tu quand tu n’es pas au café?
HS : Alors j’écris chez moi et je me prépare moi-même mon café.

 

BIO

Viennois né en Australie qui, après un quart de siècle à Stuttgart, vit désormais dans l’Odenwald, près de Heidelberg, mais que Vienne attire toujours régulièrement comme un aimant. Et qui a consacré trente ans de sa vie, sur les soixante et un qu’il a vécus, à mettre au monde un tas de livres.

 

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Tanja Raich | Cafemima, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Tanja Raich, Extrait de Schwerer als das Licht, Éd. Blessing, 2022, parution le 24.8.22 | Trad. : Sylvie Barbero-Vibet

 

Je me souviens de ce jour-là, il y a bien longtemps déjà. Le matin, il pleuvait sous toutes les formes et dans toutes les couleurs. Des fleurs de naga et d’hibiscus, des orchidées et des amaryllis, une agitation multicolore volant entre les arbres et haut dans le ciel. Je n’avais jamais rien vu de plus beau. Le vent faisait tourbillonner les fleurs au-dessus de la cime des arbres, il les faisait tourbillonner sur toute l’île. Elles volaient dans l’air comme des papillons et retombaient éparpillées sur le sol. Une fleur d’hibiscus m’a frappée au visage, provoquant une douleur lancinante. Et soudain, tout fut nu. Pas de trace de bourgeons, pas de trace de l’après. Et lorsque les fleurs furent desséchées, il ne resta vraiment plus aucune couleur, plus aucun éclat. Tout était devenu terne, brun et gris.

 


Interview de l’auteure

Que signifie la littérature pour toi ?
Tanja Raich : La littérature est pour moi la porte d’entrée vers de nouveaux mondes, elle m’ouvre de nouvelles perspectives et expériences, me fait voyager, me fait pénétrer dans des mondes de pensées, me touche et me choque – dans le meilleur des cas, j’en ressors en ayant fait peau neuve : en tant que lectrice et écrivaine. 

Quelle importance les cafés ont-ils pour toi ?
TR : Je dois faire une distinction entre Vienne et l’Italie. En Italie, ce sont des lieux de rencontre, il s’agit davantage du café en tant que boisson, j’y passe rarement une journée. À Vienne, ils sont en fait un prolongement du salon, même si j’y écris rarement. J’aime le café comme lieu de première rencontre, lorsque je fais la connaissance d’auteurs avec lesquels je souhaite réaliser des livres, par exemple. Parfois, je m’y perds, et cela ne m’arrive qu’à Vienne : on se rencontre pour prendre un Melange et on ressort à deux heures du matin. Pourtant, on n’a pas du tout l’impression d’être à Vienne, peut-être quelque part dans un lieu sans espace ni temps.

Pourquoi as-tu choisi le Cafemima ?
TR : J’adore les marchés et Cafemima est un café de marché, coloré et chaotique. Mon appartement est assez similaire. Beaucoup de plantes et de choses colorées que j’ai ramenées de mes voyages. 

Que fais-tu lorsque tu n’es pas au café ?
TR : Je suis dehors, dans un parc, au Prater, ou je fais du vélo sur l’île du Danube.

 

BIO

Tanja Raich, née en 1986 à Meran (Italie), vit à Vienne en tant que lectrice et auteure. En 2015, elle a initié une nouvelle série littéraire chez Kremayr & Scheriau, axée sur les débuts en langue allemande, où elle a été directrice du programme jusqu’en 2020. Actuellement, elle dirige le programme de littérature et de livres pour enfants chez Leykam Verlag. Son premier roman Jesolo (Blessing 2019) a été nominé pour le prix du livre autrichien Debüt 2019 ainsi que pour le prix littéraire Alpha 2019. Son deuxième roman Schwerer als das Licht sera publié en août 2022 chez Blessing.
tanjaraich.at

 

Blog Entropy, Barbara Rieger, Alain Barbero, MathildeRamadier, Delphine de Stoutz, Würgeengel, Berlin

Delphine de Stoutz | Würgeengel, Berlin

Photo : Alain Barbero | Texte : Delphine de Stoutz

 

Vous prenez rendez-vous à la station de tram de la Warschauer Straße, exactement à équidistance de vos deux appartements. Aucune prise de territoire de l’un ou l’autre côté, l’installation perfide d’une ligne de démarcation ne laissant rien supposer, le début d’une guerre des positions qui s’annonce longue et éprouvante, tu te dis en raccrochant. 

Ton tram arrive quelques minutes avant le sien. La nuit est déjà bien installée malgré l’heure peu tardive. La brume hivernale s’engouffre sous le pont ferroviaire de cette gare d’échange. Pris dans le faisceau de lampadaires faiblards, ce voile blanc grise la nuit, lui donnant la texture d’un film de Fritz Lang. Les rails gémissent autour de toi leur plainte d’acier. Son tram arrive.   

Une ombre dans la brume. Chaussures noires, pantalons noirs, manteau noir, gants et bonnets noirs, seuls quelques centimètres de peau l’empêchent de se faire avaler par l’obscurité. L’homme en noir, donc, s’approche de toi. Son pas n’est ni hésitant ni pressé. Un pas égal, mesuré, n’indiquant rien, un pas qui ne sert à rien sinon à se rapprocher de toi. La prochaine étape sera décisive.   

Tu penses : Quelle distance va-t-il mettre entre nous deux ? 

Mais il déjoue tous tes pronostics. Il te prend dans ses bras. Du haut de ses deux mètres, il te serre puis te soulève. Tes pieds quittent le sol et ton cœur fait une embardée. Les horloges s’arrêtent et tu rembobines l’histoire, t’abandonnant, pour ce qui te semble être la première fois, au don d’une rencontre.

 


Interview de l’auteure

Que veut dire pour toi la littérature ?
Delphine de Stoutz : Aucune idée. Je suis toujours en train de chercher. Ou plutôt c’est quelque chose qui est là et il suffit de se baisser pour la ramasser. D’ailleurs ne dit-on pas prendre la parole ou en allemand, se saisir des mots ? Donc la littérature est partout et c’est un choix personnel de la laisser faire partie de nous. Faire littérature, c’est autre chose. On descend au fond de la mine sans savoir ce qu’on y trouvera sinon qu’on en sortira autre. Cela demande à chaque fois un courage insensé.  

Quelle importance les cafés ont-ils pour toi ?
DdS : Pendant longtemps, ils ont été le lieu de l’écriture, de l’observation, un contact important avec le monde pour ne pas se laisser manger tout entier par le langage. Avec le Corona et leur fermeture, il a fallu trouver d’autres lieux. J’ai par exemple écrit un roman de 300 pages entièrement dans mes toilettes, seule pièce qui ferme à clef chez moi. Cette situation m’a obligé de me poser enfin la question du lieu d’où j’écris et j’en ai ramené la certitude que l’écriture n’est pas un acte solitaire. Je n’écris plus dans les cafés, je n’en ai plus besoin. J’y vais pour vivre le partage et l’amitié avec à chaque fois l’espoir de l’aventure. 

Pourquoi as-tu choisi le Würgeengel, l’ange étranglé ?
DdS : Ce bar rappelle le Berlin des années folles. On se prend à être une autre ici. Des réminiscences de Marlene. L’aventure encore…

Que fais-tu lorsque tu n’es pas au café ?
DdS : Heureusement que je ne passe pas ma vie dans les bars ! Même s’ils ont toujours joué un rôle important dans ma vie : c’est dans un bar que j’ai rencontré mon mari,  ai décidé de vivre à Berlin. Hors de ces lieux de perdition, je travaille beaucoup, m’occupe de ma famille, lis énormément et quand je quitte la ville, je me perds dans les bois ou cultive mon jardin !

 

BIO

Autrice, Delphine de Stoutz pendule entre les langues, les pays et les écritures. Après un long détour par le théâtre, elle se consacre à la littérature et publie un premier roman, Adult(r), en 2018. Récipiendaire d’une bourse du CNL en 2019, elle achève l’écriture d’un second roman et d’un scénario de bande dessinée. Elle fonde en 2020 le Réseau des Autrices et développe l’année suivante le programme de résidence numériques, l’Hôtel des Autrices. Elle vit depuis 2008 à Berlin.