Archive d’étiquettes pour : Café

Claudia Kiefer | Café Sehnsucht, Cologne

Photo : Alain Barbero | Texte : Claudia Kiefer | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet 

 

Entre ici et là, dans le train de Heidelberg à Cologne, je flotte librement, les elfes sont assis dans les parois des falaises de schiste. J’ai failli rater la Lorelei à force de rêver, je m’étais fiée à l’annonce dans le train, mais ce n’est pas la mer ici.
Cologne sur le Rhin, un quart de jour plus tard. Là, un chemin : passer devant une tour de télévision, des terrains de football, des murs de béton, des parcs. S’arrêter près d’un étang aux nénuphars.
La ville se souvient de moi, certainement. Des autocollants sont collés sur les repères. Reconnaissance faciale. Empreintes de pas sur le pont. Et voilà… la vie !
Sous la canopée des arbres géants, je respire. Le soleil dessine des figures de feuilles sur le bras nu. Des tatouages. Je ferme les yeux. KOMOREBI*.
Birds don’t fly, à nouveau la chanson me trotte dans la tête, je chante I lost my shoes, I’m moving still*.
Soudain, devant moi, un arbre, cette beauté entre les maisons, je marche sur un tapis jaune de pollen. 
Puis la localisation : Körnerstraße, Cologne-Ehrenfeld, en août. 
Je suis là. Café Sehnsucht. Quelqu’un m’attend à une table près du vieux poêle, des carreaux à motifs bleus et blancs ornent le mur, une hélice est accrochée au plafond, les murs se présentent en bleu antique, une oie ressort amusée du cadre photo. Je pense à mes grands-parents et parle d’autrefois. 
La gentille dame me demande ce que je souhaite. C’est comme si elle m’avait attendue. Elle porte sur son plateau légèreté et gentillesse. 1 x sourire. 2 x sourire. Écho. Une nature morte se dessine devant mes yeux, composée de fleurs fraîches et de café odorant.


*KOMOREBI : Le mot japonais Komorebi décrit la lumière du soleil qui dessine des ombres dansantes à travers le feuillage des arbres.
*
Référence aux paroles de la chanson : Birds don’t fly de l’interprète Sweet Sweet Moon. 

 


Interview de l’auteure

Que peut la littérature ?
Claudia Kiefer : Elle peut tout faire si elle le veut, sauver des gens, voire le monde, te rendre heureux, te serrer dans ses bras, t’inviter à prendre le thé. Mais elle peut tout aussi bien te mettre à la porte ou t’ébranler, te laisser sous la pluie ou prendre en charge tes rêves. 
Mais surtout, elle peut jouer le rôle de médiatrice, de traductrice, elle peut aider à mieux se comprendre.

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
CK : Un café est pour moi le premier point de contact partout dans le monde, je connais cet endroit comme étant chaleureux et ouvert, un lieu de démocratie et de discussion, d’inspiration aussi, un lieu d’histoires et de rencontres, un lieu qui devrait être accessible à tous.
Un café correspond aussi pour moi à des souvenirs, des histoires familiales, mes grands-parents et arrière-grands-parents avaient une auberge de campagne près de Berlin.

Où te sens-tu chez toi ?
CK : C’est difficile à dire en une phrase, j’écrirai peut-être un jour un livre à ce sujet. La seule chose qui me vient spontanément à l’esprit est la chanson Home is where your heart is*

*Référence aux paroles de la chanson : Home is where my heart is des interprètes d’Elvis Presley

 

BIO

Claudia Kiefer a grandi à Stendal et vit à Heidelberg depuis 2002. Elle est auteure et éditrice indépendante, curatrice, employée chez Springer Nature depuis 2005. Elle écrit en allemand et en anglais. 
Son premier recueil de poèmes, Gezeiten, est paru en 2023 chez Prosodia – maison d’édition pour la musique et la littérature. Elle a également été publiée dans des anthologies chez Wunderhorn et Mikrotext.

Barbara Kadletz | Café Kosmos, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Barbara Kadletz | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

On est toujours à la recherche du café idéal. Dans mon cas, privilège des écrivaines à temps partiel, c’est allé si loin que j’ai créé le mien de toute pièce dans un roman. Il s’appelle Im Ruin et j’espère ne jamais le trouver, car il serait triste et ennuyeux que ma quête s’achève un jour… 
Les cafés accompagnent les étapes de la vie. Autrefois, j’aimais aller dans des endroits où le café avait un goût médicinal avec des serveurs désagréables. Par la suite, je me suis cachée dans les dépendances de chaînes de boulangeries, bien à l’abri dans le cocon de leur conformité anonyme. 
Le café Kosmos est un fait du hasard, sans prévenir il est soudain apparu. Deux fois par jour, je passais devant à vélo. Une fois, le matin, très rapidement. Et une fois, le soir, très lentement. Un jour, je suis descendue de vélo et j’ai fait une escale, qui durera le temps d’une étape de ma vie.

 


Interview de l’auteure

Que peut la littérature ? 
Barbara Kadletz : Faire le point, me donner des ailes, m’euphoriser, m’énerver, me stresser, me paralyser & payer mon loyer.

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
BK : Possibilité d’évasion & lieu de retraite, cachette & antidote au quotidien. Un abri pour toutes les situations de la vie.

Où te sens-tu chez toi ?
BK : Dans un café. Sous l’eau. Dans les souvenirs. Dans les textes. Dans la musique. Sur les pistes de danse. Dans les films. Dans la culture pop. Dans les bons moments. En été.

 

BIO

Barbara Kadletz vit et travaille comme libraire et auteure indépendante à Vienne. Quand elle n’est pas en train de vendre les livres des autres, elle écrit ses propres textes ou parle de littérature – en tant que modératrice, critique ou dans son blog hebdomadaire Das Buch zum Wochenende/BZW. 2e place au concours littéraire FM4 Wortlaut 2018, secrétaire de district à Vienne Mariahilf 2021. 
Publications : les romans Im Ruin et Schattenkühle (Edition Atelier, 2024), ainsi que deux pièces de théâtre avec Ursula Knoll Falten im Anthropozän (Schultz & Schirm, 2022) et Eurostar (Kaiser Verlag, 2020).

Brigitta Höpler | Café Am Heumarkt, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Brigitta Höpler | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet  

 

Les secousses avant le silence

La vitrine réfrigérée, emblème du café nourri au courant électrique.
Un bruit de fond bourdonnant. Les secousses avant le silence.
Parfois, à midi, il y a de la soupe aux œufs.
Et des saucisses d’Augsbourg avec des pommes de terre sautées.
Plat préféré de mon enfance.
Servies sur des tables en marbre ébréchées.
Ici, je suis brièvement hors jeu.
Les fissures dans les banquettes en simili cuir rouge sont 
recouvertes de bandes Gaffa.
Trois miroirs encadrés d’or se renvoient des images.
Sur les portemanteaux, toutes sortes de choses oubliées.
Un papier peint défraîchi, des feuilles grimpantes,
des touches d’architecture romantique.
Et entre les deux, un petit trou noir. 

 


Interview de l’auteure

Que peut la littérature ? 
Brigitta Höpler : Élargir les mondes.

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
BH : Des lieux qui font partie de ma vie depuis que j’ai 15 ans.
Je pourrais raconter ma biographie à travers les cafés. 

Où te sens-tu chez toi ?
BH : Dans les villes, à Vienne.
Au bord des rivières, du Danube. 
Dans les mots, dans mes textes.

 

BIO

Née en 1966, Brigitta Höpler vit à Vienne en tant qu’auteure, historienne de l’art et pédagogue de l’écriture.
Elle est chargée de cours au sein de l’association professionnelle autrichienne des pédagogues de l’écriture (BÖS). Elle organise des expositions, des lectures et différents séminaires d’écriture.
Ses projets, textes et publications portent sur l’art, l’espace d’écriture urbain ainsi que sur une poétologie de l’observation du quotidien.
www.brigittahoepler.at

Mieze Medusa & Markus Köhle | Cafe C.I. – Club International, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Mieze Medusa & Markus Köhle | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet  

 

Un thé tête-à-tête au C. I. entre Mieze Medusa et moi

Jamais de thé. Du thé jamais. Café, bière, eau. Même des toasts du C. I., des frites et un feuilleté aux épinards. Mais jamais de thé. Du thé jamais. C’est précisément un léger moment de thé qui entre dans l’histoire. Et même plus encore, il s’est transformé en photo. Köhle avec du thé. Cela restera à jamais associé. Köhle avec du thé au C. I. Est-il malade ? Köhle en thé tête-à-tête avec Mieze Medusa. Qu’est-ce que ça veut dire ? Le pouvoir des images est grand, celui des mots ne l’est pas moins. La nuit des bières est longue, le temps du thé est-il en train d’advenir ou bien est-il déjà terminé ? En cours d’infusion ou déjà trop infusé ? Cela ne regarde que nous.

Qu’est-ce qu’il a à parler du thé ? Il l’a pourtant commandé lui-même !

Nous n’aimons pas les symboles de statut social. Nous n’aimons pas les maisons individuelles avec jardin, clôture et abri pour voiture. Nous préférons la piscine couverte à la piscine privée. Louer des appareils plutôt que de les avoir tous entassés dans notre cave, aller à la bibliothèque plutôt qu’avoir des étagères débordantes de livres… 
Stop ! Ceci n’est pas vrai. 
Nous vivons exprès dans un immeuble ancien pour que les étagères remplies de livres aient de la place jusqu’au plafond. Mais quand elles menacent de nous tomber dessus, nous allons au café. Seul, à deux ou avec d’autres. Probablement avec plus d’un livre et au moins un carnet de notes dans la poche. On garde le silence. 
Je lis, il écrit. 
Il réfléchit, je prends des notes. 
Il y en a toujours un qui a un manuscrit sur lui… Mais où est donc le feutre rouge ?
La ville, c’est aussi un luxe ! On n’est pas obligé de payer un loyer pour chaque pièce dont on a besoin. Enveloppés par le bavardage ambiant, nous apprécions la solitude dans un environnement de pensées, de conversations et de boissons. 
Personnellement, j’aime le thé. Depuis toujours. Il a fallu quelques décennies à Markus pour en arriver là. Mais c’est vrai : au C.I., nous ne buvons vraiment du thé que lorsque c’est nécessaire. Quand nous voulons passer l’automne en bonne santé. Pour que cela marche, répondre positivement à la question : « Et on peut en vivre ? »

 


Interview des auteurs

Que peut la littérature ?
Markus Köhle : découper, souder, mastiquer.
Mieze Medusa : Cela dépend de ce que l’on attend d’elle.

Quelle est l’importance des cafés pour toi/vous ?
MK : Selon le moment ou le lieu, selon que j’aie besoin de ceci ou cela, elle est grande comme un immeuble ou petite comme un trou de souris.
MM : Aller boire un verre seule, en tant que femme : parfois encore un acte de rébellion aux yeux des gens qui regardent avec un air bête. Jusqu’à la fin de ma vie, je ne me laisserai pas priver de cette liberté.

Où te sens-tu toi / Où vous sentez-vous chez vous ?
MK : Là où je peux enlever mes chaussures.
MM : Là où je mets quelques livres sur l’étagère et où je pose mon ordinateur portable. Et c’est encore plus facile si c’est au milieu d’une grande ville.

 

BIO

Markus Köhle écrit pour être entendu : www.autohr.at
Il est écrivain, artisan littéraire, technicien linguistique et le père du slam en Autriche. Il écrit pour les jeunes et les moins jeunes, fait de la littérature « sérieuse » et de « divertissement », organise et anime des slams de poésie et le festival de prose d’Innsbruck depuis plus de 20 ans, gère le projet d’auteurs Retrogranden aufgefrischt dans les murs de l’Alte Schmiede à Vienne et est rédacteur de la revue littéraire DUM (www.dum.at). Dernièrement, il a publié : Das Dorf ist wie das Internet, es vergisst nichts (roman, Sonderzahl 2023).

Mieze Medusa est auteure, rappeuse et pionnière de la scène autrichienne du poetry slam. Elle se produit sur les scènes internationales depuis 2002 et a repris son nom de MC pour sa littérature de prose. Son premier roman Freischnorcheln est paru en 2008. Depuis, elle a publié de la prose, mais aussi des recueils de textes de slam et des enregistrements sonores du duo hip-hop mieze medusa & tenderboy, et bien d’autres choses encore. Elle organise et anime des poetry slams en Autriche, en tant que slameuse active, elle ne voyage pas seulement en Allemagne et en Suisse, ses performances de spoken word l’ont déjà menée jusqu’à Shanghai.
Derniers ouvrages : Was über Frauen geredet wird (roman, Editions Residenz, 2022) et Die Krise schrieb man nicht mit langem “i”, auch wenn sie riesengroß ist (textes de slam en collaboration avec Yasmin Hafedh, Editions Lektora, 2023).
www.miezemedusa.com 

Barbara Rieger | Almtaler Haus, Grünau im Almtal

Photo : Alain Barbero | Texte : Barbara Rieger extrait de Eskalationsstufen (K&S 2024) | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

Plus tard, nous sommes assis au café, je sirote mon mélange, Joe sa bière. Son doigt pointe sur la table une tache, qui n’est pas la nôtre. Le service a déjà été meilleur ici, dit-il. Et qu’est-ce que tous ces enfants font ici ?
Joe, dis-je, qu’est-ce qui se passe ?
Que veux-tu dire ?
Regarde ton humeur.
Ton humeur, m’explique-t-il, n’est pas toujours la même non plus, je ne suis qu’un être humain, je suis désolé pour toi si tu t’attendais à autre chose.
J’avale mon café. C’est bon ça va, je dis.

 


Interview de l’auteure

Que peut faire la littérature ?
Barbara Rieger : La littérature est ce qui naît – dans le meilleur des cas – de l’écriture. Et personnellement, c’est la forme d’art que je préfère.

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
BR : Ce sont des lieux où règne un certain ordre dont je ne dois pas m’occuper moi-même et qui, en tant que tels, sont parfois très agréables.

Où te sens-tu chez toi ?
BR : Si un jour je m’y trouve, j’enverrai une carte postale

 

BIO

Née à Graz en 1982, Barbara Rieger vit en tant qu’auteure et professeure d’écriture à Vienne et dans l’Almtal (Haute-Autriche). En 2013, elle a fondé avec Alain Barbero et Sylvie Barbero-Vibet “cafe.entropy.at.” Elle écrit des romans, de la prose courte et même de la poésie de temps en temps. Son troisième roman Eskalationsstufen paraîtra le 7 février chez Kremayr & Scheriau. Les premières présentations auront lieu le 15.2 (Vienne) et le 17.2 (Almtal).

http://www.barbara-rieger.at

Andreas Unterweger | Café König, Graz

Photo : Alain Barbero | Texte : Andreas Unterweger | Traduction : Guillaume Métayer

 

J’étais plongé dans le spectacle de deux vieilles dames, sur la petite table desquelles, parmi un nombre respectable de tasses et d’assiettes, était monté un cadre photo de la taille d’un portrait. Dans ce cadre doré, que je ne pouvais voir que de dos, devait – cela ne fit vite aucun doute pour moi – se trouver la photo d’une amie décédée. Elle leur est prédécédée, pensais-je, mais grâce à cette photo elle était toujours là, toujours parmi elles, « parmi nous ».
Mon regard a erré des dames au portrait d’Alfred Kolleritsch accroché au-dessus de ma propre table, puis il est allé se poser de l’autre côté, sur le comptoir où était placé le faire-part de décès de Heimo Steps (avec sa photo, bien sûr), et en même temps que mon regard mes pensées se sont échappées : du pouvoir des images (où un ancien titre de livre m’est venu à l’esprit : Les Images brillent encore) à celui des tables d’habitués. On n’a pas le droit, ai-je pensé, de sous-estimer la table des habitués d’un café, qui est le successeur du cercle rituel des gens assis autour du feu. À la fin, pensais-je, la table d’habitués, fût-ce une petite table, est plus grande que la mort.
Consolante, c’est ce que me parut cette pensée, et je voulus aussitôt la noter et me mis à tâtonner dans mon sac-à-dos à la recherche de mon carnet. Ce n’est qu’à ce moment-là, en fouillant et, je dois l’avouer, une larme clignant au coin de mon œil, que je remarquai que, sur la table à côté des deux dames, à laquelle un ancien footballeur picorait les actualités du jour dans un journal, se tenait un même cadre photo. Et une petite table plus loin, où personne n’était assis ? La même chose. Oui, même sur ma propre table, juste à côté du grand verre d’eau que je commande toujours et n’arrive jamais à finir, se dressait, me tournant le dos, un cadre doré. Quand je l’ai retourné, j’ai vu : pas d’image, mais des mots (et des chiffres). Le nouveau menu.

 


Interview de l’auteur

Que peut la littérature ?
Andreas Unterweger : Parmi les nombreux avantages de la littérature, le moindre n’est pas qu’elle peut donner un bon prétexte pour boire du café. Certains boivent du café en lisant, certains en écoutant des textes, beaucoup en écrivant. Balzac par exemple aurait bu jusqu’à 50 tasses de café par jour. Il paraît qu’il a dû boire tout ce café pour pouvoir écrire l’intégralité de ses nombreux romans. Pourtant, je n’arrive pas à me défaire du soupçon qu’en réalité il en allait exactement à l’inverse. Je crois qu’il a tant écrit uniquement pour pouvoir boire une aussi énorme quantité de café.

Quelle importance ont les cafés pour toi ?
AU : En général, je vais au café pour écrire. Mais peut-être est-ce comme chez Balzac, et que je n’écris que pour avoir une bonne raison d’aller au café.

Où te sens-tu chez toi ?
AU : Là où je suis sans filtre.

 

BIO

Andreas Unterweger est écrivain et rédacteur en chef de la revue de littérature  manuskripte. Les six livres qu’il a publiés jusqu’ici ont paru aux éditions Droschl, dont le dernier, le roman So long, Annemarie (2022), se passe à Nantes. Ses textes en prose et ses poèmes ont été traduits en de nombreuses langues, tel Le Livre jaune (trad. L. Cassagnau, Paris, Lanskine, 2019). Il traduit, lui aussi, principalement du français (Laure Gauthier, Guillaume Métayer, Fiston Mwanza Mujila …).
Unterweger a reçu, entre autres, le prix manuskripte du Land de Styrie en 2016 et le prix de l’Académie de Graz 2009. En 2023, il a été intégré au programme de soutien schreibART du ministère autrichien des Affaires étrangères.
www.andreasunterweger.at

Eva Brunner | Schönes Café, Berlin

Photo : Alain Barbero | Texte : Eva Brunner | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

« Schönes Café », que l’on pourrait traduire par « Joli Café », ne porte pas un nom facile. À la fois une affirmation et un défi grammatical. On se retrouve au café Joli Café ou au joli Café ? Mais après tout, il peut bien le porter ce nom, car il tient sa promesse. Je suis contente que ce café existait déjà dans les années 2000, lorsque je cherchais pour la première fois dans le coin un endroit sympa pour prendre le café du dimanche avec une amie. Qu’il était encore là dans les années 2010, quand je voulais faire une petite pause dans mon quotidien familial, me faire plaisir. Et qu’il était toujours là dans les années 2020, quand j’étais à la recherche de mon café préféré à Berlin, proche de mon travail de toujours, dans les rues de Berlin où je me sens le plus chez moi, même si je n’y habite plus. À Uppsala, je saurais quel café choisir, sans hésitation : l’Årummet, à l’angle avec la rivière, avec ses profonds fauteuils d’un autre temps et son choix grandiose de gâteaux.
Au Schönes Café, l’accent est dorénavant mis sur le déjeuner, à l’heure où l’on sert des plats du jour de cuisine fusion faite maison. De la soul food, pourrait-on dire. En général, le petit espace est empli d’ondes positives. Un style sobre et confortable sans être trop cool. Joli, tout simplement – bois laqué de couleur, murs crépis de blanc, petits vases avec des fleurs coupées, presque scandinave façon allemande.

 


Interview de l’auteure

Que peut la littérature ?
Eva Brunner : Hum, vaste sujet. Beaucoup, même s’il y a pas mal de gens pour qui elle ne signifie rien, ce que je considère aussi parfois comme une manière de voir tout à fait salutaire pour ne pas tout prendre trop au sérieux. Je trouve bien qu’il y ait toute sorte de littérature et que chacun puisse lire ce qui lui plaît. Par exemple, lorsque les adultes lisent aussi pour eux-mêmes des livres pour enfants ou pour la jeunesse. La littérature peut être une bonne expérience très personnelle, déclencher un dialogue intérieur, donner de nouvelles idées, alimenter les rêves, relier à d’autres lieux ou époques. Et la littérature peut être un bon sujet de conversation, une manière d’échanger personnellement sans parler directement de soi.

Quelle importance les cafés ont-ils pour toi ?
EB : Les cafés sont pour moi des pauses particulières, une manière consciente de prendre le temps ou de passer le temps en se concentrant sur le café et les bons petits plats.

Où te sens-tu chez toi ?
EB : L’endroit où je me sens le plus chez moi est là où se trouve mon lit. Et aussi dans tous les endroits où j’ai vécu, ou là où vit ma famille.

 

BIO

Née en 1980 à Siegen, Eva Brunner vit à Uppsala et travaille dans une agence de communication berlinoise. Elle a fait une thèse de doctorat sur la « poésie confessionnelle » et publie régulièrement des textes littéraires depuis 2010. En 2019, son premier recueil de poésie Achtung, die Naht a été publié chez parsitenpresse. Cet hiver, un deuxième volume paraîtra chez le même éditeur. Également disponible, le petit livre de poésie Die Mandarinenorakel, en collaboration avec Elke Cremer et des illustrations de Yayo Kawamura (GE59, 2021).

Theodora Bauer | Café Museum, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Theodora Bauer | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet  

 

Le café Museum. Représentation, représentation, représentation. Bien qu’il fasse désormais partie de la grande chaîne Landtmann, il dégage toujours pour moi le charme d’un petit café viennois raffiné, avec la dignité propre à une telle institution. Je dois bien l’avouer,  je ne suis pas une grande habituée des cafés. Je préfère travailler chez moi, en jogging ou en pyjama, avec une tasse de café fraîchement moulu avec ma propre machine à café à grains, l’air chiffonné et bizarrement installée sur ma chaise de bureau. Je ne vais donc pas au café Museum pour écrire, mais à l’occasion de rencontres professionnelles – ce qui est aussi une partie très agréable de mon travail. C’est celui que je propose quand quelqu’un n’a jamais été dans un café viennois et veut absolument en voir un “vrai” ; si quelqu’un veut m’interviewer ou discuter de futurs projets communs. L’atmosphère est impressionnante, mais pas guindée ; le café dégage à la fois un certain calme et une animation subliminale. Il est patiné, sans être pour autant défraîchi. Confortable et noble à la fois. Un lieu qui permet l’anonymat ou le public. Un café foncièrement viennois que je fréquente toujours avec plaisir, tout simplement.

 


Interview de l’auteure

Que peut la littérature ?
Theodora Bauer : Une grande question avec une réponse qui dépasserait les limites de cette interview.

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
TB : Les cafés sont pour moi de belles opportunités – si quelqu’un ne peut ou ne veut pas travailler chez lui, il a toujours la possibilité de se rendre dans un salon en dehors de ses quatre murs et d’y rester. C’est un sentiment agréable de savoir que cela est encore possible dans une grande ville comme Vienne.

Où te sens-tu chez toi ?
TB : À Vienne et dans le Burgenland.

 

BIO

Née à Vienne, Theodora Bauer a grandi dans le Burgenland. Études de journalisme, de communication et de philosophie. Elle écrit des romans (Das Fell der Tante Meri, Chikago), des pièces de théâtre et de la prose courte. Depuis 2018, elle anime l’émission littéraire literaTOUR sur la chaîne de télévision ServusTV.
Plus d’infos sur www.theodorabauer.at

Maria Sterkl | Café Schopenhauer, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Maria Sterkl | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet  

 

Lundi

Ils portaient des pantalons de costume à plis et des chemises sans repassage, jamais on ne les voyait en jeans. En été, ils essuyaient la sueur de leur front ; en hiver, ils étaient assis dans la pièce bien chauffée, vêtus de vestes épaisses. Cinq, six, sept hommes étaient assis autour de la petite table de jeu, où deux d’entre eux étaient concentrés sur le plateau. Backgammon. Trictrac. Tavla. Shesh Besh. Ils venaient d’Égypte, m’ont-ils répondu quand je leur ai posé la question. Coptes, ont-ils ajouté sans que je le leur demande. Depuis le 11 septembre, quand on n’était pas blanc à Vienne, il fallait sans cesse écarter le soupçon d’être né dans l’islam. Tous les lundis, ils jouaient au café. Ceux qui ne poussaient pas leurs pions analysaient. Ceux qui ne fumaient pas donnaient du feu. Ils buvaient du thé, je les regardais. Je me demandais où étaient leurs femmes. Ils ne me demandaient pas qui j’étais, je ne savais pas comment ils s’appelaient. Nous nous laissions en paix. C’est ainsi qu’on disait à l’époque.
Un jour, ils ne sont plus venus le lundi. Je les ai cherchés dans tous les cafés du quartier, je ne les ai pas trouvés. J’ai cherché dans d’autres quartiers, d’autres arrondissements, je suis allée jusqu’à la périphérie de la ville et au-delà. J’ai cherché dans le désert, dans la mer, dans les décombres des maisons abandonnées. Je les cherche aujourd’hui encore, sauf les lundis où je fais une pause. Je leur demande alors conseil. Ils lancent des dés, soupirent, jouent leurs coups. Et me laissent en paix.

 


Interview de l’auteure

Que signifie la littérature pour toi ?
Maria Sterkl : La littérature peut consoler, déranger, secouer, apaiser, aliéner, offrir un chez-soi. La littérature peut mettre en danger les puissants, qui peuvent cependant aussi l’utiliser à mauvais escient. La littérature n’est pas une valeur en soi, mais je n’exagère pas en disant que la littérature m’a sauvé la vie.

Que représentent les cafés pour toi ?
MS : Être chez soi à l’extérieur. Le lieu est plus important que le bon café et le bon service, c’est pourquoi j’aime les vieux cafés viennois.

Pourquoi as-tu choisi le Café Schopenhauer ?
MS : Avant tout pour les bons souvenirs. J’aimais beaucoup venir ici à une certaine période de ma vie, surtout seule et pour écrire. J’aimais le silence, le côté sombre, les références obscures, les vieux hommes avec leurs parties de jeux de société. De plus, il y avait à l’époque un serveur très sympathique qui donnait son avis sur les différents journaux du café. Un jour, alors que je prenais le journal Die Krone, il m’a dit : « Pas besoin de l’ouvrir pour savoir ce qu’il contient ».

Que fais-tu quand tu n’es pas au café ?
MS : La nuit, je dors la plupart du temps. Le jour, j’aime bien désespérer.

 

BIO

Née en 1978 à Krems/Donau, Autriche, Maria Sterkl vit à Jérusalem et à Haïfa. Études de commerce à Vienne, Sönderborg et Parme. Actuellement correspondante en Israël et Palestine pour le journal Der Standard, reportages réguliers également dans le Frankfurter Rundschau, le Badische Zeitung et diverses parutions du groupe de médias Funke à Berlin. Publications littéraires dans des anthologies et des revues littéraires, récemment nominée pour le prix Floriana 2022.

Sophia Lunra Schnack | Kaffee Monarchie, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Sophia Lunra Schnack | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 


Interview de l’auteure

Que peut la littérature ?
Sophia Lunra Schnack : Ouvrir et freiner. Mettre en mouvement des pensées, des émotions, des convictions. Les jeunes en particulier peuvent acquérir, pour ainsi dire, une expérience de la vie, une capacité de réflexion et une disposition sensorielle. La littérature peut freiner le temps, se dresser contre une existence rythmée. Et face à l’automatisation et anonymisation croissantes, je dirais que la littérature peut préserver l’homme, son humanité.

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
SLS : Quand le silence devient trop fort à la maison pour travailler, je me rends dans un café. Mais il faut qu’il y ait le bon mélange entre le doux murmure des voix et le retrait. Il y a quelques-uns de mes cafés habituels dont je sais qu’ils me conviennent, où j’ai un coin, mon cocon, mais d’où je peux sortir à tout moment pour prendre contact. J’aime cette manière libre d’engager la conversation avec des personnes inconnues, mais sans y être obligé.

Où te sens-tu chez toi ?
SLS : Pour moi, être chez soi a toujours été lié à la langue. Pendant longtemps, je me suis sentie chez moi dans la langue française, j’avais des problèmes avec ma langue maternelle. Il était donc aussi très naturel pour moi de vivre en France. Entre-temps, j’ai surmonté ma fuite devant ma langue maternelle, j’ai maintenant une résidence linguistique principale et secondaire. En tout cas, je ne pourrais pas m’imaginer vivre dans un pays dont je ne pourrais pas intégrer les sons

 

BIO

Sophia Lunra Schnack (*1990) vit et écrit actuellement principalement à Vienne, de la poésie et de la prose (lyrique) dans diverses revues littéraires de renom, notamment dans manuskripten, Poesiegalerie ou Das Gedicht.
En 2022, elle reçoit le prix rotahorn et depuis 2023, anime un blog de poésie pour Das Gedicht. En août 2023 est publié son premier roman feuchtes holz (Otto Müller).
Actuellement, elle travaille sur son recueil de prose cursive Fliederkuss ainsi que sur un recueil de poésie bilingue wimpern piniengrün – cils vert de pins.