Archive d’étiquettes pour : Alain Barbero

Aiat Fayez | Das Möbel, Vienne [1/2]

Photo : Alain Barbero | Texte : Aiat Fayez

 

L’écrivain les aime toutes, ces serveuses du café Möbel, bien qu’il ne soit pas certain que la réciproque soit fondée. C’est un sujet dans lequel il puise sa mélancolie, et bien souvent, il se demande s’il n’y a pas la possibilité d’un autre lieu, d’un ailleurs. Au fond de lui, pourtant, il sait qu’il n’en est rien : qu’il est là, dans ce café, seul, devant des phrases manuscrites ou imprimées, et qu’il le restera toujours, dans tous les cafés qu’il fréquentera, qu’ils soient à Vienne, à Paris, à Budapest, à Zürich, Oxford ou Bâle, parce qu’il n’a pas trouvé d’autre voie pour être qu’un chemin solitaire, brumeux, et à bien des égards, silencieux.

Si l’écrivain cherche au fond de lui, ce qu’il fait de la même manière que d’autres respirent, à tel point que, souvent, il se perd, en lui-même tout autant que dans les rues de cette Vienne dans laquelle il vit pourtant depuis tant d’années, s’il cherche au fond de lui, il réalise qu’il ne peut pas se faire aimer, car l’amour qu’il porte aux autres, il s’applique à le faire échouer dans son accomplissement : il met des bâtons dans ses roues pour qu’il devienne impossible : ainsi prend-il plaisir, un plaisir qui joue avec le désespoir, de se sentir délaissé, esseulé, sans refuge : exilé. C’est plus qu’une condition de travail, car à bien des égards être écrivain est plus qu’un travail : c’est un mode d’être dans lequel rester à l’écart, vagabonder en marge, approcher le vide, est un principe de vie : se vouloir marginalisé, c’est : ne pas accepter la réalité. Non pas la nier, mais s’obliger à la voir par le prisme de l’art ; faire en sorte de la rehausser par l’art. Et entre l’amour pour les gens (imaginés) et la peur de ces gens (réels), il n’y a qu’un fil, sur lequel chancelle l’écrivain. Un jour, peut-être, il tombera. Analogue à tous les écrivains qui sont tombés avant lui et à tous ceux qui tomberont après lui. Aussi solitaires qu’ils demeurent, aussi taciturnes qu’ils soient, aussi étrangers qu’ils restent l’un vis-à-vis de l’autre, ce qui lie malgré eux les écrivains, les vrais, c’est une communauté de destins à travers le temps et l’espace : des amitiés stellaires, créées à travers la lecture des livres.
à suivre

 


BIO

Né en 1979, Aiat Fayez suit des études de philosophie à Paris. Il quitte la France en 2010, vit à Berlin, Oxford, puis Vienne, où il se consacre à l’écriture. Il a écrit à ce jour trois romans publiés aux éditions P.O.L et dix pièces de théâtre publiées aux éditions de L’Arche. Il a été finaliste du Grand Prix de littérature dramatique en 2016 et a reçu cette même année le Prix Scenic Youth. En 2018, le ministère de la Culture lui a décerné les insignes de chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres.

Romans : 2009 : Cycle des manières de mourir, éditions P.O.L, 2012 : Terre vaine, éditions P.O.L, 2014 : Un autre, éditions P.O.L
Pièces de théâtre : 2011 : Les Corps étrangers, L’Arche Éditeur, 2015 : La Baraque, L’Arche Éditeur, 2016 : De plus belles terres / Angleterre, Angleterre, L’Arche Éditeur, 2018 : Place des Minorités / Le Monologue de l’exil, L’Arche Éditeur. Chez L’Arche Agence : 2013 : Perceptions 2013 : Naissance d’un pays 2015 : L’Éveil du printemps 2016 : La Valise 2019 : Un pays dans le ciel 

Maud Bayat-Razagh | Brasserie Lola, Paris

Photo : Alain Barbero | Texte : Maud Bayat-Razagh | Traduction : Ava Bayat

 

L’ âme vagabonde d’une femme.
À ce stade, son nom aura été oublié, non seulement par ses amis et les autres, par elle-même aussi.
Portant dans son coeur une multitude de chagrins, elle se sent vide.
Alors pour voir et sentir Alborz, elle fait voler son âme loin de son corps, en voyage astral.
Où peut-elle se reinstaller, nulle part ? Si, sûrement y a-t-il un autre endroit !
Elle qui n’a pas eu l’occasion de boire le vin promis par Hâfez et Molana dans son pays ; elle découvre le goût délicieux de l’ivresse dans la ville de l’amour. Paris.
Elle se balade dans les ruelles que les amoureux et les poètes ont sillonnées, s’inspire du même parc de Saint-Cloud où Renoir et Cézanne voyaient la nature et les couleurs telles qu’elles étaient, vives.
Peu importe son nom, avant tout, elle est une femme. Une femme qui cherche nuance, force et énergie dans les chevelures et les paroles des autres. Elle mélange les couleurs et le langage trouvés par-ci par-là. Enfin, elle ne choisit qu’une couleur, un mot et un parfum . L’amour.

 

Original



Interview de l’auteure

Que signifie la littérature pour toi ?
Maud Bayat-Razagh : La découverte.

Que représentent les cafés pour toi ?
MB-R : Les cafés sont à la fois les lieux de rencontre et un lieu de refuge nous permettant de nous évader de nos problèmes quotidiens. Les cafés parisiens sont l’essence même du Paris poétique.

Pourquoi as-tu choisi la Brasserie Lola ?
MB-R : Un dimanche après midi je laisse Alain me guider dans le 15ème.

Que fais-tu quand tu n’es pas au café ?
MB-R : Lorsque je ne suis pas au café, je me trouve dans mon salon de coiffure touchant les cheveux de mes clients, mes peintures et mes livres ou au parc de Saint-Cloud touchant des troncs d’arbres.

 

BIO

Maud Bayat, née Azar Razagh en 1973 à Téhéran est une femme qui écrit des poèmes dans sa langue maternelle, le persan. Depuis sa jeunesse elle a un penchant pour l’art, privilégiant le dessin, la peinture et l’écriture. C’est à la suite de ses études universitaires à la Sorbonne qu’elle se mêla aux cercles d’artistes Parisiens. Son métier de coiffeuse l’inspira et elle utilise des cheveux pour créer son art, pour représenter le féminin. Eternelle insatisfaite, elle continue son exploration du domaine artistique en espérant trouver des réponses à ses questions existentielles.

Eva Woska-Nimmervoll | Café Central, Baden

Photo : Alain Barbero | Texte : Eva Woska-Nimmervoll | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

Je rentre dans le café.

Est-ce que je marche droit ? Je titube. Dans les grands miroirs, j’observe mon reflet, et les autres qui m’observent. Voir et être vu, voilà ce qui a toujours été important. On regarde instinctivement quand quelque chose bouge : en ce moment c’est moi, en train d’accrocher mon manteau. Mes cheveux sont en pagaille. J’ai l’air bizarre. Le rouge à lèvres était-il vraiment nécessaire ? Je ne mets jamais de maquillage d’habitude, ne connais pas d’astuce pour rendre ma bouche pulpeuse. Je ne suis pas une blogueuse de mode. J’écris des textes littéraires, et ça va sans porter de rouge à lèvres. Et avec des poils sous les bras. Sans maquillage et non épilée, je peux, et on peut me prendre plus au sérieux. C’est authentique. C’est pour cette raison que les jeunes écrivaines ne s’épilent pas. Les aisselles non rasées crient I don’t give a damn, se contredisent elles-mêmes. Mais c’est la manière dont elles se contredisent qui est cool. Avant, j’étais pareille, au cours des dernières années, plus lâche et épilée.

Je commande un café.

Et finalement, on enverrait au diable l’épilation juste parce que les jeunes le font aussi ? Ca pourrait m’être complètement égal, ce que pensent les autres. Ce n’est pas le cas. D’un autre côté, on n’est pas obligé de prendre position sur tout. Aujourd’hui comme ci, demain comme ça. Parfois du rouge à lèvres, juste parce que j’en ai envie. Dans tous les cas n’en pas faire des tonnes. Pourquoi j’aurais besoin d’applaudissements ? Suis-je coquette ou n’ai-je pas confiance en moi ? De toute évidence, je ne supporte pas d’être regardée avec dégoût voire mépris au lieu de susciter l’admiration. Le café donne un goût amer à mes doutes, l’eau aussi, ainsi que chaque pâtisserie.

Un peu plus tard, je repars en titubant à travers la pièce, avec mes lèvres maquillées de manière dilettante, et je me comporte comme si j’étais cool. Personne ne me regarde. Je transpire tellement je réfléchis. Seul celui qui ne se demande jamais s’il est cool, est vraiment cool.

Je rentre donc chez moi et j’écris.

 


Interview de l’auteure

Que signifie la littérature pour toi ?
Eva Woska-Nimmervoll : Lire et écrire des textes exigeants, qui me touchent et qui me procurent de nouvelles manières de penser. Quand j’écris, je fais connaissance avec des personnages, qui racontent quelque chose sur moi. La littérature et son commerce constituent également un monde parallèle. Empli de miroirs et de petites choses coquettes qui font également partie des aspects sans prétention. Les piles de livres servent d’estrades et de rampes de lancement vers quelque part.

Que représentent les cafés pour toi ?
EW-N : Dans une ville, ils sont synonymes de refuge et de havre de paix. Dans un village, c’est le lieu de rencontre et d’animation. Les cafés sont des lieux cultes avec des rituels mystiques, et pas seulement pour les habitués.

Pourquoi as-tu choisi le Café Central à Baden ?
EW-N : Parce qu’il est calme et intemporel. Il ne joue pas la carte du vieux, ni du moderne. On sait en quelle époque on est uniquement au sèche-mains électrique dans les toilettes et à l’assortiment branché de thés. Sinon on pourrait se croire 30 ans en arrière. A l’époque j’avais déjà l’impression qu’il me faisait penser au passé. La vue sur la colonne de la peste nous rappelle toujours d’être heureux, de vivre aujourd’hui et non à l’époque de la peste.

Que fais-tu quand tu n’es pas au café ?
EW-N : Je m’assoie sur mon balcon et je fais semblant d’être au café.

 

BIO

Née en 1969 à Mödling, Eva Woska-Nimmervoll a grandi à Baden en Basse-Autriche. Elle a fait des études de journalisme et des sciences de la communication à Vienne. Journaliste à son compte, elle enseigne également l’écriture. De temps à autre, elle chante également (compositrice, Folk irlandais). Elle est membre de l’Association des écrivaines de Graz (Grazer Autorinnen Autorenversammlung) et du BÖS (Association des enseignantes en pédagogie de l’écriture). Elle a gagné divers prix et bourses (en particulier le Förderpreis Harder Literaturpreis 2016). Elle a également publié dans des anthologies et revues littéraires. En 2019 est paru son premier roman Heinz und sein Herrl aux Editions Kremayr & Scheriau.

Peter Bosch | Café Steinbock, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Peter Bosch | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

L’homme dans le miroir
ne sait pas encore
que c’est la dernière fois
qu’il est ainsi debout,
adossé
au temps
achevant
parachevant
tournant la page.
Mais sera-t-il
encore à moi ?

 


Interview de l’auteur

Que signifie la littérature pour toi ?
Peter Bosch : Raconter des histoires qui se situent quelque part entre réalité et fiction. J’aime être sur le fil du rasoir où les deux se mélangent.

Que représentent les cafés pour toi ?
PB : Je ne suis pas un poète des cafés, j’écris le plus souvent chez moi. Dans les cafés, je fais souvent des blind dates.

Pourquoi as-tu choisi le café Steinbock ?
PB : Parce que j’ai eu des rendez-vous là-bas avec des femmes qui étaient capricornes (NdT : en allemand, le nom du café signifie notamment capricorne). Le café a cependant fermé il y a peu de temps. Je n’ai pas dû y aller assez souvent pour mes rendez-vous. Et maintenant cela va devenir plus difficile : je ne connais pas d’autres cafés à Vienne qui tirent leur nom d’un signe du zodiaque. Je vais sûrement finir célibataire.

Que fais-tu quand tu ne vas pas dans un café ?
PB : Des films, de la photo, procrastiner.

 

BIO

Né en 1957 à Vienne, c’est aussi là que Peter Bosch vit et travaille. Sédentaire. Enfant du miracle économique.
Travaille comme programmeur, auteur, photographe et réalisateur.
A publié divers romans et récits.
Expositions de photographies et producteur chez Okto.tv.

Jean-Philippe Domecq | La Maison Blanche, Paris

Photo : Alain Barbero |  Texte : Jean-Philippe Domecq

 

« A la table du café notre héros se tenait assis, eh oui ! Très absorbé par le spectacle de ce qui l’entourait – il n’y avait pourtant pas matière à éblouissement, ce n’était là que les petits riens qui constituent l’ordinaire (…). Il n’était plus que murs, clients, verres de bière. Il en était à constater qu’il y avait un verre sous ses yeux, et sa main à côté pareillement posée sur la table. Dans la bière, des bulles. Il leva les yeux : que de gens ! que de présences ! Il eut un beau sourire : c’était le sourire ému du savant à l’aube de la découverte, c’était l’effet de la totale nouveauté. (…) Il considérait la distance séparant les buveurs solitaires – ils étaient rares. Certains étaient saturés d’intentions, d’autres emmurés. Il suffisait d’écouter par en-dessous. (…) les gens qui parlaient entre eux, la conversation sympathique, (…) tout ce cheminement de bouche à oreille avec allers-retours plus ou moins rapides, le cortège des mains autour des paroles, les bustes qui ployaient, et surtout le colportage des regards à travers la salle. Sans vraiment les entendre – et sans doute grâce à cette surdité momentanée -, il percevait les sous-entendus des conversations comme autant de post-scriptums.

Et puis, voilà que son regard balança au gré de l’ampoule électrique qui tremblait légèrement au-dessus du comptoir. Elle lui parut fort belle, cette ampoule ventrue au bout du fil électrique torsadé. Il la voyait pendre, comme jamais ampoule n’avait pendu. (…) Plus tard, bien plus tard, on le retrouva en train de constater que le ciel était sombre : il était sur un trottoir et marchait. »

(extrait d’Une Scrupuleuse aventure, éditions Papyrus, Paris, 1980)

 


Interview de l’auteur

Que signifie la littérature pour vous ?
Jean-Philippe Domecq : L’ouverture, l’ouverture à tous les possibles de la vie.

Que représentent pour vous les cafés ?
JPD : J’y vais le moins possible, j’y vais pour les rendez-vous puisque c’est ainsi qu’on fait, mais je n’aime pas du tout, c’est s’imposer d’être « parmi ». 

Pourquoi avez-vous choisi « La Maison Blanche »  ?
JPD :  Ah, avec ce grand café c’est autre chose, tout autre chose ! Je m’y sens « chez moi », étrangement, alors que j’y ai débarqué une nuit par hasard, fort tard après minuit, et je me suis retrouvé au bar parmi la faune des noctambules qui viennent là par errance ou par habitude ou avant ou après le travail très matinal ou nocturne puisque ce grand café face à la Gare du Nord est ouvert toute la nuit. Des têtes et gens de tous horizons sociaux et continentaux mais, hormis les classiques escarmouches dont le personnel détourne la violence potentielle avec une science impromptue qui m’a fasciné, on se regarde ou se parle comme si on était en affinités dès qu’on passait le seuil d’entrée, avec une politesse tacite spontanée, par-delà toute différence. Pour moi c’est devenu le repère façon Nighthawks, célèbre tableau d’Edward Hopper, si bien que lorsque j’y convie quelqu’un, je dis « allons à Nighthawks !… ». J’aime ce décor resté années soixante, sa lumière acide de tableaux milieu du XXème siècle, le cuir et le bois sur le dallage. Et parmi tous il y a Julien : un des maîtres-serveurs qui m’a fait l’immense et joyeux honneur de venir me serrer la main en me voyant débouler avec des amis alors que je n’étais plus venu depuis deux ans : « Longtemps qu’on ne vous avait vu », me dit-il d’un air malicieux et si sympathique ; immense honneur pour moi car j’avais remarqué comment cet homme d’expérience réglait tous les cas avec un tact psychologique dont je m’étais dit toute la profondeur d’expérience humaine, et qui en fit pour moi le Garçon de Café Absolu, celui qui démentait la méditation philosophique de Sartre sur le garçon de café. Julien est de ces êtres qu’on souhaite à l’humanité ; j’en ai eu ample confirmation puisque, depuis, nous dialoguons régulièrement quand il passe encore en cette fin de sa carrière, et tout va de soi entre nous, chose rarissime entre humains quand on n’a même pas à suggérer le sous-entendu de ce qu’on se dit. Chapeau, Julien, grâce à vous j’ai motif de parier sur l’humain.

Que faîtes-vous quand vous n’êtes pas dans les cafés ?
JPD : Je respire. Sans sortir. Sortir, sortir, toujours sortir… est-ce qu’on a demandé à naître ? Non. Bon alors, qu’on ne nous en demande pas plus.

 

BIO

Jean-Philippe Domecq est romancier, auteur de deux cycles romanesques, « Les Ruses de la vie » et « La Vis et le Sablier » (Métaphysique Fiction), dont Cette Rue (Prix du roman de la Société des Gens de Lettres 2007, et Le Jour où le ciel s’en va, Prix Tortoni 2011) ; et essayiste, auteur de Robespierre, derniers temps (Prix du Salon du Livre 1984), il a composé une Comédie de la Critique sur l’art contemporain (réédition en 2015) et sur la réception littéraire (Qui a peur de la littérature?, réédité en 2002, Prix international de la Critique du Pen-Club). Parmi ses derniers titres parus : Le Livre des jouissances, Qu’est-ce que la Métaphysique Fiction?, La Monnaie du temps. Pour la quarantaine d’ouvrages parus à ce jour, voir: www.leblogdedomecq.blogspot.com

Harald Jöllinger | Café Votiv, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Harald Jöllinger | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

Les cafés, je sais pas trop. En fait, je n’aime pas les cafés. Le café oui, ça j’aime bien. Sans lui, je ne mettrais pas un pied dehors. Mais un seul par jour. Et uniquement le matin. Pas plus. Sinon je n’arrive pas à dormir.
Je n’ai rien contre les maisons non plus. J’habite aussi dans une maison. En fait non, dans un appartement. Qui est dans une maison. Mais les cafés…
Les cafés, je les fréquente … depuis que j’ai commencé à écrire. Je ne sais pas pourquoi. L’écriture, c’est une activité assez fade. Mais peut-être est-ce à cause du mug offert par ma grand-mère. Dessus on pouvait lire : « Mon dieu, que serait la vie sans café ? » C’est ainsi que tout a commencé entre le café et moi. Comme entre la poésie et moi. Je voulais devenir poète et je me suis donc lancé dans l’écriture. Mais peut-être que je n’ai commencé à griffonner que plus tard. Comme m’a dit un jour mon oncle : « Dans ta tête, ça ne tourne pas rond , t’es qu’un gamin, un p’tit con ». Il n’est plus de ce monde, l’oncle. Mais c’est là que j’ai commencé à écrire des poèmes. Avec des rimes et tout ça. Puis des limericks. Puis des nouvelles.
Et que font ces imbéciles de revues littéraires à qui j’ai envoyé mes textes ? Au lieu de dire : « C’est nul, on ne prend pas ça », ils publient. Sans blague. Car depuis, je suis un auteur. Et chaque auteur a son café dans lequel il écrit. Plus personne n’écrit à la maison à son bureau. Non, on écrit dans les cafés. C’est comme ça. C’est un peu cliché et je n’aime pas les clichés. Mais il faut quand même s’y tenir.
Je suis donc souvent dans un café, sans but, et j’écris quelque chose. Mais cela ne me procure aucun plaisir. Ni celui d’écrire, ni celui d’être dans un café.

 


Interview de l’auteur

Que signifie la littérature pour toi ?
Harald Jöllinger : Comme on dit chez nous. La littérature, … la littérature. Elle ne m’est pas indifférente.

Que représentent les cafés pour toi ?
HJ : Peu. Si cela ne tenait qu’à moi, on pourrait transformer tous les cafés en Heuriger ou bistrots. On pourrait éventuellement en laisser un ouvert, par nostalgie. Pour que les Japonais aient quelque chose à visiter. Et le Café Votiv doit rester. C’est le seul qui ne nous ait pas chassé avec nos sessions d’écriture.

Pourquoi as tu choisi le café Votiv ?
HJ : Et bien justement à cause de nos sessions d’écriture. Une fois par mois, on se réunit là-bas. Niveau très élevé. Beaucoup aimeraient en faire partie, mais nous ne prenons pas de nouveaux écrivaillons (ou écrivaillonnes) pour le moment.

Que fais-tu quand tu n’es pas au café ?
HJ : Je m’assieds sur un banc dans un parc et je regarde autour de moi. Ca ne se fait plus. Manger, boire, râler, bougonner, ça les Viennois savent faire. Mais juste rester assis et regarder en l’air… C’est en voie de disparition. Parce que tout le monde ne fait que regarder son portable. Même dans un café. Regarder plus en l’air, ce serait vraiment important.

 

BIO

Né en 1973 à Mödling, Harald Jöllinger vit à Maira Enzersdorf. Il aime l’absurde, la poésie empreinte d’humour noir et la prose courte. Il a suivi les cours de la Celler Schule en 2007 et a remporté le Prix Irseer Pegasus en 2013. En 2016 , il suit le cursus de la Leondinger Akademie für Literatur. Au printemps 2019 est paru aux éditions Kremayr & Scheriau « Marillen und Sauerkraut ».

Sorour Kasmaï | Lili et Riton, Paris

Photo : Alain Barbero | Texte : Sorour Kasmaï

J’aime la ville comme d’autres aimeraient la campagne. « Cet océan de pierres est tout autant Nature que la nature, la montagne ou la mer, et l’homme qui y naît est en quelque sorte imaginé par elle »*. J’aime la ville, son imaginaire, ses histoires, sa poétique. L’histoire de ceux qui l’ont habitée, l’ont façonnée, l’ont rêvée.

Pour traquer l’imaginaire qui se cache derrière ses pierres, je déambule dans ses rues. La ville se compose de lieux et d’objets qui ont accumulé tant de présences, tant de dedans ou dehors collectifs. Lors de mes déambulations, la ville et ses habitants me dévoilent peu à peu leurs rêveries.

Il existe des oasis dans la ville où le temps est suspendu. Des lieux ambigus, mi ville mi village, situés à la limite d’aujourd’hui et d’hier, de la littérature et de l’actualité… De cette ambiguïté naît la poésie, surgit le rêve.

Un de ces lieux d’ambiguïté est une petite place ombragée au croisement de plusieurs époques, où le temps présent se mêle au passé parfois lointain. À deux pas de la frénésie de la gare, un petit village au pied d’une tour moderne. Avec d’un côté vue sur la rue de la Gaîté et ses guinguettes du XIXème s., devenues théâtres au XXème, et de l’autre, la Rue d’Odessa et ses crêperies bretonnes. Autrefois malfamé, haut lieu de la prostitution et du crime, le boulevard Edgar Quinet longe toujours le mur du vieux cimetière où Baudelaire est inhumé, à deux pas du Montparnasse des années 20 et de ses artistes peintres. Rue Delambre, Gauguin et Breton étaient logés à la même enseigne, mais à des époques différentes. Hemingway et sa Lost Génération se retrouvaient juste en face, au Dingo Bar, aujourd’hui disparu. Sartre et Malraux hantent toujours les parages.

Sur cette place, le rythme effréné de la grande métropole se ralentit, vous donnant envie de vous arrêter un instant, de vous poser à la table d’une terrasse, ou bien par mauvais temps, vous réfugier au fond de la salle d’un de ses innombrables bistrots. Lili et Riton en est le plus petit de tous.

Un lieu lui aussi ambigu, mi bistrot mi café. Bistrot car on vous y accueille en habituée du lieu, vous serrant chaleureusement la main et demandant de vos nouvelles. Café car aussitôt après les salamalecs, on vous rend votre liberté de rêver en solitaire. Vous choisissez alors votre table. Certaines en sont ornées de plaques métalliques, avec un nom quelconque gravé dessus. Probablement celui d’un autre habitué, fidèle comme vous et qui ne s’y rend plus, ayant pris désormais ses quartiers au cimetière, de l’autre côté du boulevard. Mais les tables et les chaises, témoins muets d’autres vies et d’autres destins, sont toujours là, elles. Mais quels destins ? Quelles sont les histoires, les paroles intimes qui y ont été dites ou racontées ? Qui sont les Lili et les Riton qui s’y sont rencontrés ou quittés ?

Je note sur mon petit carnet des bribes de conversation que je crois y entendre. Je regarde les gens passer d’un pas hésitant, dehors, perdus dans leurs pensées. Où vont-ils ? D’où ils viennent ? J’entends un rire de femme éclater dans mon dos. Je ne me retourne pas, libre d’imaginer le visage que je souhaite. De quoi rit-elle si amèrement ? Quel âge a-t-elle ? Quelle illusion vient-elle de perdre à jamais? J’écoute quelques secondes, mais je ne discerne plus rien. Je me retourne. Il n’y a personne. Alors, je l’invite à exister. J’écris un mot, une phrase… J’écris la femme qui un jour était assise à la table du fond…

*Pierre Sansot dans la Poétique de la Ville

 


BIO

Romancière, traductrice, éditrice, Sorour Kasmaï est née à Téhéran dans une famille francophone. Elle fait ses études primaires et secondaires au Lycée franco-iranien Razi. En 1983, suite à la révolution iranienne, elle quitte clandestinement son pays. Arrivée à Paris, elle étudie la langue et la littérature russes. En 1987, grâce à l’obtention d’une bourse universitaire, elle se rend à Moscou et étudie le théâtre russe. Passionnée de théâtre, elle devient, quelques années plus tard, traductrice et interprète de russe sur les plateaux de théâtre et à l’Opéra de Paris.

Parallèlement, elle travaille sur la littérature orale des Tadjiks et publie une série de CD de musiques populaires et traditionnelles du Tadjikistan, ainsi que des œuvres de musique populaires et traditionnelles iraniennes.

En 2002, son premier roman, Le cimetière de verre, paraît aux éditions Actes Sud. Elle a également fondé et dirige chez le même éditeur, la collection « Horizons persans » dédiée aux littératures iranienne et afghane. Depuis, elle a publié La Vallée des Aigles, l’autobiographie d’une fuite (prix Adelf 2007) et Un jour avant la fin du monde (Robert Laffont). Elle a également signé la traduction de plusieurs romans et nouvelles de ses compatriotes dont Mon oncle Napoléon d’Iraj Pezechkzad. Sorour Kasmaï écrit et publie ses romans en persan et en français.

Depuis septembre 2016, elle est membre du jury du Prix du Jeune Ecrivain de langue française.

 

Marco Amoroso | Lettere Caffè, Rome

Photo : Alain Barbero  | Texte : Marco Amoroso | Traduction : Marco Amoroso & Arnaud Wadoux

 

Je te laisserai les mots

La première fois que je t’ai vu, j’ai pensé que j’aurai du te rencontrer bien avant. 
Ou peut-être jamais.
Nous avons dormi ensemble, il faisait froid. Ta chambre était remplie de plantes.
Un parfum de menthe. Gainsbourg. 
Un souvenir de toi quand tu étais enfant. 
Moi, toi et la ville endormie. 
L’océan pas très loin. 
Le soleil et le café que nous offre le jour.
Les mots qui, souvent, ont un destin meilleur que celui de leurs auteurs.

 

Original

Ti lascerò le parole

La prima volta che ti ho vista ho pensato che avrei dovuto incontrarti prima.
O forse mai.
Abbiamo dormito insieme e faceva freddo, e la tua stanza era piena di piante.
Un profumo di menta. Gainsbourg.
Un ricordo di quando eri piccola.
Io te e la città  che dorme. 
L’oceano non troppo lontano.
Il sole e il caffè che ci regalano il giorno.
Le parole, che spesso hanno un destino migliore di chi le scrive.

 


Interview de l’auteur

Que signifie la littérature pour toi ?
Marco Amoroso : Dans mon monde, la littérature est tout. C’est la vérité, le mensonge, la fiction, le rêve, c’est un pont entre la réalité et les mille vies que nous vivons.

Que représentent pour toi les cafés ?
MA : Le moment du café et la place du bistrot, d’une certaine manière, sont synonymes de littérature. Toujours observer, c’est aussi trouver des mots, être commandé par une image, se sentir libre et en même temps caché. Tout cela se passe avant et après le café.

Pourquoi as-tu choisi le ” Lettere Caffè ” ?
MA : J’ai choisi Lettere Caffè, car c’est un endroit où il est encore possible de respirer l’odeur d’une Rome qui n’existe plus. Et où vous pouvez rencontrer des gens fantastiques.

 

BIO

Marco Amoroso est né à Rome. Il est impliqué dans divers projets culturels entre l’Italie et la France. Il vit actuellement à Bordeaux, en Nouvelle-Aquitaine.

Giovanni Del Franco | Le Bouquet de Grenelle, Paris

Séance photo pour Alain. J’ai peur qu’il ne soit pas satisfait. Je cherche à échapper au regard noir de l’objectif. Je laisse aller mes pensées. Elles sont captées par l’esprit d’une femme. Disparue il y a quarante-deux ans, en Italie, dans le pays de mon père. Une femme dont le destin me fascine. Sur laquelle je tente d’écrire. Elle me mène des hauteurs fantasmées de la Sierra Madre mexicaine aux paysages familiers de l’Ombrie. J’aurais pu la connaître : entendre sa voix, regarder ses gestes, respirer ses silences. Elle est partie trop tôt. Aussi, est-ce par de rares clichés que je tente de la rejoindre : des photos d’elles, dont une à vingt ans. Sa beauté grave y est empreinte de mélancolie. Je cherche sur ses traits les fils de son histoire. Mais Alain attend. Il faut que je revienne.

 


Interview de l’auteur

Que signifie la littérature pour toi ?
Giovanni Del Franco : Avant tout l’évasion. J’y recherche des univers m’éloignant du quotidien de notre société formatée. Et la mémoire. La transmission de la mémoire. J’écris beaucoup sur les Amérindiens. Quoi de plus éloigné de nous qu’un Apache du dix-neuvième siècle ? Je lis des ouvrages sur le même sujet, ou sur des thèmes historiques (la mémoire…). Je me suis découvert assez récemment un intérêt pour le polar, particulièrement nordique (pour le dépaysement sans doute).

Que représentent pour toi les cafés ? 
GDF : Une pause. Un moment où le temps cesse de courir. Et un reflet du monde dans lequel nous vivons. De nombreuses couches sociologiques s’y côtoient.
Je ne m’y assois jamais quand je suis seul, mais, au comptoir, les gens se parlent. De choses insignifiantes le plus souvent. En tous cas, ils se parlent. Dans un système hyperconnecté, les lieux où cela demeure possible deviennent rares.

Pourquoi as-tu choisi le « Le Bouquet de Grenelle » ?
GDF : Tout simplement, parce que c’est celui où je me rends le plus régulièrement et ce depuis une vingtaine d’années. Près d’un de mes lieux de travail, j’y prenais régulièrement un “petit noir” avant le début de ma journée. C’est devenu plus occasionnel, mais j’y étais encore aujourd’hui pour un verre en terrasse avec une cousine venue me rendre visite.

Que fais-tu quand tu n’es pas dans les cafés ?
GDF : J’écris notamment. Je n’arrive à écrire que chez moi, au calme, dans le silence. J’essaie de publier (et ce n’est pas une sinécure que de faire sa promotion). J’aime le cinéma, les expos, et les voyages (je fais le tour des capitales d’Europe). Et, pour “gagner ma vie” (l’écriture “ça paye pas”), j’écoute des histoires. Je suis médecin, avec une orientation “psy” très nette.

 

BIO

Né en 1966 à Argenteuil, une double passion pour l’écriture et les Amérindiens accompagne Giovanni-Michel Del Franco depuis son enfance. Son aventure éditoriale avec Le Chant des Hommes débute en 2000 par trois ouvrages consacrés à l’Italie. Des thèmes variés suivent, avec pour fil conducteur la mémoire : Léo Ferré, les loups, l’origine des Évangiles, Charles VI (le “roi fou”). Et, bien sûr, les Amérindiens, en particulier les Apaches. Fasciné par le destin de Bui, jeune apache capturée en 1932 dans la Sierra Madre mexicaine et morte en Italie, il lui consacre une biographie, puis son premier roman en 2021.

 

Niklas L. Niskate | Die Moserei, Scharnstein

Photo : Alain Barbero | Texte : Niklas L. Niskate | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

SERKALO
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dorénavant tu peux parler je
est ils le sont. haut et fort. empreintes connues en pensées

toujours là. dans la pluie devant la grange en flamme
un été abandonné qu’il a créé
lorsque vous vous aimiez, vous nous souhaitiez présents

vent. la mémoire se perd dans la guerre
à la recherche d’un médecin. perdu dans le saut temporel
regard en arrière le silence soudain devient pour tous une torture

il se confronte à l’écriture mais elle n’est pas lue
ciel public pour la possession des yeux
un monde empli de miroirs dans lequel personne ne voit
comme nous tombions                       alors nous ne tombions pas

nudité. le changement brûle
sur la peau humide. n’ai jamais pu te quitter
le regard vers toi. constamment vide

 


Interview de l’auteur

Que signifie la littérature pour toi ?
Niklas L. Niskate : La langue est un élément fondamental de notre réalité. Nous traduisons nos impressions sensorielles avec la langue et les négocions en communication avec le monde extérieur. Chaque système (politique), chaque représentation du monde est décrite par la langue. C’est la raison pour laquelle la langue est si importante. La littérature, et en particulier la poésie, permet d’analyser et de questionner des champs de la langue. Ainsi la littérature est pour moi un travail sociétal fondamental (en citant librement Monika Rinck). La poésie est même l’un des derniers espaces dans lequel la pensée ; c’est à dire la liberté d’expression, est à mon avis possible.

Que représentent les cafés pour toi ?
NLN : Les cafés sont pour moi des lieux de contemplation et de calme. À la maison, je me laisse très vite distraire par les obligations et diverses tâches. Au café, je n’ai besoin de me préoccuper de rien, à part de payer l’addition. Le brouhaha des voix des clients me procure une sorte de calme. Un tapis chaud de mots. Beaucoup de mes textes sont nés dans un café.

Pourquoi as-tu choisi le café Die Moserei ?
NLN : Die Moserei est en soi un endroit artistique et particulier. En effet, en plus d’être le lieu de nombreux événements culturels et expositions, c’est une construction de containers ingénieuse qui est elle-même une œuvre d’art. Le café a une atmosphère particulière qui favorise le travail artistique. J’y suis très souvent lorsqu’il fait beau, car je peux me mettre à mon endroit préféré sur le toit du container et regarder les montagnes, tout en dégustant un délicieux café et en écrivant quelques lignes.

Que fais-tu quand tu ne vas pas dans un café ?
NLN : C’est une question drôle que je ne veux pas gâcher avec une réponse.

BIO

Niklas L. Niskate, né en 1981 à Halle (Saale, Allemagne), Niklas L. Niskate a grandi à Berne (Suisse), en Rhénanie du Nord-Westphalie et à Berlin. Il vit actuellement par hasard en Haute-Autriche et écrit en tant que lapin poète. Il a publié divers textes dans des anthologies et revues, dernièrement dans Still Magazine 6, Lichtungen 151 et Melange der Poesie.
Collections de poèmes : „Privatnachrichten an Lem“, Köln 2015 (parasitenpresse) et “Entwicklung der Knoten”, Salzburg 2018 (Edition mosaik)