Archive d’étiquettes pour : Kaffeehaus

Theodora Bauer | Café Museum, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Theodora Bauer | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet  

 

Le café Museum. Représentation, représentation, représentation. Bien qu’il fasse désormais partie de la grande chaîne Landtmann, il dégage toujours pour moi le charme d’un petit café viennois raffiné, avec la dignité propre à une telle institution. Je dois bien l’avouer,  je ne suis pas une grande habituée des cafés. Je préfère travailler chez moi, en jogging ou en pyjama, avec une tasse de café fraîchement moulu avec ma propre machine à café à grains, l’air chiffonné et bizarrement installée sur ma chaise de bureau. Je ne vais donc pas au café Museum pour écrire, mais à l’occasion de rencontres professionnelles – ce qui est aussi une partie très agréable de mon travail. C’est celui que je propose quand quelqu’un n’a jamais été dans un café viennois et veut absolument en voir un “vrai” ; si quelqu’un veut m’interviewer ou discuter de futurs projets communs. L’atmosphère est impressionnante, mais pas guindée ; le café dégage à la fois un certain calme et une animation subliminale. Il est patiné, sans être pour autant défraîchi. Confortable et noble à la fois. Un lieu qui permet l’anonymat ou le public. Un café foncièrement viennois que je fréquente toujours avec plaisir, tout simplement.

 


Interview de l’auteure

Que peut la littérature ?
Theodora Bauer : Une grande question avec une réponse qui dépasserait les limites de cette interview.

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
TB : Les cafés sont pour moi de belles opportunités – si quelqu’un ne peut ou ne veut pas travailler chez lui, il a toujours la possibilité de se rendre dans un salon en dehors de ses quatre murs et d’y rester. C’est un sentiment agréable de savoir que cela est encore possible dans une grande ville comme Vienne.

Où te sens-tu chez toi ?
TB : À Vienne et dans le Burgenland.

 

BIO

Née à Vienne, Theodora Bauer a grandi dans le Burgenland. Études de journalisme, de communication et de philosophie. Elle écrit des romans (Das Fell der Tante Meri, Chikago), des pièces de théâtre et de la prose courte. Depuis 2018, elle anime l’émission littéraire literaTOUR sur la chaîne de télévision ServusTV.
Plus d’infos sur www.theodorabauer.at

Sophia Lunra Schnack | Kaffee Monarchie, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Sophia Lunra Schnack | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 


Interview de l’auteure

Que peut la littérature ?
Sophia Lunra Schnack : Ouvrir et freiner. Mettre en mouvement des pensées, des émotions, des convictions. Les jeunes en particulier peuvent acquérir, pour ainsi dire, une expérience de la vie, une capacité de réflexion et une disposition sensorielle. La littérature peut freiner le temps, se dresser contre une existence rythmée. Et face à l’automatisation et anonymisation croissantes, je dirais que la littérature peut préserver l’homme, son humanité.

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
SLS : Quand le silence devient trop fort à la maison pour travailler, je me rends dans un café. Mais il faut qu’il y ait le bon mélange entre le doux murmure des voix et le retrait. Il y a quelques-uns de mes cafés habituels dont je sais qu’ils me conviennent, où j’ai un coin, mon cocon, mais d’où je peux sortir à tout moment pour prendre contact. J’aime cette manière libre d’engager la conversation avec des personnes inconnues, mais sans y être obligé.

Où te sens-tu chez toi ?
SLS : Pour moi, être chez soi a toujours été lié à la langue. Pendant longtemps, je me suis sentie chez moi dans la langue française, j’avais des problèmes avec ma langue maternelle. Il était donc aussi très naturel pour moi de vivre en France. Entre-temps, j’ai surmonté ma fuite devant ma langue maternelle, j’ai maintenant une résidence linguistique principale et secondaire. En tout cas, je ne pourrais pas m’imaginer vivre dans un pays dont je ne pourrais pas intégrer les sons

 

BIO

Sophia Lunra Schnack (*1990) vit et écrit actuellement principalement à Vienne, de la poésie et de la prose (lyrique) dans diverses revues littéraires de renom, notamment dans manuskripten, Poesiegalerie ou Das Gedicht.
En 2022, elle reçoit le prix rotahorn et depuis 2023, anime un blog de poésie pour Das Gedicht. En août 2023 est publié son premier roman feuchtes holz (Otto Müller).
Actuellement, elle travaille sur son recueil de prose cursive Fliederkuss ainsi que sur un recueil de poésie bilingue wimpern piniengrün – cils vert de pins.

Reinhard Junge | Café Ferdinand, Bochum

Photo : Alain Barbero | Texte : Reinhard Junge | Trad. : Sylvie Barbero-Vibet

 

Mon premier policier, Brunhilde l’avait encore trouvé bien. Un mari écrivain – il y avait vraiment de quoi pérorer. Lors du lancement, elle m’avait même offert une de ses plus belles métaphores.
Lorsque je lui ai remis fièrement le deuxième livre (enveloppé spécialement pour l’occasion dans du papier rose), elle l’a jeté dans la poubelle jaune sans même l’ouvrir. « Maintenant, on arrête d’écrire des bêtises, hein ? Sinon… »
« Sinon quoi ? »
« Tu seras homme au foyer. Tu pourras taper à la machine une petite heure tous les soirs ! »
Parfait, je me suis dit. Mais : quelle illusion ! Quatre repas par jour pour quatre personnes, faire le taxi pour la crèche, l’école primaire, le pédiatre et le magasin bio, la lessive, le nettoyage des fenêtres et des couloirs, la déclaration d’impôts, les fleurs au cimetière, les missions de conciliation au bac à sable, où notre Heiko aimait terroriser les enfants du voisinage…
Pendant ce temps, mon épouse, professeure de musique et d’art, s’épanouissait. Enfin la sieste ! Et deux fois par semaine, le Café Ferdinand avec son amie Thea, et du coup j’avais aussi les enfants de Thea sur les bras. Taper à la machine ? Le soir, je tombais dans le coma, assis, après avoir écrit cinq lignes.
« Chéri », me susurra Brunhilde un midi, alors que je nettoyais les couverts.
« La semaine prochaine, c’est la Pentecôte. Cinq jours de congé ! Je pars à Rome avec Thea. Jasmina ira chez grand-père et Heiko restera avec toi. D’accord ? »
« Pourquoi Heiko ne peut-il pas aller lui aussi chez grand-père ? »
« Il ne saura pas non plus le gérer ! »
Merci, ai-je pensé, et j’ai demandé : “Et mon exposé ?”
« Chéri ! Ce genre de bêtises peut bien attendre ! »
Quelle coïncidence que le couteau à viande se trouvait justement à portée de main…

Dans mes nouveaux quartiers, je peux écrire en toute tranquillité. Bye, bye Brunhilde est le titre du livre. Et quand les douze ans seront passés, j’irai aussi au Café Ferdinand.

 


Interview de l’auteur

Que peut la littérature ?
Reinhard Junge : Tout ! Divertir, ennuyer, éduquer, indigner, glorifier les guerres, appeler à la révolution ou au génocide, irriter ou célébrer les gouvernements, dénoncer ou justifier l’injustice. En fait, elle peut tout. A condition que les auteur(e)s trouvent une maison d’édition prête à imprimer leurs œuvres.

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
RJ : J’adore les cafés. Un bon café est pour moi le compromis parfait entre les restaurants, où le sourire du serveur coûte déjà 50 €, et un bar à poivrots où l’on rencontre toute la misère de ce monde injuste. Pour moi, ils peuvent être des lieux de repos, de réflexion, de rêve, d’écriture et d’amitié. 

Où te sens-tu chez toi ?
RJ : Partout où il y a beaucoup de soleil, une vue dégagée sur la mer bleue, une plage blanche et un bon café.

 

BIO

Né en 1946 à Dortmund. 1966 Baccalauréat. Armée, études à Bochum. Après son stage en 1978, d’abord interdit d’exercer en tant que membre du DKP (Parti communiste allemand). Protestations en provenance de l’Allemagne et de l’étranger (notamment de la CGT). 1979-2012 enseignant dans un lycée. Puis 6 années d’allemand pour enfants étrangers. – 12 romans policiers (en partie avec Leo P. Ard et Christiane Bogenstahl), 4 documentaires sur les néonazis. – 3 enfants, 1 petit-fils, pas de maison, pas de chien. Supporter de toutes les équipes qui battent le Bayern Munich.

Blog Entropy, Barbara Rieger, Alain Barbero, MathildeRamadier, Delphine de Stoutz, Würgeengel, Berlin

Tanja Raich | Cafemima, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Tanja Raich, Extrait de Schwerer als das Licht, Éd. Blessing, 2022, parution le 24.8.22 | Trad. : Sylvie Barbero-Vibet

 

Je me souviens de ce jour-là, il y a bien longtemps déjà. Le matin, il pleuvait sous toutes les formes et dans toutes les couleurs. Des fleurs de naga et d’hibiscus, des orchidées et des amaryllis, une agitation multicolore volant entre les arbres et haut dans le ciel. Je n’avais jamais rien vu de plus beau. Le vent faisait tourbillonner les fleurs au-dessus de la cime des arbres, il les faisait tourbillonner sur toute l’île. Elles volaient dans l’air comme des papillons et retombaient éparpillées sur le sol. Une fleur d’hibiscus m’a frappée au visage, provoquant une douleur lancinante. Et soudain, tout fut nu. Pas de trace de bourgeons, pas de trace de l’après. Et lorsque les fleurs furent desséchées, il ne resta vraiment plus aucune couleur, plus aucun éclat. Tout était devenu terne, brun et gris.

 


Interview de l’auteure

Que signifie la littérature pour toi ?
Tanja Raich : La littérature est pour moi la porte d’entrée vers de nouveaux mondes, elle m’ouvre de nouvelles perspectives et expériences, me fait voyager, me fait pénétrer dans des mondes de pensées, me touche et me choque – dans le meilleur des cas, j’en ressors en ayant fait peau neuve : en tant que lectrice et écrivaine. 

Quelle importance les cafés ont-ils pour toi ?
TR : Je dois faire une distinction entre Vienne et l’Italie. En Italie, ce sont des lieux de rencontre, il s’agit davantage du café en tant que boisson, j’y passe rarement une journée. À Vienne, ils sont en fait un prolongement du salon, même si j’y écris rarement. J’aime le café comme lieu de première rencontre, lorsque je fais la connaissance d’auteurs avec lesquels je souhaite réaliser des livres, par exemple. Parfois, je m’y perds, et cela ne m’arrive qu’à Vienne : on se rencontre pour prendre un Melange et on ressort à deux heures du matin. Pourtant, on n’a pas du tout l’impression d’être à Vienne, peut-être quelque part dans un lieu sans espace ni temps.

Pourquoi as-tu choisi le Cafemima ?
TR : J’adore les marchés et Cafemima est un café de marché, coloré et chaotique. Mon appartement est assez similaire. Beaucoup de plantes et de choses colorées que j’ai ramenées de mes voyages. 

Que fais-tu lorsque tu n’es pas au café ?
TR : Je suis dehors, dans un parc, au Prater, ou je fais du vélo sur l’île du Danube.

 

BIO

Tanja Raich, née en 1986 à Meran (Italie), vit à Vienne en tant que lectrice et auteure. En 2015, elle a initié une nouvelle série littéraire chez Kremayr & Scheriau, axée sur les débuts en langue allemande, où elle a été directrice du programme jusqu’en 2020. Actuellement, elle dirige le programme de littérature et de livres pour enfants chez Leykam Verlag. Son premier roman Jesolo (Blessing 2019) a été nominé pour le prix du livre autrichien Debüt 2019 ainsi que pour le prix littéraire Alpha 2019. Son deuxième roman Schwerer als das Licht sera publié en août 2022 chez Blessing.
tanjaraich.at

 

Blog Entropy, Barbara Rieger, Alain Barbero, Petra Piuk, Café Europa, Wien, Vienne

Jana Volkmann & Raphaela Edelbauer | Café Kriemhild, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Jana Volkmann | Trad. : Sylvie Barbero-Vibet

 

À la lumière, je ne suis pas encore vidée de tous mes mots. Entre-temps, je me suis souvenue de vieux rêves qui avaient un éclairage très particulier : la pluie, la nuit, les phares des bus et la lumière qui tombe à travers les fenêtres des cafés. Et j’ai tiré les rideaux et pris une décision.
J’ai travaillé un temps dans un cinéma qui s’appelait Lux Lichtspiele. Tous les mardis, un homme venait au cinéma entre les séances, achetait un seau de pop-corn à 9 euros et disparaissait. Je me suis dit qu’il vivait peut-être séparé de sa famille et qu’il recevait chaque semaine la visite de son enfant, avec lequel il mangeait le pop-corn, mais n’allait jamais au cinéma. Les rituels sont dimensionnants. Je pense souvent à l’homme au pop-corn lorsque je passe devant un de ces cinémas vieillissants et démunis dont on ne sait même pas s’ils sont encore en activité.
Tu m’as donné il y a quelque temps le livre sur les lucioles de Georges Didi-Huberman, dans lequel il parle de l’œuvre de Pasolini et de son attitude envers la lumière. Le fascisme y est associé à des projecteurs « lointains et sauvages », éblouissants : des « yeux mécaniques ». Il leur oppose les lucioles. La lumière vivante,  organique, qui était déjà en train de disparaître du vivant de Pasolini. C’est une lumière ludique, dansante, vulnérable, faible.
J’ai consulté le site internet des Lux Lichtspiele, et je suis heureuse de pouvoir dire que le cinéma existe toujours. Vu la situation mondiale, il est devenu provisoirement un ciné-parc, situé à un carrefour d’autoroutes. On dit que la machine à pop-corn a également suivi dans le déménagement. Je me demande à quoi elle ressemble lorsqu’elle est seule sur le terrain après que les spectateurs sont rentrés chez eux. Elle a devant elle un grand écran et la nuit noire. Je me demande si la machine à pop-corn clignote quand elle fait un mauvais rêve, si elle scintille comme lors d’une interférence, mais on ne voit probablement rien depuis l’autoroute.

 


Interview de l’auteure

Que signifie la littérature pour toi ?
Jana Volkmann : Pour moi, la littérature est une forme de philosophie avec des moyens artistiques, l’interface entre le langage, l’esthétique et l’idée. L’écriture et la lecture sont pour moi des outils de connaissance essentiels.

Que signifient les cafés pour toi ?
JV : Les cafés sont une grande découverte ; j’envie vraiment les cultures où ils ont un statut encore plus élevé et sont l’épicentre de toutes sortes d’événements culturels et politiques. J’aime particulièrement l’imprévu auquel on est exposé dans le café : ne pas savoir qui va passer la porte et quel journal va être laissé à la table voisine. Et les codes de comportement spécifiques et subtils qui permettent de contrer ces impondérables avec fiabilité.

Pourquoi as-tu choisi le Café Kriemhild ?
JV : Pour être tout à fait honnête : Je l’ai choisi en imaginant la mise en scène pour la photo, car je trouve que c’est avant tout un très joli café qui a de l’allure comme décor. 

Que fais-tu lorsque tu n’es pas au café ?
JV : J’aime toujours travailler à mon prochain roman, principalement de chez moi. Sinon, j’ai commencé à nager cette année et j’ai hâte de continuer dès que les piscines rouvriront : J’ai de grandes ambitions, car je veux apprendre à faire des virages, et je n’ai pas encore vraiment réussi.

 

BIO

Née en 1983 à Kassel, Jana Volkmann vit comme auteure et journaliste à Vienne. Elle est rédactrice en chef de la revue Tagebuch et écrit des essais et des critiques littéraires notamment pour Freitagneues deutschland et Der Standard. Pour son roman Auwald, paru en 2020 aux éditions Verbrecher Verlag, elle a reçu le Förderpreis dans le cadre du festival de littérature de Brême 2021 et a été retenue dans la sélection mensuelle du jury de la radio ORF.

 

Blog Entropy, Barbara Rieger, Alain Barbero, Sabine Gruber, Café Engländer, Wien

Sabine Gruber | Café Engländer, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Sabine Gruber | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

                            

Un mois d’août plus heureux
Millstättersee

                                  pour KH à l’occasion du 5e anniversaire de sa mort

La vie est là, tant que nos mains
Parlent et que notre langue reste dans une autre
Bouche silencieuse. Elle est là, tant qu’aucun
Mot ne s’interpose, que nos questions
Ne nous mettent pas à nu. Elle est encore
Là, quand elle ne mène à rien, sinon à nous-même,
Quand nous restons vivre en l’autre
À bout de souffle, avec des yeux qui même fermés
Comprennent. Elle est là, quand tu ne
Viens plus jamais et ne sait plus rien, de la douce
Flamme, de ma vie d’errance dans le désert,
Du vol au-dessus du lac, avec les
Ailes intactes. L’eau nous porte, les perches
Recueillent tes images sur leur corps, et
Ce qui était avant, avant que quelque chose ne soit créé,
Le no man’s land écorché, la trainée dans le
Lac que nous dissipions derrière nous, je le ressens
Chaque jour. Je peux dans les
Profondeurs abyssales, dans chaque vague à nouveau t’entendre, te
Voir.

 


Interview de l’auteure

Que signifie la littérature pour toi ?
Sabine Gruber : L’écriture est ma façon de respirer. La lecture me donne le sentiment de pouvoir prolonger et intensifier ma propre vie grâce aux textes littéraires des autres. C’est un anachronisme, bien sûr, car le temps passe quand on lit.

Quelle importance les cafés ont-ils pour toi ?
SB : Pour moi, les cafés sont avant tout des lieux pour lire et écrire, lorsque je tourne en rond à la maison.

Pourquoi as-tu choisi le Café Engländer ?
SB : Le Café Engländer est l’un de mes cafés habituels, il n’est pas loin de mon appartement, sa cuisine est excellente, ses serveurs sont aimables et il est généralement fréquenté par des clients intéressants.

Que fais-tu quand tu n’es pas au café ?
SB : Quand je ne suis pas au café, je rêve de cafés lointains, par exemple le Caffè Meletti à Ascoli Piceno, qui se trouve sur une place à arcades au centre de la ville et qui est, à mon avis, l’un des plus beaux cafés d’Europe.

 

BIO

Née en 1963 à Merano, Sabine Gruber vit Vienne. Elle écrit des poèmes, des récits, des romans et des essais. Derniers ouvrages publiés : Daldossi oder Das Leben des Augenblicks (C.H.Beck, 2016, dtv 2018) ; Am Abgrund und im Himmel zuhause poèmes chez Haymon, 2018. En février 2022 sera publié Am besten lebe ich ausgedacht. Journalgedichte en édition bibliophile, également chez Haymon. www.sabinegruber.at

Blog Entropy, Barbara Rieger, Alain Barbero, Sofie Steinfest, Strohauer's Cafe Alt Heidelberg, Café, Kaffeehaus, Heidelberg

Katherina Braschel | Café Anno, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Katherina Braschel | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

comment : enfoncer les ongles dans le vernis du bois, les retirer, les faire crisser, mais l’intérieur, il doit rester un intérieur, dans le cadre, si elle veut parler, non crier, non hurler, quand elle veut s’extraire de la peau, mais seulement de sa propre peau, ou bien : l’écharde, enfoncée sous la peau, les ongles, incrustés en soi, s’arrimer, semer des spores, sous-cutanées, qui se transformeront en arbre, peut-être en forêt, en bois de chauffage, ça flambe
elle : une colonne sertie, elle respire, la table, elle vacille, la bière, elle goutte, elle : une colonne incrustée tout autour, la chaise, elle vacille, le cendrier, il tombe, dans les têtes, dans les mots, provoque des déchirures, une écorchure sur ses paumes, le verre, la fraîcheur en elle, aucun résidu de fibre,
seulement des fractures nettes

 


Interview de l’auteure

Que signifie la littérature pour toi ?
Katherina Braschel : Peut-être aussi : la recherche d’une réponse à cette question qui ne soit pas ringarde. Ou ringarde dans le bon sens du terme ? Dans tous les cas, une recherche, une (auto)exposition, un chez-soi (compliqué), un refuge, une caresse, une gifle. Et le pouvoir.

Quelle signification les cafés ont-ils pour toi ?
KB : J’apprécie les cafés surtout comme des endroits où l’on peut disparaître sans disparaître. Et j’en ai besoin pour pouvoir écrire.
Dans un vrai café, je n’ai pas besoin de me boucher les oreilles pour accéder à la langue, à l’écriture, car ce certain mélange de silence, de voix et de bruits de vaisselle le fait pour moi.
Bien sûr, il faut pouvoir se payer des cafés, et cela ne va pas de soi.

Pourquoi as-tu choisi le Café Anno ?
KB : Parce que je viens ici en général une fois par semaine, puisque je suis co-organisatrice de deux séries de lectures. Parce que la littérature trouve ici un espace facilement accessible et je pense que c’est extrêmement important. Le Café Anno est tout simplement un endroit où je peux être, et ce depuis longtemps, où je me sens à l’aise et où je sais qu’il y a des stylos et des feuilles derrière le bar, au cas où je n’aurais pas de carnet sur moi.

Que fais-tu lorsque tu n’es pas au café ?
KB : En ce moment, je pense aux cafés et ils me manquent beaucoup. Je ne peux presque pas écrire à la maison et je remarque à quel point cela me mine.
Autrement : travailler, lire, passer du temps avec des personnes adorables, s’emporter et regarder des vidéos en ligne de cargos.

 

BIO

Élevée à Salzbourg, Disneyland baroque, Katherina Braschel vit et travaille à Vienne depuis 2011, où elle a également étudié le théâtre, le cinéma et les médias. Elle écrit principalement de la prose. Elle a déjà reçu à ce titre divers prix et bourses, notamment le Rauriser Förderungspreis et le Wortmeldungen Förderpreis de la Fondation Crespo de Francfort, tous deux en 2019. Son premier roman “es fehlt viel” a été publié aux Editions Mosaik en 2020.
Elle croit en la solidarité féministe, la bonne bière et le pouvoir délicat de la langue.

Aiat Fayez | Das Möbel, Vienne [2/2]

Photo : Alain Barbero | Texte : Aiat Fayez

 

C’est sans doute parce qu’il sent son mode d’être préservé que l’écrivain aime tant le café Möbel : à chaque fois, le fait de voir tous ces ordinateurs sur autant de tables le rassure sur l’anonymat dont il peut jouir dans cette salle oblongue qui lui permet de regarder devant soi et de laisser sa vue se perdre dans le vide, comme le pêcheur lance son fil au bout duquel se trouve le hameçon : le poisson, c’est l’idée, l’imaginaire. Et souvent, l’auteur se plaît à penser qu’il doit avoir l’air d’un vieux thésard parmi tous ces étudiants. Les lumières, dans le café, laissent à désirer, il n’y a pas de table réservée pour les habitués, mais au fond, l’écrivain peut se passer de bien d’autres choses encore, en échange de l’invisibilité qu’il gagne. Si le café Jelinek est le café de son cœur, nul doute que le Möbel y a une place privilégiée.

Non, il ne pourrait rester chez lui : le silence le tuerait : le silence d’une bibliothèque ou d’un musée le déconcentre tout de suite. Il a besoin des autres, l’écrivain, celui-ci, du moins : il veut la présence des gens, mais en arrière-fond, afin de pouvoir rester concentré sur lui-même : c’est grâce aux autres qu’il peut se sentir seul. L’isolement n’est pas pour lui, mais la solitude est sa planche de salut.

À force de se rendre au Möbel, il finira par faire partie du mobilier, s’était dit une fois l’écrivain en riant en lui-même. Sur le visage de chaque serveuse, il découvre une toile ou un personnage de livre : il y a là le Self-Portrait de Parmigianino, qui, dès le début, fut une petite lumière dans son cœur, tout comme une autre, qui lui fait penser à la Nadja d’André Breton ; chez une autre encore, l’écrivain voit une alliance de la Mona Lisa et de la Ginevra de’ Benci de Leonard, quand il félicite secrètement la quatrième pour son style vestimentaire, et ainsi de suite des autres.

Invariablement, l’écrivain prend un Capuccino : si on lui bandait les yeux, il pourrait deviner laquelle des serveuses le sert rien qu’en en sirotant une gorgée : les grains de café sont identiques, la machine ne change pas, et pourtant, le Capuccino de l’une est plus fort que celui de l’autre ; celui d’une troisième est plus doux ; la tasse remplie par une autre est toujours un petit peu moins pleine que celle de ses collègues mais la mousse du lait qui s’y trouve est autrement onctueuse. Ainsi en va-t-il de l’écrivain : jamais, sa journée ne débute de la même manière, lui qui, prédisposé à la discipline de travail et aux petites manies, se trouve au même endroit, dans le même quartier, autour des mêmes visages : il est chez lui, sans être chez lui. Et au fond, c’est ce tremblement qui l’émeut : la petite mesure de l’exil.

 


BIO

Né en 1979, Aiat Fayez suit des études de philosophie à Paris. Il quitte la France en 2010, vit à Berlin, Oxford, puis Vienne, où il se consacre à l’écriture. Il a écrit à ce jour trois romans publiés aux éditions P.O.L et dix pièces de théâtre publiées aux éditions de L’Arche. Il a été finaliste du Grand Prix de littérature dramatique en 2016 et a reçu cette même année le Prix Scenic Youth. En 2018, le ministère de la Culture lui a décerné les insignes de chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres.

Romans : 2009 : Cycle des manières de mourir, éditions P.O.L, 2012 : Terre vaine, éditions P.O.L, 2014 : Un autre, éditions P.O.L
Pièces de théâtre : 2011 : Les Corps étrangers, L’Arche Éditeur, 2015 : La Baraque, L’Arche Éditeur, 2016 : De plus belles terres / Angleterre, Angleterre, L’Arche Éditeur, 2018 : Place des Minorités / Le Monologue de l’exil, L’Arche Éditeur. Chez L’Arche Agence : 2013 : Perceptions 2013 : Naissance d’un pays 2015 : L’Éveil du printemps 2016 : La Valise 2019 : Un pays dans le ciel 

Aiat Fayez | Das Möbel, Vienne [1/2]

Photo : Alain Barbero | Texte : Aiat Fayez

 

L’écrivain les aime toutes, ces serveuses du café Möbel, bien qu’il ne soit pas certain que la réciproque soit fondée. C’est un sujet dans lequel il puise sa mélancolie, et bien souvent, il se demande s’il n’y a pas la possibilité d’un autre lieu, d’un ailleurs. Au fond de lui, pourtant, il sait qu’il n’en est rien : qu’il est là, dans ce café, seul, devant des phrases manuscrites ou imprimées, et qu’il le restera toujours, dans tous les cafés qu’il fréquentera, qu’ils soient à Vienne, à Paris, à Budapest, à Zürich, Oxford ou Bâle, parce qu’il n’a pas trouvé d’autre voie pour être qu’un chemin solitaire, brumeux, et à bien des égards, silencieux.

Si l’écrivain cherche au fond de lui, ce qu’il fait de la même manière que d’autres respirent, à tel point que, souvent, il se perd, en lui-même tout autant que dans les rues de cette Vienne dans laquelle il vit pourtant depuis tant d’années, s’il cherche au fond de lui, il réalise qu’il ne peut pas se faire aimer, car l’amour qu’il porte aux autres, il s’applique à le faire échouer dans son accomplissement : il met des bâtons dans ses roues pour qu’il devienne impossible : ainsi prend-il plaisir, un plaisir qui joue avec le désespoir, de se sentir délaissé, esseulé, sans refuge : exilé. C’est plus qu’une condition de travail, car à bien des égards être écrivain est plus qu’un travail : c’est un mode d’être dans lequel rester à l’écart, vagabonder en marge, approcher le vide, est un principe de vie : se vouloir marginalisé, c’est : ne pas accepter la réalité. Non pas la nier, mais s’obliger à la voir par le prisme de l’art ; faire en sorte de la rehausser par l’art. Et entre l’amour pour les gens (imaginés) et la peur de ces gens (réels), il n’y a qu’un fil, sur lequel chancelle l’écrivain. Un jour, peut-être, il tombera. Analogue à tous les écrivains qui sont tombés avant lui et à tous ceux qui tomberont après lui. Aussi solitaires qu’ils demeurent, aussi taciturnes qu’ils soient, aussi étrangers qu’ils restent l’un vis-à-vis de l’autre, ce qui lie malgré eux les écrivains, les vrais, c’est une communauté de destins à travers le temps et l’espace : des amitiés stellaires, créées à travers la lecture des livres.
à suivre

 


BIO

Né en 1979, Aiat Fayez suit des études de philosophie à Paris. Il quitte la France en 2010, vit à Berlin, Oxford, puis Vienne, où il se consacre à l’écriture. Il a écrit à ce jour trois romans publiés aux éditions P.O.L et dix pièces de théâtre publiées aux éditions de L’Arche. Il a été finaliste du Grand Prix de littérature dramatique en 2016 et a reçu cette même année le Prix Scenic Youth. En 2018, le ministère de la Culture lui a décerné les insignes de chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres.

Romans : 2009 : Cycle des manières de mourir, éditions P.O.L, 2012 : Terre vaine, éditions P.O.L, 2014 : Un autre, éditions P.O.L
Pièces de théâtre : 2011 : Les Corps étrangers, L’Arche Éditeur, 2015 : La Baraque, L’Arche Éditeur, 2016 : De plus belles terres / Angleterre, Angleterre, L’Arche Éditeur, 2018 : Place des Minorités / Le Monologue de l’exil, L’Arche Éditeur. Chez L’Arche Agence : 2013 : Perceptions 2013 : Naissance d’un pays 2015 : L’Éveil du printemps 2016 : La Valise 2019 : Un pays dans le ciel 

Peter Bosch | Café Steinbock, Vienne

Photo : Alain Barbero | Texte : Peter Bosch | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

L’homme dans le miroir
ne sait pas encore
que c’est la dernière fois
qu’il est ainsi debout,
adossé
au temps
achevant
parachevant
tournant la page.
Mais sera-t-il
encore à moi ?

 


Interview de l’auteur

Que signifie la littérature pour toi ?
Peter Bosch : Raconter des histoires qui se situent quelque part entre réalité et fiction. J’aime être sur le fil du rasoir où les deux se mélangent.

Que représentent les cafés pour toi ?
PB : Je ne suis pas un poète des cafés, j’écris le plus souvent chez moi. Dans les cafés, je fais souvent des blind dates.

Pourquoi as-tu choisi le café Steinbock ?
PB : Parce que j’ai eu des rendez-vous là-bas avec des femmes qui étaient capricornes (NdT : en allemand, le nom du café signifie notamment capricorne). Le café a cependant fermé il y a peu de temps. Je n’ai pas dû y aller assez souvent pour mes rendez-vous. Et maintenant cela va devenir plus difficile : je ne connais pas d’autres cafés à Vienne qui tirent leur nom d’un signe du zodiaque. Je vais sûrement finir célibataire.

Que fais-tu quand tu ne vas pas dans un café ?
PB : Des films, de la photo, procrastiner.

 

BIO

Né en 1957 à Vienne, c’est aussi là que Peter Bosch vit et travaille. Sédentaire. Enfant du miracle économique.
Travaille comme programmeur, auteur, photographe et réalisateur.
A publié divers romans et récits.
Expositions de photographies et producteur chez Okto.tv.