Archive d’étiquettes pour : Barbara Rieger

Barbara Rieger | Almtaler Haus, Grünau im Almtal

Photo : Alain Barbero | Texte : Barbara Rieger extrait de Eskalationsstufen (K&S 2024) | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

Plus tard, nous sommes assis au café, je sirote mon mélange, Joe sa bière. Son doigt pointe sur la table une tache, qui n’est pas la nôtre. Le service a déjà été meilleur ici, dit-il. Et qu’est-ce que tous ces enfants font ici ?
Joe, dis-je, qu’est-ce qui se passe ?
Que veux-tu dire ?
Regarde ton humeur.
Ton humeur, m’explique-t-il, n’est pas toujours la même non plus, je ne suis qu’un être humain, je suis désolé pour toi si tu t’attendais à autre chose.
J’avale mon café. C’est bon ça va, je dis.

 


Interview de l’auteure

Que peut faire la littérature ?
Barbara Rieger : La littérature est ce qui naît – dans le meilleur des cas – de l’écriture. Et personnellement, c’est la forme d’art que je préfère.

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
BR : Ce sont des lieux où règne un certain ordre dont je ne dois pas m’occuper moi-même et qui, en tant que tels, sont parfois très agréables.

Où te sens-tu chez toi ?
BR : Si un jour je m’y trouve, j’enverrai une carte postale

 

BIO

Née à Graz en 1982, Barbara Rieger vit en tant qu’auteure et professeure d’écriture à Vienne et dans l’Almtal (Haute-Autriche). En 2013, elle a fondé avec Alain Barbero et Sylvie Barbero-Vibet “cafe.entropy.at.” Elle écrit des romans, de la prose courte et même de la poésie de temps en temps. Son troisième roman Eskalationsstufen paraîtra le 7 février chez Kremayr & Scheriau. Les premières présentations auront lieu le 15.2 (Vienne) et le 17.2 (Almtal).

http://www.barbara-rieger.at

Nelly Staneva | Café Littéraire, Berne

Photo : Alain Barbero | Texte : Nelly Staneva | Traduction du texte bulgare : Raya Hristova, interview et bio (de l’allemand) :  Sylvie Barbero-Vibet

 

Café Littéraire

Il se sent à l’aise, enveloppé par le bruit, adossé confortablement, alors que son regard plonge de nouveau vers ce point sombre entre les couvertures des cahiers, caché de tous. Assis à la plus petite table, juste à l’entrée, deux étages au dessus des vieux tramways grinçants. A chaque ouverture de porte, des voyelles surgissent et l’enveloppent comme des volutes duveteuses. Il remplit ses poumons de gouttes croustillantes d’air hivernal condensé. Il y a vraiment du monde ce samedi matin. De temps en temps s’infiltre dans le café avec les manteaux froids et les sacs de courses du marché fermier, une consonne sourde, un « h aspiré », un « sch » ou « scht » guttural qui le surprend. Heureusement à cette heure-ci, les commandes de café tombent plus souvent que les premiers flocons de neige s’agitant dehors. La danse de la vapeur sous pression issue de la machine à café se déclenche juste à temps, purge ses conduits auditifs, et de nouveau, il s’assoupit bercé par ce tintement qui n’a rien à voir avec lui, par cette réalité qu’il n’arrive pas à traduire dans sa propre langue – Café Littéraire.
Il murmure ce nom, ses lèvres tremblent sous les spasmes musculaires d’une promesse universelle, d’un pouvoir préhistorique qu’il a déjà possédé, auquel il a cru un jour, il y a deux décennies, bien avant d’entendre le sifflement, le murmure « va-t’en» , d’ici et de là, avant que « là » ne devienne « ici » et « ici » « ailleurs ».
– Ce sera quoi pour vous ?
– Ce sera.
– S’il vous plaît ?
– S’il vous plaît. Un café. Littéraire. Da komm ich her. C’est de là que je viens.
Cet homme, pense le serveur, au passeport rouge et à la mauvaise habitude de voter pour le parti nationaliste, ce petit homme, il est noir comme le diable, mais il sait asséner les mots sur la table, comme s’il était du coin. Ce doit être un écrivain, ou quelque chose du genre. Puis le serveur amusé fredonne un instant “Vom Himmel hoch, da komm ich her. Ich bring’ euch gute neue Mär” pendant qu’il actionne la machine à café, mais se rappelle qu’en fait, il ne supporte pas les chants de Noël.
Le cahier demeure silencieux et les couvertures restent pincées comme les lèvres d’un vieux monsieur agacé. Cependant, le point est mis et le son de la sérénité se répand sur les pages souples, les imprègne comme un liquide sombre et rafraîchissant.

 

Original (Bulgarisch)

Café Littéraire

Уютно му е в този шум, удобно му е да се обляга върху него, докато очите му потъват за пореден път в онази тъмна точка, скрита от чужди погледи между кориците на тетрадката. Най-малката масичка, точно до входа, два етажа над скърцането на старите трамваи и при всяко отваряне на вратата той се загръща с прииждащите на пухкави кълбета гласни, пълни дробовете си с хрупкави капки кондензиран зимен въздух. Истинска навалица в този съботен предиобед. От време на време, наред с хладните палта и торбите от фермерския пазар, в кафенето се вмъква и някоя остра съгласна, която го стряска, някое удрящо го в ребрата, гърлено х, ш или щ. За щастие по това време на деня поръчките за кафе валят по-често и от нервните снежинки на първия сняг навън. Танцът под налягане в тръбите на кафе-автомата започва тъкмо навреме, промива ушните му канали и той отново замира блаженно в звънтящия звук, който няма нищо общо с него, в докосването на една реалност, която той не може да преведе на своя език – Cafe Literaire. Той шепне това име, устните му треперят от мускулните спазми на вселенски обещания, които бълбукат напряко случайността, от една праисторическа сила, която е притежавал, в които е вярвал, преди две десетилетия, преди да чуе съскането, преди да чуе шепненето, преди да чуе “върви си”, от тук и от там, преди “там” да стане “тук” и “тук” да стане другаде. 

  • Какво да бъде?
  • Да бъде. 
  • Моля? 
  • Моля. Едно кафе. Litteraire. Da komm ich her.

Този човек, мисли си келнерът с червения паспорт и лошия навик да гласува за националистическата партия, този човечец, черен като дявол, но как тряска на масата думите, съвсем като местен. Някакъв писател сигурно. Какви ли не ги пласират напоследък. После за кратко си тананика “Vom Himmel hoch, da komm ich her.Ich bring’ euch gute neue Mär“, докато кафето капе в чашата, но после се сеща, че всъщност не може да понася коледни песни.
Тетрадката мълчи, кориците стиснати като устни на недоволен старец. Но точката е сложена и звукът на блаженството се разпространява върху меките страници, пропива ги като тъмна, освежаваща течност.

 


Interview de l’auteure

Que peut la littérature ?
Nelly Staneva : Nous libérer du flux du temps, de l’entropie. Et quand il s’agit de créer de la littérature, alors, comme le dit Italo Calvino, l’étendue de ce qui n’a pas été écrit ne peut s’appréhender que par l’acte limité de l’écriture.

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
NS : Je suis tombée sous le charme des cafés dès l’école. Le café est un produit de plaisir qui me passionne, comme d’autres le vin ou les cigares. Les dernières années au lycée, je séchais régulièrement les cours pour passer du temps dans les cafés avec mes carnets de notes et mes rêveries. Depuis que je suis mère, j’écris de nouveau presque toujours dans des cafés, car mon petit appartement est bien trop rempli par cette étape de ma vie bruyante et vibrante. Ils sont des portes fiables qui m’offrent un accès à moi-même, à tout moment, quand j’en ai besoin. C’est pourquoi je n’aime pas parler avec d’autres personnes dans les cafés, je n’aime pas non plus y rencontrer des amis ou des collègues.

Où te sens-tu chez toi ?
NS : Cela change tout le temps, mais jusqu’à présent, c’était rarement à mon adresse officielle. Chez moi,  plus qu’un lieu, ce sont plutôt les rares fois quand je suis à la fois enthousiasme et calme. Mais en ce moment, je me sens à nouveau très bien en Bulgarie, ce qui n’a pas été le cas pendant longtemps. Sinon, lorsque je me réveille et que je sens la tête de mon enfant ou le bras de mon amant sur moi, j’ai l’impression, un court instant, d’être parfaitement à ma place et chez moi sur cette terre.

 

BIO

Nelly Staneva est poètesse et écrivaine. Née en 1983 en Bulgarie, elle vit en Suisse depuis 20 ans. Elle a publié deux livres de poésie et deux autres (poèmes et son premier roman) seront publiés prochainement.

Catherine Cusset | L’Élephant du Nil, Paris

Photo : Alain Barbero | Texte : Catherine Cusset

 

        Les cafés sont nombreux sur la place du métro Saint-Paul, à cinq minutes de chez moi. L’éléphant du Nil m’a attirée parce que c’est un vrai café parisien avec son comptoir en zinc, ses petites tables en bois sombre, ses chaises bistrot, son carrelage ancien. Je m’y sens bien. Un passe-plat ouvre sur la cuisine où le cuisinier prépare une nourriture bonne et pas chère. Les serveurs sont jeunes, sympa, et souriants — contredisant le stéréotype du serveur parisien.
        C’est mon point d’arrivée à Paris quand je débarque de New York. Pendant trente ans, trois ou quatre fois par an, j’ai atterri à Roissy, récupéré ma valise, pris le RER, changé à Châtelet, et je suis sortie à Saint-Paul, en face de L’éléphant du Nil. J’ai commandé un grand crème au comptoir et je l’ai pris debout, à côté d’habitués qui buvaient un expresso ou un verre de vin. Parfois il restait un croissant, fondant et croustillant. Il est midi à Paris et 6h à New York. Le café au lait très chaud et sucré descend dans ma gorge, j’avale une bouchée de croissant, ces goûts familiers me disent que je suis arrivée, que je suis chez moi. 
        Au café je lis mais n’écris pas. Pour écrire j’ai besoin de silence et d’un lieu isolé. Virginia Woolf n’a pas eu tort quand elle a insisté sur la nécessité d’avoir une chambre à soi. Je passe de mon lit à mon bureau, du sommeil et des rêves à l’écriture, sans transition.  Je ne commence jamais la journée par un petit déjeuner à l’Éléphant du Nil même si j’aime tant le grand crème et les croissants. Sauf quand je débarque de New York.

 


Interview de l’auteure

Que peut faire la littérature?
Catherine Cusset : Kafka écrit qu’elle est la hache qui brise la mer gelée en nous. Oui. Elle nous ouvre — à nous-même, à l’autre, au monde. Elle nous agrandit, nous enrichit, nous déplace. Il existe deux sortes de littérature, l’une de divertissement, l’autre de quête. Même si j’admire ceux qui écrivent des livres que les adolescents dévorent, je préfère l’autre sorte. Je ne lis pas pour l’intrigue, mais pour le sens, pour la présence vivante d’un esprit humain. Les bons livres sont ceux dont on connaît déjà la fin et qu’on peut relire sans jamais s’ennuyer. Je lis et j’écris parce que je suis dans une quête — de vérité, de sens, de lien, de cohérence, d’altérité, de moi-même.
        J’ai du mal à vivre sans écrire. Je déprime très vite. Seule l’écriture me rend la vie tolérable. Parce qu’elle rassemble, collecte, fabrique du sens, préserve la mémoire, donne accès à l’altérité et au meilleur de soi. Écrire est une activité solitaire, mais le seul vrai moyen de sortir de la solitude.

 

BIO

Catherine Cusset, née à Paris en 1963, est l’auteure d’une quinzaine de romans parus chez Gallimard entre 1990 et 2021 et traduits en vingt-deux langues, dont Le problème avec Jane (Grand Prix des lectrices d’Elle 2000), La haine de la famille, Un brillant avenir (Prix Goncourt des Lycéens 2008), L’autre qu’on adorait, Vie de David Hockney (Prix Anaïs Nin) et La définition du bonheur. Ancienne élève de l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm, agrégée de lettres classiques, auteure d’une thèse sur Sade, Cusset a enseigné douze ans à Yale avant de se consacrer entièrement à l’écriture. Après trente ans à New York, elle vit aujourd’hui entre Paris et la presqu’île de Crozon en Bretagne.

Béatrice Riand | Cafè de l´Òpera, Barcelone

Photo : Alain Barbero | Texte : Béatrice Riand

 

Faut-il qu’il m’en souvienne, chante Apollinaire lorsqu’il évoque la Seine et le pont Mirabeau… vienne la nuit, sonne l’heure, les jours s’en vont, je demeure. Et les souvenirs aussi, et les souvenirs toujours. Lorsque je franchis la porte du Café de l’Opéra, à Barcelone, je m’avance sur le pont incertain de la mémoire. Et je cherche, je cherche les silhouettes des temps passés. Les ombres tutélaires, qui embrassent mon enfance, la prennent par la main pour l’emmener chaque dimanche déguster des churros con chocolate. Chuchotent à son oreille de tendres paroles, tu es catalane, petite, n’oublie pas, n’oublie jamais. Je n’oublie pas. Et je ne les oublie pas. Ni mon grand-père au poil orageux qui refuse de tirer sur ses frères lorsque la guerre civile déchire et le pays et la cité comtale, ni ma frêle arrière-grand-mère qui au péril de sa vie cache pendant de longues années trois nonnes apeurées derrière une fausse paroi dans une cuve à vin, ni ma grand-mère de dix-sept ans qui pleure face à la brutalité des hommes et joue du piano au milieu des gravats d’une existence contrariée. Les churros du Café de l’Opéra sont ma madeleine de Proust, mon héritage. Je ferme les yeux, je me saisis d’un beignet sucré et je les revois, qui me sourient. J’entends leur voix. Leur souffle sur moi. Et passent les jours, passent les semaines, passent les années, qu’importe le temps qui s’effiloche, croyez-moi, je les revois. Ils sont là. Pedro et sa cravate à pois, Eulàlia et son chapelet de pétales de roses, Maria et sa douceur en éventail. Et moi, du plus profond de mes entrailles, je célèbre le courage de celles et ceux qui ont connu la guerre autrefois. Ou subissent ses atrocités aujourd’hui. Et je vous le dis, les morts ne meurent jamais. Je vous le dis, oui, vienne la nuit, sonne l’heure, les jours s’en vont, les souvenirs demeurent.

 


Interview de l’auteure

Que peut faire la littérature ?
Béatrice Riand : La littérature est une respiration, suspendue entre le réel et le plausible, le vrai et le vraisemblable. Et ce souffle incertain permet à tous d’expérimenter un autre regard sur le monde. Mais attention, ne vous y trompez pas : « la littérature ne sert pas à mieux voir. Elle sert seulement à mieux mesurer l’épaisseur de l’ombre » (William Faulkner). 

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
BR : Au risque de te décevoir, je dois t’avouer que je n’écris pas dans les cafés, je ne lis pas dans les cafés. Les seuls établissements que je fréquente sont liés à des souvenirs anciens. 

Où te sens-tu chez toi ?
BR : Sans hésiter, dans ma bibliothèque. Lorsque je m’assieds à mon bureau, entourée des livres qui m’accompagnent depuis des années, environnée des mots des autres, je ressens une véritable paix intérieure. Je ne connais ni la solitude ni le silence.

 

BIO

Béatrice Riand, de père suisse et de mère catalane, grandit entre deux cultures et trois langues. Titulaire d’un master en littérature française et en psychologie, elle se consacre à l’écriture. Prix du Jury des Arts et Lettres de France à deux reprises, prix du Jury de la Société des Ecrivains Valaisans à trois reprises, dont tout récemment pour son roman Si vite que courent les crocodiles (BSN Press), qui aborde la problématique de l’adolescence, elle publie en octobre 2023 un troisième ouvrage, Ces gens-là (Editions Slatkine), qui traite du délicat et douloureux sujet de l’inceste.

Evelyn Schalk | Die Scherbe, Graz

Photo : Alain Barbero | Texte : Evelyn Schalk | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

niche et estrade, récit dans le renfoncement des fauteuils, plateau de tables qui dissimulent des myriades de paroles. le café bourgeois d’autrefois est rapidement devenu l’opposé du sacro-saint salon. un lieu de séjour pour tous ceux qui veulent, doivent ou peuvent s’échapper de leurs propres murs. parce que l’espace manque, qu’il y a trop de bruit ou un silence figé, que les souvenirs étouffent toute vie ou que le vide menace de s’étendre à l’infini. pour être avec les autres ou seul. le café est un lieu de refuge et parfois le seul petit luxe. cette seule prise de conscience est un moyen de survie.
contrairement à de nombreux cafés, le café Scherbe est resté un point d’ancrage pendant de nombreuses années, à presque toutes les heures du jour et de la nuit. car un café abolit les heures normales, prendre le petit déjeuner l’après-midi, écrire après minuit, discuter jusqu’au petit matin, dans l’intemporalité, le temps devient individuel. juste au coin du Scherbe, j’ai passé mes premiers jours dans une rédaction, dans la maison même où, des décennies auparavant, trois générations de femmes de ma famille vivaient dans un espace restreint, à une époque où le quartier n’était pas encore branché, mais plutôt un quartier de pauvres. une photo de mon arrière-grand-mère la montre assise dans l’unique pièce de l’appartement, avec le journal ouvert à côté d’elle, sur lequel se trouve une grande loupe. “vous ne vous intéressez pas assez !”, avertissait celle à qui le travail laissait peu de temps et qui consacrait le peu qui lui restait à la lecture, se rappelait ma mère. c’est dans ce même journal que j’ai appris plus tard, à la périphérie de la ville, le journalisme en partant de zéro. tout le monde allait au café. d’innombrables couples s’y sont trouvés et perdus. une institution à la fois politique et privée. un véritable salon public et un salon du public. c’est précisément pour cette raison – et non en vertu d’un cliché poussiéreux et opaque – que la littérature naît ici.

 


Interview de l’auteure

Que peut la littérature ?
Evelyn Schalk : presque tout.

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
ES : le café est l’un des premiers endroits que je visite dans une ville encore inconnue et la première destination quand je rentre. il signifie arriver à destination et en même temps, être en route, c’est le seul moyen de s’évader et de s’immerger dans un monde jusqu’alors inconnu. être là. en marge, au centre. aller au café signifie toujours partager quelque chose, un accord tacite, un code au-delà des frontières. anonymat et confiance. prise d’espace et refuge. espace libre. résistance contre la privatisation de l’être. et c’est justement pour cela que c’est aussi un lieu d’écriture. pas toujours, mais encore et toujours.

Où te sens-tu à la maison ?
ES: en mouvement.

 

BIO

Journaliste, autrice, travailleuse dans la culture ; co-éditrice et rédactrice en chef de ausreißerDie Wandzeitung et tatsachen.at ; études de langues et littératures romanes et allemandes ainsi que  des disciplines médiatiques. Chroniqueuse pour perspektive – hefte für zeitgenössische literatur ; reportages, articles, essais pour Frankfurter Rundschau, Standard, mare, Megaphon, Datum, Beton International, jungle world et autres journaux ; publication du volume Graz – Abseits der Pfade (2018) ; projet littéraire nacht.schicht quer durch Europa. Série actuelle : About War – Die Sprache des Krieges.

10 ans de Café Entropy | Literaturhaus & Podium, Vienne

Jeudi 14 décembre 2023

Literaturhaus Wien (Maison de la Littérature de Vienne)

Projection de 10 ans de c.entropy.at – Rencontres au café , film de Peter Bosch

Lecture bilingue de 10 ans de Café Entropy avec Barbara Rieger & Alain Barbero

Podium

Vernissage de l’exposition 10 ans de Café Entropy – Photographies d’Alain Barbero
Soirée festive au Podium

 
 
© Sylvie Barbero-Vibet, Max Winter, Tina Wirnsberger, AB

Alexandre Delas | Le Réveil du 10ème, Paris

Photo : Alain Barbero | Texte : Alexandre Delas

 

J’ai ramené mon vieil exemplaire de L’Idiot car j’ai toujours admiré l’idéalisme du Prince Mychkine, le trait de caractère commun à toutes les grandes forces littéraires à l’œuvre dans toutes les révolutions de papier.

La révolution ?
Et si on parlait d’amour plutôt.
Alain partage mon goût pour les vieux cinémas.
« Dans les années 80, j’avais un test, j’emmenais les filles au Christine voir Mauvais Sang. Si elles n’adoraient pas ce film, je savais que rien ne serait possible entre nous. »
Je demande à Alain si ça a marché.
Il me répond en souriant : « la femme avec laquelle je partage ma vie, l’avait bien aimé, sans plus. »

D’aucun pourrait aisément rebaptiser le Prince, « miskine » aujourd’hui, mais je veux croire que l’idéal mérite toujours d’être tenté.

Vient l’heure du portrait.
Si Brassens et Ferré peuvent être dans le cadre, à mes côtés, je suis très bien entouré.

 


Interview de l’auteur

Quelle est l’importance des cafés pour toi ?
Alexandre Delas : Un café est un excellent remède à la solitude des grandes villes. C’est une bulle au milieu du monde et hors du monde à la fois.
Un conseil : souriez et parlez à votre voisin, même si cette personne n’a pas l’air sympathique. Peut-être qu’elle est aussi seule que vous.

Où te sens-tu chez toi ?
AD : Partout où je suis un étranger.


BIO

Alexandre Delas vit et travaille à Paris, Les Premières funérailles est son premier roman (version anglaise disponible auprès de l’auteur). 
Il décrit une dictature ultra-capitaliste d’extrême droite au pouvoir en France après une guerre « mondiale » dont plus personne n’a le droit de parler, et de ses effets sur la psyché de son héros et des personnages qu’il croisera, leur identité, leur éducation sentimentale et leur découverte du monde du travail. 
Bien informé de ce monde globalisé, Alexandre Delas a nourri son texte par ses expériences professionnelles multiples en Asie et aux USA.
https://linktr.ee/alexandre_delas

 

 

Vincent Crouzet | Tandem, Paris

Photo : Alain Barbero | Texte : Vincent Crouzet

 

Pour rencontrer Alain, j’ai choisi Tandem tout simplement parce que je m’y sens bien. Comme en famille. Ce n’est pas l’un de ces bistrots à vins où l’on parle fort, où l’on plastronne. C’est un lieu, dans la petite salle, comme sur la terrasse, où la simplicité s’impose. Celle de Philippe, et de Nicolas, les deux frérots qui tiennent Tandem, est comme la “griffe” de l’endroit, cette bulle de joyeuse tranquillité hédoniste avant de remonter la rue de la Butte aux Cailles, plus bruyante plus loin. On ne vient pas pour boire un coup chez Tandem, mais pour déjeuner, ou dîner, prendre le temps, et profiter d’un décor qui ne varie pas, qui ne bouge pas, à l’heure où les décorateurs fous salopent les plus charmants des bistrots. Ici, de vraies tables en bois, un carrelage éprouvé, un bar lumineux, conçu pour s’accouder sur le zinc un moment avec Nicolas, et se laisser faire… 
Parce que l’on vient aussi chez Tandem pour boire du très bon vin bio, hors modes et tendances. Le vin nature n’y est pas prohibé, mais pas magnifié non plus. Rien n’est imposé. Ici, le critère reste le plaisir, et surtout pas le paraître. Et ce plaisir de déguster s’accorde à la cuisine simple, sincère de Philippe, qui s’appuie sur des recettes familiales, avec des excursions vers l’Asie… 
Je viens chez Tandem souvent, presque toujours, accompagné de la femme de mes pensées. Parce que je n’ai besoin de jouer à aucun jeu, ici. Et que les lumières, l’automne, l’hiver, y sont chaudes, rassurantes. Rien n’est exacerbé. C’est important dans un monde de surenchères. 
Se poser. Écouter. Et lorsque je viens seul, cela m’arrive souvent, Nicolas est comme un convive, présent, attentif, curieux, en partage. C’est un bistrot où jamais je m’égare, parce qu’il représente aussi mon point fixe, mon juste centre. 

 


Interview de l’auteur

Que peut faire la littérature ?
Vincent Crouzet : La question… Franchement : créer la liberté. Celle du créateur, l’écrivain. Celle des lectrices et des lecteurs. Cette part de liberté est inscrite dans celle du voyage, aussi. Lire, écrire, c’est s’en aller. Je crois profondément à la force romanesque, celle qui conduit l’écrivain à s’abstraire de lui-même. Je comprends la curiosité pour l’autofiction, mais notre richesse, en tant que romancier, reste de créer des mondes, et d’y emporter nos lecteurs. Je ne pense pas la littérature, mais les littératures. Les miennes, d’ailleurs restent purement d’évasion…    

Quelle est l’importance des cafés pour toi ? 
VC : Je n’ai pas un rapport d’écrivain avec les cafés. Je n’y écris jamais. Et j’avoue être très dubitatif lorsque j’observe un écrivain, une écrivaine travailler dans un bistrot. Les cafés, évidemment, c’est un poncif, sont mes lieux privilégiés de rencontres, mais j’avoue qu’ils participent surtout à un plaisir personnel. J’adore m’y trouver seul, le matin, à observer s’ébrouer la ville, et ses acteurs. Dans une ville qui m’est étrangère, j’y capte l’énergie d’un monde. Mais aussi, malheureusement, parfois, trop souvent, les détresses.  

Où te sens-tu chez toi ?
VC : C’est une question sensible en ce moment, pour moi, puisque depuis quelques mois, je navigue entre plusieurs lieux. J’oscille entre l’envie d’animation, de bouillonnement, et le besoin de sérénité. Entre les lumières de la ville, et les silences. Je crois que nous sommes tous bousculés de paradoxes : participer à l’énergie collective, ou bien se retrouver soi-même dans un environnement privilégié. J’ai grandi à la montagne, dans une station de sports d’hiver, aux Arcs, en Savoie. Lorsque je retrouve cette altitude, et dans cette atmosphère ludique, dédiée à la nature, et au sport, oui, je me sens bien. Mais je suis vite rattrapé par l’envie de me replonger ailleurs…

 

BIO

Vincent Crouzet a 59 ans, il a passé son adolescence à la montagne, conduit ses études à Grenoble, opté à un moment de sa vie pour le métier du renseignement, et a donc participé à l’action clandestine de son pays, la France, principalement en Afrique Centrale et Australe. Désormais romancier, il a quatorze textes à son actif, principalement des romans d’espionnages, mais aussi des nouvelles pour ados, et un essai. Depuis deux ans, il développe, sous le pseudo de Victor K, une série littéraire sur le Service Action de la DGSE (éditions Robert Laffont).

Andreas Unterweger | Café König, Graz

Photo : Alain Barbero | Texte : Andreas Unterweger | Traduction : Guillaume Métayer

 

J’étais plongé dans le spectacle de deux vieilles dames, sur la petite table desquelles, parmi un nombre respectable de tasses et d’assiettes, était monté un cadre photo de la taille d’un portrait. Dans ce cadre doré, que je ne pouvais voir que de dos, devait – cela ne fit vite aucun doute pour moi – se trouver la photo d’une amie décédée. Elle leur est prédécédée, pensais-je, mais grâce à cette photo elle était toujours là, toujours parmi elles, « parmi nous ».
Mon regard a erré des dames au portrait d’Alfred Kolleritsch accroché au-dessus de ma propre table, puis il est allé se poser de l’autre côté, sur le comptoir où était placé le faire-part de décès de Heimo Steps (avec sa photo, bien sûr), et en même temps que mon regard mes pensées se sont échappées : du pouvoir des images (où un ancien titre de livre m’est venu à l’esprit : Les Images brillent encore) à celui des tables d’habitués. On n’a pas le droit, ai-je pensé, de sous-estimer la table des habitués d’un café, qui est le successeur du cercle rituel des gens assis autour du feu. À la fin, pensais-je, la table d’habitués, fût-ce une petite table, est plus grande que la mort.
Consolante, c’est ce que me parut cette pensée, et je voulus aussitôt la noter et me mis à tâtonner dans mon sac-à-dos à la recherche de mon carnet. Ce n’est qu’à ce moment-là, en fouillant et, je dois l’avouer, une larme clignant au coin de mon œil, que je remarquai que, sur la table à côté des deux dames, à laquelle un ancien footballeur picorait les actualités du jour dans un journal, se tenait un même cadre photo. Et une petite table plus loin, où personne n’était assis ? La même chose. Oui, même sur ma propre table, juste à côté du grand verre d’eau que je commande toujours et n’arrive jamais à finir, se dressait, me tournant le dos, un cadre doré. Quand je l’ai retourné, j’ai vu : pas d’image, mais des mots (et des chiffres). Le nouveau menu.

 


Interview de l’auteur

Que peut la littérature ?
Andreas Unterweger : Parmi les nombreux avantages de la littérature, le moindre n’est pas qu’elle peut donner un bon prétexte pour boire du café. Certains boivent du café en lisant, certains en écoutant des textes, beaucoup en écrivant. Balzac par exemple aurait bu jusqu’à 50 tasses de café par jour. Il paraît qu’il a dû boire tout ce café pour pouvoir écrire l’intégralité de ses nombreux romans. Pourtant, je n’arrive pas à me défaire du soupçon qu’en réalité il en allait exactement à l’inverse. Je crois qu’il a tant écrit uniquement pour pouvoir boire une aussi énorme quantité de café.

Quelle importance ont les cafés pour toi ?
AU : En général, je vais au café pour écrire. Mais peut-être est-ce comme chez Balzac, et que je n’écris que pour avoir une bonne raison d’aller au café.

Où te sens-tu chez toi ?
AU : Là où je suis sans filtre.

 

BIO

Andreas Unterweger est écrivain et rédacteur en chef de la revue de littérature  manuskripte. Les six livres qu’il a publiés jusqu’ici ont paru aux éditions Droschl, dont le dernier, le roman So long, Annemarie (2022), se passe à Nantes. Ses textes en prose et ses poèmes ont été traduits en de nombreuses langues, tel Le Livre jaune (trad. L. Cassagnau, Paris, Lanskine, 2019). Il traduit, lui aussi, principalement du français (Laure Gauthier, Guillaume Métayer, Fiston Mwanza Mujila …).
Unterweger a reçu, entre autres, le prix manuskripte du Land de Styrie en 2016 et le prix de l’Académie de Graz 2009. En 2023, il a été intégré au programme de soutien schreibART du ministère autrichien des Affaires étrangères.
www.andreasunterweger.at

Eva Brunner | Schönes Café, Berlin

Photo : Alain Barbero | Texte : Eva Brunner | Traduction : Sylvie Barbero-Vibet

 

« Schönes Café », que l’on pourrait traduire par « Joli Café », ne porte pas un nom facile. À la fois une affirmation et un défi grammatical. On se retrouve au café Joli Café ou au joli Café ? Mais après tout, il peut bien le porter ce nom, car il tient sa promesse. Je suis contente que ce café existait déjà dans les années 2000, lorsque je cherchais pour la première fois dans le coin un endroit sympa pour prendre le café du dimanche avec une amie. Qu’il était encore là dans les années 2010, quand je voulais faire une petite pause dans mon quotidien familial, me faire plaisir. Et qu’il était toujours là dans les années 2020, quand j’étais à la recherche de mon café préféré à Berlin, proche de mon travail de toujours, dans les rues de Berlin où je me sens le plus chez moi, même si je n’y habite plus. À Uppsala, je saurais quel café choisir, sans hésitation : l’Årummet, à l’angle avec la rivière, avec ses profonds fauteuils d’un autre temps et son choix grandiose de gâteaux.
Au Schönes Café, l’accent est dorénavant mis sur le déjeuner, à l’heure où l’on sert des plats du jour de cuisine fusion faite maison. De la soul food, pourrait-on dire. En général, le petit espace est empli d’ondes positives. Un style sobre et confortable sans être trop cool. Joli, tout simplement – bois laqué de couleur, murs crépis de blanc, petits vases avec des fleurs coupées, presque scandinave façon allemande.

 


Interview de l’auteure

Que peut la littérature ?
Eva Brunner : Hum, vaste sujet. Beaucoup, même s’il y a pas mal de gens pour qui elle ne signifie rien, ce que je considère aussi parfois comme une manière de voir tout à fait salutaire pour ne pas tout prendre trop au sérieux. Je trouve bien qu’il y ait toute sorte de littérature et que chacun puisse lire ce qui lui plaît. Par exemple, lorsque les adultes lisent aussi pour eux-mêmes des livres pour enfants ou pour la jeunesse. La littérature peut être une bonne expérience très personnelle, déclencher un dialogue intérieur, donner de nouvelles idées, alimenter les rêves, relier à d’autres lieux ou époques. Et la littérature peut être un bon sujet de conversation, une manière d’échanger personnellement sans parler directement de soi.

Quelle importance les cafés ont-ils pour toi ?
EB : Les cafés sont pour moi des pauses particulières, une manière consciente de prendre le temps ou de passer le temps en se concentrant sur le café et les bons petits plats.

Où te sens-tu chez toi ?
EB : L’endroit où je me sens le plus chez moi est là où se trouve mon lit. Et aussi dans tous les endroits où j’ai vécu, ou là où vit ma famille.

 

BIO

Née en 1980 à Siegen, Eva Brunner vit à Uppsala et travaille dans une agence de communication berlinoise. Elle a fait une thèse de doctorat sur la « poésie confessionnelle » et publie régulièrement des textes littéraires depuis 2010. En 2019, son premier recueil de poésie Achtung, die Naht a été publié chez parsitenpresse. Cet hiver, un deuxième volume paraîtra chez le même éditeur. Également disponible, le petit livre de poésie Die Mandarinenorakel, en collaboration avec Elke Cremer et des illustrations de Yayo Kawamura (GE59, 2021).