Archive d’étiquettes pour : Alain Barbero

Emanuil A. Vidinski | Mi Casa, Sofia

Photo : Alain Barbero | Texte : Emanuil A. Vidinski | Traduction du texte bulgare : Raya Hristova, interview et bio (de l’allemand) :  Sylvie Barbero-Vibet

 

L’autre jour, j’ai vu ma main vieillir
c’était en automne, un dimanche, le soleil brillait
j’ai vu ces petits signes précurseurs du  silence
les fines ridules sur la peau, comme des nouveaux-nés
qui réclament leur droit de vivre
avec une volonté inébranlable de grandir
et de s’approfondir
dans leur zèle

J’ai vu ma main vieillir
et j’ai eu de la peine,
si touchante dans sa vulnérabilité
et calme
afin d’endurer docilement tout
ce dont elle ne sait rien

 

Original (bulgare)

Онзи ден видях ръката си да остарява
беше есен, неделя, слънцето грееше
видях тези малолетни предвестници на тишината
фините бръчици по кожата, като новородени
да заявяват правото си на живот
с непоколебимата воля да растат
и задълбават
в усърдието си

Видях ръката си да остарява
и ми дожаля
такава една трогателно безпомощна
и тиха
да понася безропотно всичко
за което не знае

 

Interview de l’auteur

Que peut faire la littérature ?
Emanuil A. Vidinski : La littérature peut presque tout. Arrêter le temps, donner du sens, apprendre l’empathie, offrir une issue, transmettre du savoir, apporter du réconfort et, last but not least, guérir les blessures qui ne saignent pas mais qui sont douloureuses.

Que représentent les cafés pour toi ?
EAV : Un beau café peut être comme un chez-soi. Peu d’endroits ont cette capacité. C’est pourquoi j’apprécie beaucoup les bons cafés. Il faut qu’il soit calme et qu’il y ait beaucoup de fenêtres.

Où te sens-tu chez toi ?
EAV : Dans certains cafés et dans les bibliothèques. Dans une pièce remplie de livres, j’ai toujours l’impression de ne pas être perdu. C’est le sentiment familier que l’on a chez soi. Là où il y a des livres, on a l’impression qu’il n’y a pas de coins, et même si on trébuche et qu’on tombe, on se relève en douceur.

 

BIO

Né en 1978, Emanuil A. VIDINSKI est un écrivain, poète, éditeur et musicien bulgare. Il a notamment écrit les recueils de nouvelles Kartografii na biagstvoto (Cartographies de la fuite, 2005) et Egon i tishinata (Egon et le silence, 2015), ainsi que le roman Mesta za dishane (Lieux de respiration, 2008). En tant que musicien, Vidinski était chanteur et guitariste du groupe Par Avion Band qu’il a lui-même fondé. Le recueil de poésie bulgare-allemand Par Avion a été traduit en allemand par Petya Lund et publié par les éditions eta à Berlin (2017).

Ildikó Boldizsár | Kelet Kávézó és Galéria, Budapest

Photo : Alain Barbero | Texte : Ildikó Boldizsár | Traduction (du hongrois) : Christian Szabo

 

Imaginez un endroit à Budapest qui offre tout ce dont vous avez besoin pour un charmant moment de café. Je ne vais même pas mentionner le délicieux café, c’est une exigence de base, je vais parler de ce que ce café me donne à différents moments de la journée. 
Quand je viens ici le matin, j’aime regarder la ville s’éveiller, les trams passer à toute vitesse et les oiseaux picorer les miettes sur le trottoir. J’aime me réveiller avec un latte posé devant moi, parce que ce n’est pas seulement une boisson agréable : elle a le goût de l’humeur du moment du barista. Et cet endroit n’a pas de barista grincheux ou sombre, ni de serveur pressé. Tout le monde a droit à un mot gentil et c’est un bon début. Je vérifie ma liste de choses à faire, j’écris quelques courriels et je retourne observer les oiseaux dans la rue.

À midi, l’atmosphère est tout à fait différente, des étudiants arrivent pour le déjeuner et de nombreuses personnes des bureaux voisins viennent manger un sandwich au grill ou un plat de légumes léger. Mon plat préféré est le curry aux champignons, mais j’avoue que je ne viens pas ici pour la nourriture. J’aime cette bonne ambiance, regarder les gens apprécier leur plat, et écouter les joyeuses conversations et les rires entre les tables. Tant de choses peuvent se passer en une demi-journée !

L’après-midi et le soir, l’endroit montre de nouveau un autre visage. Les amoureux et les amis s’assoient aux tables, il n’y a jamais de place, je dois attendre mon tour – mais j’attends patiemment et le moment arrive où je peux m’asseoir à mon endroit favori, dans le coin. Et puis arrive le moment que je préfère : je tends la main vers l’étagère et me saisis d’un livre. Oui, c’est ça ! Pour moi, livres et café vont de pair. Si je viens seule, je ne le suis pas car je peux parler aux livres, ce que j’ai de nombreuses occasions de faire, il y a 5 à 6000 volumes dans le café. Ils changent tous les jours car n’importe qui peut prendre un livre pour le remplacer par un autre.

Imaginez, il y a un endroit à Budapest, dans la rue Bartók Béla, qui s’appelle Keleti Kávézó és Galéria, et c’est mon endroit préféré.

 

Original (hongrois)

Képzeljék el, van egy hely Budapesten, ahol minden együtt van, ami egy meghitt kávézáshoz szükséges. A finom kávét meg sem említem, ez alapkövetelmény, inkább arról mesélek, mit ad nekem ez a kávézó a különböző napszakokban. Ha reggel térek be ide, szeretem nézni az ébredező várost, az elsuhanó villamosokat és a járdára röppenő, morzsákat csipegető madarakat. Szeretek azzal a lattéval ébredni, amit itt tesznek elém, mert nem csupán egy kellemes ital: benne van az ízében a barista éppen aktuális hangulata. Márpedig ezen a helyen nincsenek morcos, kedvetlen baristák, kapkodva kiszolgáló pincérek. Mindenkinek jut egy kedves szó, és máris jól indul a nap. Átnézem a teendőimet, megírok néhány e-mailt, aztán újra a madarakat figyelem az utcán.

Délben egészen más a hangulat, ebédre érkeznek az egyetemisták, a közeli hivatalokból is sokan beugranak egy grillszendvicsre vagy valami könnyű zöldséges ételre. Kedvencem a laskagombás curry, de bevallom, hogy nem az étel miatt jövök ide. Szeretem hallgatni ezt a jóleső zsizsgést, szeretem nézni az embereket, ahogy örülnek az ételeknek, és szeretem hallgatni a jókedvű beszélgetéseket és nevetéseket az asztalok között. Nahát, mennyi minden történhet fél nap alatt!

Délután és este megint más arcát mutatja a hely. Szerelmesek, barátok ülnek az asztaloknál, sosincs szabad asztal, várni kell, amíg sorra kerülök – de várok türelmesen, mert eljön az a pillanat, amikor leülhetek kedvenc kis kuckómban, a sarokban. És akkor következik az, amiért a legjobban szeretek idejárni: felnyúlok a könyvespolcra, és leemelek egy könyvet. Igen, ez az! A könyv és a kávé nálam összetartozik. Ha egyedül jövök ide, akkor sem vagyok egyedül, mert beszélgethetek a könyvekkel, amire jó sok lehetőségem van, mert a kávézóban 5-6000 kötet található. Ezek naponta változnak, mert egy cserekönyvért bárki elvihet egy másikat.

Képzeljék, van egy hely Budapesten, a Bartók Béla úton, Kelet Kávézó és Galéria a neve, és ez az én kedvencem.

 


Interview de l’auteure

Que peut la littérature ?
Ildikó Boldizsár : Quand j’étais petite, je n’arrivais pas à décider quelle carrière choisir. Je voulais être tout à la fois : ornithologue, cardiologue, jardinière, exploratrice, globe-trotteuse… Il m’est vite apparu que c’était impossible. C’est pourquoi je suis devenue écrivaine : parce que je peux être n’importe qui et n’importe quoi en écrivant. Je pense que c’est le rôle et le but de la littérature : montrer aux gens les possibilités illimitées et les emmener dans des paysages extérieurs et intérieurs qu’ils n’atteindraient pas sans les livres.

Quelle importance les cafés ont-ils pour toi ?
IB : J’ai beaucoup voyagé ces dernières années et ma première visite est toujours dans un café. Je m’assois et j’écoute. Vous pouvez apprendre beaucoup de choses sur une ville et ses habitants de cette manière. Les cafés sont des lieux où l’on pose des questions, où l’on s’informe, où l’on discute. Dans les cafés (où qu’ils se trouvent dans le monde), il y a de la vie, on échange des informations et il se passe toujours quelque chose d’intéressant.

Où te sens-tu chez toi ?
IB : Quand j’étais plus jeune, je cherchais à trouver la réponse à cette question.
J’ai voyagé à l’autre bout du monde parce que je pensais trouver un endroit où je me sentirais enfin chez moi. J’ai été très déçue de ne pas le trouver. Je suis allée dans tous les endroits que je croyais « faits pour moi » : plages sauvages de l’océan, bosquets méditerranéens, montagnes imposantes et petites maisons au bord du lac. Je me suis alors rendu compte que je cherchais ma « maison » à l’extérieur, mais que je ne pouvais la trouver qu’à l’intérieur de moi-même.
Et c’est ce que j’ai fait. Depuis, je me sens chez moi partout où la vie me mène.

 

BIO

Ildikó Boldizsár est écrivaine, conteuse, thérapeute par le conte et professeure d’université. Elle a publié cinquante-huit livres sur les contes de fées : des recueils, des ouvrages théoriques et ses propres histoires. C’est à elle que l’on doit le développement de la méthode de thérapie par les contes Métamorphoses, qu’elle enseigne en Hongrie et à l’étranger. Elle vit à Budapest lorsqu’elle n’est pas sur la route. Elle est passionnée de voyages à travers le monde.

Selim Özdoğan, Café Soleil

Selim Özdoğan | Café Soleil, Cologne

Photo : Alain Barbero | Texte : Selim Özdoğan | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

Il fut un temps où il s’agissait de ne pas se laisser attendrir. De garder sa colère. De ne pas céder d’un pouce. Si tu cèdes, ce sont eux dehors qui gagnent. Il fut un temps où l’on entendait Cassandra Complex : I want to grow old and cold and lonely / As long as you don’t win / Win / You didn’t win.
Puis vint le temps où il fallait devenir doux. Perméable. Souple. S’exposer à tout ce qu’on pouvait appeler la vie. Être touché par chaque mot et chaque regard, chaque main et chaque cœur. Il n’y avait plus le dehors et il n’y avait plus rien à gagner. Juste quelque chose à goûter. Avec tous nos sens.

 


Interview de l’auteur

Que peut la littérature ?
Selim Özdoğan : La littérature peut ouvrir des espaces et offre la possibilité d’entrer en contact. Le contact naît aux frontières, aux limites de notre propre monde.
La littérature peut aussi être la musique que nous appelons parfois l’amour.

Quelle importance les cafés ont-ils pour toi ?
SÖ : Avec le temps, je cherche des endroits où l’on trouve des gâteaux qui plaisent aux enfants.
Sinon, les cafés offrent la possibilité de boire un bon café, de parler et de flâner. Toutes des choses importantes dans ma vie.

Où te sens-tu chez toi ?
SÖ : Là où la musique est juste. La musique entre les gens, la musique entre moi et les autres.

 

BIO

Né en 1971, Selim Özdogan a publié de nombreux romans, récits et livres audio depuis son premier roman en 1995, Es ist so einsam im Sattel, seit dem Pferd tot ist (Éd. Aufbau Taschenbuch). Cela lui a valu des prix et des bourses. Il boit du café, pratique le yoga, mange du chocolat noir, parle, lit, écoute de la musique et fait des exercices de respiration.

Baya Streiff | Le Murmure fracassant, Paris

Photo : Alain Barbero | Texte : Baya Streiff

 

Tout commence par une fin de nuit en ombres chinoises, avec ses nuages blancs,  pareils à des lanternes en suspension.  Est-ce le parfum capiteux des Sarcococcas qui attrape la narine ou cette joie simple d’entendre le son de cette clarinette qui s’échappe du métro  et qui me pousse à faire résonner mes pas sur les pavés disjoints ? La ville pavoise. L’air distille une odeur entêtante de brioche chaude. Partout, sur l’asphalte, un festival de silhouettes colorées, évoquant un kaléidoscope géant. Au-dessus, des centaines d’oiseaux pépient leur cantate matinale et joyeuse. Aux terrasses, déjà, des hommes gouailleurs fanfaronnent devant leurs belles. Sur la table, oubliés les cocktails tièdes… En face sur le boulevard, des anxieux courent en tous sens, comme des poules sans tête. Croiser un fleuriste, devant lequel  de vieux routiers du bouquet avec leurs mains de marionnettistes, patientent, perdus dans la concurrence de leurs souvenirs. Dehors le ciel, comme une coupole. D’où me vient ce besoin de baguenauder sous la lumière voluptueuse du printemps, avant de m’asseoir, enfin, le cœur flageolant,  pour savourer le premier café du matin au bar « Le Murmure fracassant ».

 


Interview de l’auteure

Que peut faire la littérature ?
Baya Streiff : La littérature m’a toujours accompagnée. Elle donne de l’élégance à la vie, en plus d’être une amie fidèle. Écrire c’est un peu comme revenir sur ses pas pour renverser le temps…  La littérature me fait penser à une faille temporelle qui rend toutes les histoires possibles.

Quelle importance les cafés ont-ils pour toi ?
BS : Les cafés symbolisent les heures heureuses, et souvent celles de l’attente. Parfois, cette attente peut devenir torturante, et se transformer en une  impatience qui m’agite et qui me plait. C’est vertigineux de voir comment une absence peut prendre de place. Dans ces moments-là, mes pensées refusent de m’obéir dans leur résultat !

Où te sens-tu chez toi  ?
BS : Ici dans ce café où toute l’agitation de la ville semble s’être donné rendez-vous. Tous les murmures du monde sont réunis ici. Il agit sur moi telle une porte des possibles. On peut lire des livres ou apporter son vinyle sur la  platine pour ambiancer le café. Il m’est arrivé d’y laisser des livres  ou d’en trouver abandonnés sur la banquette. Son univers onirique me plaît avec ses portes monumentales du paradis, de l’enfer et  des abysses. Tout ici incite à la rêverie et excite l’imaginaire.

 

BIO

Baya Streiff travaille à Paris à la Protection Judiciaire de la Jeunesse. Sa passion pour les voyages, la photographie et la littérature nourrissent son imaginaire et sa vision romanesque de la vie.
Son premier roman « Les hasards exagérés » édité aux Éditions 7e Ciel,  trace l’histoire  de Mona   où s’esquissent les secrets et les remords, nous menant de çà, de là, sur l’échiquier de la vie, pour cheminer sur les cases blanches et noires du passage à la maturité. Ce roman pose  la question  de savoir comment appréhender les désillusions de l’âge adulte.
Son livre a été remarqué par le réalisateur Philippe Faucon qui va l’adapter à l’écran.

Nadya Radulova | Schroedinger Bar, Sofia

Photo : Alain Barbero | Texte : Nadya Radulova | Traduction du texte bulgare : Boryana Bilbileva, interview et bio (de l’anglais) :  Sylvie Barbero-Vibet

 

L’automne dans le jardin du Bar Schroedinger

De la table au fond de la cour, 
sous la glycine fanée, entre le
café de l’après-midi et le pastis du soir,
sans avoir écrit une seule ligne, j’observe
une chatte de gouttière rousse errante 
redresser sa queue vers le haut et,  
tenter, une nouvelle fois, de renouveler l’expérience : 

elle relève la tête, fait le dos rond,
se redresse, bondit de toutes ses forces, comme pour franchir le mur
et lorsqu’elle atteint la hauteur où
je m’attends à ce qu’elle sorte ses ailes et les déploie,
elle tend juste une patte, soulève le couvercle
et écorche le ciel jusqu’au sang
avec ses griffes d’encre.

 

Original (bulgare)

Есен в градината на бар Шрьодингер

От масата в дъното на двора,
под посърналата глициния, между
следобедното кафе и привечерния пастис,
ненаписала нито ред, наблюдавам как
една рижо-червена улична неподобрена
вирва опашка и за пореден път днес
упражнява експеримента:

вдига нагоре глава, извива гръбнак,
набира се, скача с все сила уж да прехвърли оградата
и когато достигне височината, на която
очаквам да извади крилe и да ги разпери,
тя просто протяга лапа, повдигa капака
и одира небето до кръв
с мастилените си нокти.

 


Interview de l’auteure

Que peut faire la littérature ?
Nadya Radulova : Forme radicale d’identification et de transfert, la littérature prolonge notre durée de vie biographique et nous fait don de l’immortalité.

Que représentent les cafés pour toi ?
NR : Des espaces de détente et de contemplation où je ne me sens pas coupable de ne rien faire.

Où te sens-tu chez toi ?
NR : Partout où je peux entendre ma voix et la reconnaître comme étant la mienne.

 

BIO

Nadya Radulova est écrivaine, éditrice et traductrice littéraire. Elle a écrit six recueils de poèmes, dont Albas, When They Fall Asleep et Little World, Big World, qui ont été primés. Les poèmes et les nouvelles de Nadya Radulova ont notamment été traduits en anglais, espagnol, allemand, roumain, turc et grec.

Daniela Gerlach | Bodega Casa Benjamín, Dénia

Photo : Alain Barbero | Texte : Daniela Gerlach | Trad. : Daniela Gerlach (avec Sylvie & Alain B.)

 

Peut-être n’était-ce que …

Je suis assise troublée dans le Café Trouble et je sirote des mots dans ma tasse.
Un homme avec une canne s’approche et m’offre le journal. Il date de 1910 et sent le chien mouillé. Je prends et lis le journal dans tous les sens, l’homme à la canne attend en silence.
Tout à coup, les mots dégringolent, de la bouche et du nez, de la page. Nous en ramassons quelques-uns et les mettons dans la poche. La page se vide, le café refroidit, le reste des mots flotte au fond.
Oui, Monsieur, c’est comme autrefois. Il hoche la tête, c’est vrai, le temps passe.
Seuls les trouble-mots restent.

(Peut-être n’était-ce qu’un rêve éveillé à la Casa Benjamín. Peut-être)

 


Interview de l’auteure

Que peut faire la littérature ?
Daniela Gerlach : Elle peut aussi bien nous émouvoir, nous secouer que nous calmer et nous faire réfléchir, nous donner du plaisir. Tout ce dont nous, les humains, sommes capables, la littérature le peut aussi, tant dans le sens positif que négatif.

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
DG : Ce sont des lieux intermédiaires, des espaces particuliers entre ce que je connais, ce qui m’est familier, et ce qui m’est étranger et donc empli d’attentes, où tout peut arriver, même dans mon imagination. Et c’est là où la connexion avec une nouvelle histoire est possible.

Où te sens-tu chez toi ?
DG : Je ne me sens nul part vraiment chez moi, tout au plus je m’y sens bien. C’est là où sont mes amis, mon travail, où certains habitudes me sont devenues chères, où je respire.

 

BIO

Née à Dortmund, elle a pris pied en Espagne, sinon elle est en voyage.
À Dénia elle dirige le Salon culturel la ñ. Elle est membre de l’association LiteraturRaumDortmundRuhr, avec laquelle elle réalise différents projets littéraires.
« Mes histoires et leurs personnages ne sont jamais les mêmes, ils roulent et se rident comme les vagues, ils ont une mélodie qui me vient aux oreilles quand je dois les écrire. Actuellement, je suis en train de travailler à une suite de Im Dorf der Witwen (Dans le village des veuves), ce qui n’était pas prévu. »
www.danielagerlach.com

Elsa Flageul | Bistro Chantefable, Paris

Photo : Alain Barbero | Texte : Elsa Flageul

 

Impossible d’écrire dans les cafés.
D’écrire avec des gens. D’écrire avec de la musique, avec la radio, avec mes enfants. Impossible de mélanger les mots et les personnes, les mots et les conversations, le bruit de la machine à café, les serveurs endimanchés, les maman ad libitum, les petits chagrins à consoler. La vie d’un côté, les mots de l’autre. Et pourtant, il faut bien que les mots sucent la vie, l’aspirent, l’espèrent, qu’ils l’attendent, comme ça, au coin d’une rue, avec cet air de mauvais garçon, avec cette allure de mauvaise fille : donne-moi tout ce que t’as, vas-y raconte-moi tout ce que tu peux, tout ce que tu ne dis à personne, surtout ce que tu ne dis à personne, mais vas-y putain, qu’est-ce que t’attends. Les mots en chien. Qui ont besoin de la nourriture des jours, des matins brumeux et sonnés par la vie, des soirs fiévreux et des corps qui se trouvent, des éblouissements et des orages, des alluvions du temps sur le visage, sur les seins, sur le cœur.
La nourriture des jours.

 


Interview de l’auteure

Que signifie la littérature pour toi ?
Elsa Flageul : La solitude confortable de la lecture, et celle pas toujours confortable mais toujours adorée de l’écriture.

Que représentent pour toi les cafés ?
EF : Des lieux de chaleur, de joie et de temps perdu.

Pourquoi as-tu choisi le Bistro Chantefable  ?
EF : Parce que j’adore les brasseries parisiennes, c’est ce que je préfère, peut-être à cause des films de Claude Sautet, et que Le Chantefable, en plus d’être une brasserie typique et d’être près de chez moi, est pleine de gens tout aussi chaleureux que l’endroit.

Que fais-tu quand tu n’es pas dans les cafés ?
EF : J’écris, je m’occupe de mes enfants, je vis.

 

BIO

Elsa Flageul est écrivaine et vit à Paris, où elle est née. Elle a publié six romans aux éditions Julliard puis aux éditions Mialet-Barrault. Son dernier roman Hôtel du bord des larmes est paru en mars 2021. Elle travaille activement sur le prochain.

Éric Genetet | Aedaen Place, Strasbourg

Photo : Alain Barbero | Texte : Éric Genetet

 

L’éveil

Il attend, solo dans le fond du café, chaque matin à l’ouverture il attend. Comment sera-t-elle habillée, très chaudement couverte ou dévêtue, si légère ? Et sa façon de marcher, par à-coups ou avec grâce, boiteuse ou aérienne ? Sa manière de le regarder, de travers ou avec envie, fantaisie ou méfiance ? Il commande un troisième expresso, il observe les gens qui sortent et qui entrent, il ne voit personne, il est pâle comme une statue, nonchalant comme un mécano sans énergie. Il pose ses yeux sur l’écran de son ordinateur, ses doigts sur le clavier et il attend qu’elle arrive enfin sa fiancée fugitive, sa lune de papier, sa divine, son bonheur sans pitié, sa source, celle qui n’attend personne, celle qui lui arrache des larmes il pourrait le croire. Et puis, d’abord hésitante elle apparaît, elle s’installe et il s’éveille, il réapprend à penser, à imaginer, à marcher dans la lumière du jour. Il ne la lâche pas, il la retient, il lui commande un univers, un autre expresso. Elle reste plusieurs minutes, de temps à autre des heures, puis elle repart, toujours libre, jamais soumise. Il lève les yeux, elle n’est déjà plus là.

 


Interview de l’auteur

Que signifie la littérature pour toi ?
Éric Genetet : Elle définit ma vie, elle fait de moi un homme libre parfois.

Que représentent pour toi les cafés ?
EG : C’est l’endroit où j’ai grandi, l’endroit des premiers rendez-vous, des pages blanches. J’aime y écrire, entrer dans mon monde quand tout s’agite alentour.

Pourquoi as-tu choisi l’Aedaen Place  ?
EG : Pour sa chaleur, pour son mur de livres, pour son côté salon d’une époque lointaine. Mais j’aurais pu choisir dix autres endroits, je suis très volage côté café.

Que fais-tu quand tu n’es pas dans les cafés ?
EG : Je peux aussi écrire chez moi, en marchant dans les rues de café en café, dans les trains de ville en ville.

 

BIO

Né en 1967 à Rueil-Malmaison, Éric Genetet a commencé sa carrière comme chroniqueur radio et télé avant de rejoindre la presse écrite. Comme romancier, il a publié Le fiancé de la lune (2008, prix Talent Cultura), Et n’attendre personne et Solo (2013), Tomber (2016, Prix Folire et le Prix de la ville de Belfort), Un bonheur sans pitié (2019) et On pourrait croire que ce sont des larmes en 2022, toujours aux éditions Héloïse d’Ormesson.

Blog Entropy, Barbara Rieger, Alain Barbero, Pascal Dessaint, L'Évasion Bar, Toulouse

Pascal Dessaint | L’Évasion Bar, Toulouse

Photo : Alain Barbero | Texte : Pascal Dessaint

 

Si on est bien sage
Jamais on ne traverse la rue pour dire
à l’inconnue qu’elle vous trouble

Si on est bien sage
Jamais on ne prend le chemin
qui va vers la beauté ignorée

Si on est bien sage
Jamais on ne se penche au risque
de tomber et pourtant le plaisir

Si on est bien sage
Jamais on n’a de rêves qui puissent
se réaliser et c’est dommage

Si on est bien sage
Jamais on ne voit la vérité sous ses yeux
un sentiment magique une robe rouge

 


Interview de l’auteur

Que peut faire la littérature ?
Pascal Dessaint : Elle doit procurer avant tout du plaisir. Si elle témoigne du monde, il me semble aussi qu’elle remplit une fonction essentielle. Témoigner, et peut-être aussi parfois s’indigner, alerter !

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
PD : Les cafés sont le cadre de beaucoup de scènes dans mes romans. J’y traîne parfois pour prendre le pouls de l’époque, dans l’espoir d’une rencontre qui m’inspire. C’est arrivé souvent que je croise un de mes futurs personnages dans un bar…

Où te sens-tu chez toi ?
PD : Aujourd’hui, souvent loin des humains ! J’essaie d’échapper dès que possible aux vilains bruits de la civilisation, et c’est de plus en plus difficile. Une montagne, une forêt, une lande… Là où je ressens ma fragilité, ma relative importance.

 

BIO

Pascal Dessaint est né à Dunkerque. Il vit à Toulouse. Ses romans ont été récompensés par le Grand Prix de la littérature policière, le Grand Prix du roman noir français, le Prix Mystère de la Critique et le Prix Jean-Amila Meckert. En 1999, il publie Du bruit sous le silence, premier polar dont l’action se déroule dans le monde du rugby. Depuis Mourir n’est peut-être pas la pire des choses (2003), beaucoup de ses livres sont sous le signe de la nature malmenée. Il évoque la catastrophe AZF de Toulouse dans Loin des humains (2005) et le scandale Metaleurop dans Les derniers jours d’un homme (2010). Il propose aussi régulièrement des écrits plus intimes, chroniques et balades vertes et vagabondes.
Ses livres en allemand : Schlangenbrut (DistelLiteratur Verlag 2005) et Verlorener horizont (Polar Verlag 2021)
www.pascaldessaint.fr
Facebook Page Officielle

 

Blog Entropy, Barbara Rieger, Alain Barbero, Patrizia Murari, Les Formigues, Dénia

Pepü Sulé | La Sacristía Café, Dénia

Photo : Alain Barbero  | Texte : Pepü Sulé | Traduction (de l’espagnol) : Sabine Keromnes

 

Le parapluie libertin

Oh il fait froid.
Et il pleut.
Et me voilà, ici, avec mon parapluie.

Oh le vent.
Tant d’air en mouvement.

Le parapluie bouge
Est-ce le vent qui fait bouger le parapluie
ou le parapluie lui-même
qui bouge pour tenter de s’envoler
et s’échapper de ma fichue main ?

 

Original (espagnol)

El paraguas libertino

Oh hace frio.
Y llueve.
Y yo aquí con mi paraguas.

Oh el viento.
Cuanto aire en movimiento.

El paraguas se mueve
¿Es el viento quien mueve el paraguas
o es el propio paraguas
quien se mueve intentando volar
y escaparse de mi puta mano?

 


Interview de l’auteur

Que signifie la poésie pour toi ?
Pepü Sulé : Du point de vue de l’écriture, c’est un outil qui me permet de narrer, exprimer mes idées, combiner les mots…
C’est un moyen qui m’ouvre les portes pour imaginer ou divaguer et raconter des histoires d’une façon qui m’intéresse, m’attire ou me plaît.
Du point de vue du lecteur cela pourrait être l’entrée à des milliers de mondes.

Que représentent les cafés pour toi ?
PS : Ce sont des endroits où la vie palpite, où se déroulent une multitude d’histoires, où les gens se rencontrent et se racontent leur vie ou bien s’isolent pour se libérer de leur routine quotidienne.
Dans mon cas, cela dépend du moment. Cela peut être un endroit où voir des gens et dialoguer ou bien un endroit où être seul et trouver de nouveaux croquis, ébauches, divagations… 

Pourquoi as-tu choisi La Sacristía Café ?
PS : Comme il s’agissait d’une session photographique, pour la décoration du bar, j’ai pensé que ce serait un endroit attractif pour Alain, le photographe. Et pour moi, ce serait un endroit intéressant où pouvoir imaginer pendant la session quel en serait le résultat.

Que fais-tu quand tu n’es pas dans un café ?
PS : Je parle avec les gens, j’écris, je dessine, je peins, je joue de la musique, j’observe, je cuisine, je lis, je suis curieux, je me promène, je suis avec les gens qui me font sentir vivant…
Mais la plupart du temps, et comme la majorité des humains de cette époque, j’occupe beaucoup de mes heures dans cet endroit qu’on appelle «le travail».

 

BIO

Pepü Sulé est né et vit au bord de la Méditerranée. Il rentre dans le monde de l’écriture en créant et narrant des textes à la radio, récitant, fredonnant ou en participant à des événements musicaux, des performances, des monologues, des œuvres de théâtre, des contes, des scénarios, des films d’animation…
De plus il dessine, peint et anime des images ou joue de la musique et mélange toutes ses ébauches à différentes sauces.
D’un point de vue textuel, ses lettres sont écrites par une personne humaine, de fait il ne connaît aucune personne qui ne soit pas humaine. Et il ne connaît aucun humain qui ne soit pas une personne. Bien que rien de tel ne puisse être affirmé, évidemment. Peut-être qu’un jour il errait par là et boum ! Il a percuté une personne non humaine sans s’en rendre compte, car bien sûr, il n’en avait jamais vu une avant.